Tortures mortelles et catégories sociales. Les Summa Supplicia dans le droit romain aux IIIe et IVe siècles - article ; n°1 ; vol.79, pg 361-403
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Tortures mortelles et catégories sociales. Les Summa Supplicia dans le droit romain aux IIIe et IVe siècles - article ; n°1 ; vol.79, pg 361-403

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Description

Publications de l'École française de Rome - Année 1984 - Volume 79 - Numéro 1 - Pages 361-403
Le droit romain appelle summa supplicia les supplices infligés à un criminel pour le mettre à mort : ce sont au IIIe siècle (dans le Digeste) le feu, la crucifixion, l'envoi aux bêtes et le culleus. Au IVe siècle (dans le code Théodosien) seuls le feu et le culleus subsistent.
Ces cruelles peines de mort sont presque toujours réservées aux catégories sociales inférieures, hommes libres et esclaves. Au IVe siècle les esclaves sont spécialement concernés par ces supplices.
Le christianisme au pouvoir - les lois des codes Théodosien et Justi- nien sont promulguées par des empereurs chrétiens - n'a donc nullement épargné aux esclaves ces souffrances de mort.
Ces spectacles d'horreur sont-ils dissuasifs? Les horoscopes de Firmicus Maternus, astrologue du IVe siècle, prédisent souvent la mort sous forme de summum supplicium. Ils témoignent de la terreur que ces châtiments font naître dans l'imaginaire sociale de cette époque.
43 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1984
Nombre de lectures 115
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Denise Grodzynski
Tortures mortelles et catégories sociales. Les Summa Supplicia
dans le droit romain aux IIIe et IVe siècles
In: Du châtiment dans la cité. Supplices corporels et peine de mort dans le monde antique. Table ronde de Rome (9-
11 novembre 1982). Rome : École Française de Rome, 1984. pp. 361-403. (Publications de l'École française de
Rome, 79)
Résumé
Le droit romain appelle summa supplicia les supplices infligés à un criminel pour le mettre à mort : ce sont au IIIe siècle (dans le
Digeste) le feu, la crucifixion, l'envoi aux bêtes et le culleus. Au IVe siècle (dans le code Théodosien) seuls le feu et le culleus
subsistent.
Ces cruelles peines de mort sont presque toujours réservées aux catégories sociales inférieures, hommes libres et esclaves. Au
IVe siècle les esclaves sont spécialement concernés par ces supplices.
Le christianisme au pouvoir - les lois des codes Théodosien et Justi- nien sont promulguées par des empereurs chrétiens - n'a
donc nullement épargné aux esclaves ces souffrances de mort.
Ces spectacles d'horreur sont-ils dissuasifs? Les horoscopes de Firmicus Maternus, astrologue du IVe siècle, prédisent souvent
la mort sous forme de summum supplicium. Ils témoignent de la terreur que ces châtiments font naître dans l'imaginaire sociale
de cette époque.
Citer ce document / Cite this document :
Grodzynski Denise. Tortures mortelles et catégories sociales. Les Summa Supplicia dans le droit romain aux IIIe et IVe siècles.
In: Du châtiment dans la cité. Supplices corporels et peine de mort dans le monde antique. Table ronde de Rome (9-11
novembre 1982). Rome : École Française de Rome, 1984. pp. 361-403. (Publications de l'École française de Rome, 79)
http://www.persee.fr/web/ouvrages/home/prescript/article/efr_0000-0000_1984_act_79_1_2540DENISE GRODZYNSKI
TORTURES MORTELLES ET CATEGORIES SOCIALES
LES SUMMA SUPPLICIA DANS LE DROIT ROMAIN
AUX IIIe ET IVe SIÈCLES
Summa Supplicia : cette locution juridique désigne ce que le pénal
iste Brasiello appelle «la torture maximale»1. Autrement dit les suppli
ciés ne sont pas «exécutés» au sens courant du mot, ils agonisent lente
ment. Et cette agonie est spectacle : spectacle du corps souffrant. Il
s'agit pour le pouvoir répressif de montrer, dans l'horreur et par l'hor
reur, son éclat, je dirais presque sa radiance et son efficacité : terreur
dissuasive à l'égard des sujets, tous considérés comme des coupables
éventuels2.
Les corps coupables n'ont pas seulement à encourir cette mort dif
férée et ostentatoire, par la mise en croix par exemple, ils peuvent subir
ce qu'on appellerait en droit français, à la fois la question préparatoire,
liée ou non à l'aveu (quaestio) et la question préalable, antérieure au
supplice final et indépendante de lui. C'est tout cela que, à la suite
1 La repressione penale nel diritto romano, Naples, 1937, p. 250 et 257. Brasiello est
ime, à juste titre, que les summa supplicia sont des peines sui generis plutôt que des modal
ités d'exécution de la peine de mort normale qui se donne par le glaive.
2 Cf. Michel Foucault, dans la première partie de son livre Surveiller et punir, Paris,
1969 : le corps supplicié témoigne de la puissance politique de la royauté d'Ancien Régi
