Un huis clos de sorties - article ; n°1 ; vol.36, pg 89-105
18 pages
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Description

Communications - Année 1982 - Volume 36 - Numéro 1 - Pages 89-105
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1982
Nombre de lectures 16
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Violette Morin
Un huis clos de sorties
In: Communications, 36, 1982. pp. 89-105.
Citer ce document / Cite this document :
Morin Violette. Un huis clos de sorties. In: Communications, 36, 1982. pp. 89-105.
doi : 10.3406/comm.1982.1541
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1982_num_36_1_1541Violette Morin
Dans les Fragments d'un discours amoureux
... un huis clos de sorties *...
... dans le calme aimant de tes bras : donc un lieu de
contradictions, s'il faut vraiment en sortir et y rester simultané
ment. C'est le paradoxe que ce Discours me semble proposer bien
que les Fragments, un par un, ne l'explicitent pas. Chacun décrit
les folies de n'importe quel amoureux, vraiment amoureux, avec
ses torrents de joies et d'angoisses dont l'« alternance » peut être
aussi facilement programmée dans la vie que résumée ici : être
amoureux c'est « ne penser » qu'à lui, « ne rêver » que de lui,
« l'avoir tout entier » à soi-seul comme « se donner tout entier » à
lui-seul. Un long programme dont les absolus désirs restent peu
compatibles avec les normes séculières de la vie spirituelle et
sociale. Etre amoureux d'un autre est donc amorcer, à travers les
autres, une sorte de course d'obstacles à deux niveaux : celui de
l'instinct de conservation qui refuse de se laisser ruiner l'âme par
des abandons aussi suicidaires, et celui de l'instinct grégaire Aqui
refuse de se laisser bafouer par des replis aussi égoïstes. Etre
amoureux serait donc toujours une tragédie, comme dans les
romans, si chacun ne savait, presque de naissance, combien le
plaisir d'être amoureux est passé maître dans l'art de sauter
fougueusement ces mêmes obstacles à mesure qu'il les provoque ;
et même de les provoquer pour accroître son plaisir en les
sautant.
Qu'en est-il de l'amoureux qui parle ici ? De cet amoureux qui
parle, avec tant de recul dans renonciation, tant de désinvolture
dans la coulée alphabétique qu'on le dirait, figure après figure,
tout à fait neutre, objectif, comme s'il parlait à la place du premier
amoureux venu. Sans doute une des originalités de ce texte
tient-elle au caractère provocant du sujet traité, comme il a été
parfois dit ; et aussi à la qualité sans pareille de son écriture,
comme il est toujours dit. Certes, professeur au Collège de France,
* Toute citation est en italique et tout italique est une citation. Chaque citation se
réfère à un mot ou à une idée retrouvée au moins dans une dizaine de fragments.
89 Violette Morin
il y a une sorte de courage à remonter « sérieusement » jusqu'à
cette enfance-de-l'art d'aimer si familière à tous, et d'y remonter
de surcroît à contre -courant des performances sexuelles auxquell
es tendent, par mille « créativités » de choc, tant de Frustrés et de
Comblés modernes. Il reste pourtant qu'une originalité d'un autre
niveau pourrait s'imposer si l'on voulait bien, comme ces lignes
vont tenter de le faire, considérer le discours dans son unité
conséquente, je dirais aussi bien son sens « global » ou « massif »
(comble de l'horreur pour l'« écriture » de R. Barthes), et non
dans le sens explicité, voulu « commun », loquèle embryonnaire,
de chaque figure lue séparément. Il y a, dans le « singulier »,
précisément, de ce discours, un sens, bien subjectif celui-là, qui
relie tous les morceaux en une sorte de paradoxe grandiose, de rire
sans rire, que je nommerai plus loin et faute de mieux « humores-
que ».