me en France. Cf. Michèle Perrot (éd.), L'impossible prison. Recherches sur le système
pénitentiaire au XIXe siècle. Débat avec M. Foucault, Paris, 1980.
Que l'État ait intérêt à exposer un corps souffrant, cela ne fait point de doute. Callis-
trate, au Livre VI de cognitibus (D. 48, 19, 28, 14), déclare, à propos du supplice de la
furca : « Les brigands de grand chemin seront fixés à la fourche dans les lieux qu'ils ont
dévastés afin que la vue de ce spectacle détournât les autres de crimes pareils et consolât
les parents et les amis des morts assassinés par l'expiation des là où les brigands
avaient commis l'homicide».
Sur l'exemplarité de la peine dans le Code Théodosien: VII, 18, 8 (383); IX, 24, 2
(349); XVI, 5, 7 (381). 362 DENISE GRODZYNSKI
d'une évolution sémantique que je vais préciser, le Code Théodosien
appelle injuria corporalis.
Injuria corporalis ou corporis injuria sont des expressions propres à
ce Code. Elles désignent les châtiments corporels que l'État inflige lui-
même pour punir un coupable. Elles ne désignent pas, stricto sensu, la
quaestio ou les summa supplicia. Cependant tous ceux qui subissent les
summa supplicia ont aussi à subir et quaestio et châtiments corporels.
L'inverse est moins vrai : des esclaves flagellés, ou, dans des cas excep
tionnels, des sénateurs torturés périssent, sous le glaive du bourreau,
d'une mort rapide. Dans la plupart des cas, néanmoins, l'expression
injuria corporalis reste précieuse pour connaître la condition juridico-
sociale du coupable quand celle-ci est passée sous silence.
Mais le mot injuria lui-même? Injuria est défini par Ulpien comme
un acte dépourvu «de droit et de justice». Les injuriae sont des délits
réprimés par l'État selon une actio et une lex spécifiques pendant le
Haut-Empire et par des constitutions particulières au Bas-Empire.
Que signifie donc injuria lorsque le mot est employé par le législa
teur pour qualifier la répression qu'il édicté? Ce terme serait-il passé
du domaine du délit pour entrer dans celui de la sanction?
L'État agirait-il alors «sans droit et sans justice»? Ce n'est effect
ivement pas sans connotation réprobatrice qu'injuria est placé dans une
loi : il y a injuria lorsque des impôts sont levés sur des personnes
n'ayant pas à les verser (par exemple est déclarée «injure» la capitation
plébéienne demandée aux vierges et aux veuves3 ou bien l'exercice de la
justice lorsqu'il s'accompagne de quelque rudesse4. Autant d'inconvé
nients regrettables dont l'État assume la responsabilité. Constantin, de
plus n'hésite pas à parler de Γ« injure de la proscription» pour qualifier
le châtiment qu'il ordonne.
Lorsqu'il s'agit d'« injures corporelles», on relève dans le Code
Théodosien deux attitudes. La première, proche du blâme, lorsque les
coups de bâton ou de fouet atteignent des personnes qui en sont légal
ement exemptées (soit par leur honor, soit par leur innocence (IX, 35,6
399), soit par le privilège propre aux soldats (VIII, I, II; 365). L'État, en
ce cas, réprouve l'initiative de ses représentants et injuria garde son
sens habituel, proche de contumelia. La seconde attitude est très diffé
rente. C'est sans mauvaise conscience que l'État inflige des châtiments
3 C. Th., XIII, 10, 4 (368).
Ubid., IX, 37, 2 (369). Proscriptionis injuria C. Th., IX, 21, 2 (321). MORTELLES ET CATÉGORIES SOCIALES 363 TORTURES
corporels à certaines personnes. L'« injure corporelle» frappe alors
ceux qui, aux yeux du Code, en sont effectivement passibles : des escla
ves et de pauvres gens qui ne peuvent honorer une peine pécuniaire et
dont, seul, le corps peut répondre du délit qu'ils ont commis. Jusqu'ici
il n'y a rien de très neuf, sauf le vocable lui-même.
Mais la vraie logique du système répressif du Bas-Empire n'est pas
là. Elle est donnée par la loi VII, 18, 8, de 383, qui punit ceux qui
cachent les déserteurs. La pénalité est à trois niveaux qui sont détermi
nés par les conditions juridico-sociales des coupables (la loi dit selon la
qualité de l'ordre ou de la personne). Soit donc le cas d'un occultator
susceptible de supporter Γ« injure corporelle» en ce cas il sera fustigé
puis exilé. Mais sa fortune sera préservée.
Ainsi l'État aura montré sa préférence pour l'injure corporelle plu
tôt que pour la confiscation des biens. Certes, cette situation n'est pas
courante mais elle représente, je crois, le ressort intime du système
pénal : même quand un coupable est riche, s'il ne détient aucun privilè
ge, l'État lui inflige un châtiment corporel. Lorsque l'État fait fouetter
un homme pauvre, c'est faute de choix. S'il confisque des patrimoines
et impose des amendes, c'est parce qu'il a besoin d'argent. Mais le
corps reste un enjeu incomparable pour le pouvoir, car le corps est le
lieu exemplaire où il mani

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