Je n'hésiterai donc pas à traverser impunément cette écriture,
comme l'autre les miroirs, pour regarder un peu de l'« amoureux »
parlant ici, avec ses stylos, ses pendulettes, ses pleins-et-déliés
d'écriture. J'ai envie de soulever en tous sens, comme le vent avec
les feuilles d'automne, les mots et les phrases du texte et de les
sentir se poser autrement. Peut-être retrouverai- je, au hasard d'un
carambolage de fragments, l'arrondi d'une main charnue et si
légère sur la cigarette, la douceur bronzée d'une parole, la
turbulence bleu-mer d'un regard... Ironie tristement désœuvrée
du sort, je voudrais enlever le tain protecteur de l'« écrivain » pour
frôler un peu de l'« écrivant ». Le style, c'est l'homme et... tout le
monde en est d'accord... Mais un peu comme l'habit-fait-le-
moine. Quand l'homme n'est plus, le style se fait aussi lourd que
l'habit sur les bras de ceux qui l'aimaient ; que faire... sinon
tenter, ici ou là, de suspendre les deux à la patère du temps et les
remuer au rythme de son angoisse pour voir errer quelques nuages
de moments chauds, de non-dits oubliés... Je voudrais donc, et
par-delà, précisément, l'écriture de ces Fragments, regarder vivre
encore un peu celui qui les a écrits : Qui m 'aime pour moi-même
ne m7 aime pas pour mon écriture.
Redisons que la très méticuleuse matité de leur énonciation rend
ces fragments tentants à manipuler, j'allais écrire à déflorer. Leur
éparpillement s'offre de lui-même à ces modes de regroupements
quantitatifs qu'on appelle toujours « analyses de contenus »,
regroupements dont R. Barthes s'inquiétait si fort aux origines
épistémologiques de notre Centre d'études. Ce type d'analyse, que
pour ma part je privilégiais dans l'étude des communications -
de-masse parce que je le trouvais fureteur et indiscret, allait (plus
90 huis clos de sorties Un
qu'aujourd'hui) à l'encontre de l'approche dite alors structurale
des textes. Il s'attache toujours à relever non ce qui-est-dit, dans
un texte, mais ce dont-il-est-parlé ; non le mode de fabrication du
« sens » d'un texte, ni, à la lettre, ce « sens » lui-même, mais l'idée
ou le thème auquel ce sens textuel se réfère. Ainsi, dans ces
fragments de discours, tous « différents » les uns des autres, on
peut repérer le plus ou moins grand nombre de références à
quelques « idées » et par là, la plus ou moins constante obsession
de pensées auxquelles aucun d'entre eux ne fait allusion
explicitement. Il faut bien admettre que R. Barthes n'est pas
tombé par hasard sur ces Fragments. Ce sont des morceaux
choisis : des figures qu'il a prélevées dans une multitude de traits
reconnus par tous les amoureux du monde, mais qu'il a brodées
d'un même fil, d'une même façon personnelle, intérieure, de
penser et de vivre, qui n'appartenait qu'à lui.
*
Ces fragments de discours, nommés aussi airs syntaxiques ou
lieux syntaxiques, sont désignés par là même comme autant de
gestes, de mouvements marqués par la référence à une double
pulsion : soit celle de se rapprocher toujours plus souvent et plus
près de l'autre que j'appellerai la pulsion fluante. C'est la pulsion
normale de l'amoureux, celle, altruiste, qui le comble de joie et au
profit de laquelle il consacre le plus clair de son temps ; soit, au
contraire, la pulsion refluante, celle, égotiste, qui contraint
l'amoureux à se distinguer fatalement de l'autre, voire, selon les
goûts, à s'en absenter par discrétion, tact, raffinement ou même
perversion : ne pas accabler l'autre de sa présence ou s'éloigner de
lui pour provoquer le plaisir pervers de le retrouver. L'alternance
des Flux et Reflux est médiatisée ici par une troisième pulsion,
celle de la Rencontre, qui est la zone étale des jouissances où
l'amoureux est enfin avec l'autre. On sait combien fragile est cette
dernière dans le cas de l'amour- amoureux, amour-passion, que
rien de concrètement acquis, pas même l'amour physique, ne peut
satisfaire... En général, l'amoureux que nous avons tous été
s'arrange plus ou moins avec l'utopie désintéressée et ruineuse de
ses élans ; il compose dans Y alternance : quand il « va vers »
l'autre, il chasse l'idée qu'il faudra le quitter ; quand il « le
quitte », il caresse le moment où il reviendra, et il est
« avec », tout au plaisir des sens, alors au diable l'imaginaire avec
sa soif d'absolu... Et que le plaisir dur

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