Une émeute anti-juive à Constantine (août 1934) - article ; n°1 ; vol.13, pg 23-40
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Une émeute anti-juive à Constantine (août 1934) - article ; n°1 ; vol.13, pg 23-40

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Description

Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée - Année 1973 - Volume 13 - Numéro 1 - Pages 23-40
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1973
Nombre de lectures 154
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Charles-Robert
Ageron
Une émeute anti-juive à Constantine (août 1934)
In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, N°13-14, 1973. pp. 23-40.
Citer ce document / Cite this document :
Ageron Charles-Robert. Une émeute anti-juive à Constantine (août 1934). In: Revue de l'Occident musulman et de la
Méditerranée, N°13-14, 1973. pp. 23-40.
doi : 10.3406/remmm.1973.1189
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0035-1474_1973_num_13_1_1189EMEUTE ANTI- JUIVE A CONSTANTINE UNE
(août 1934)
par Charles-Robert AGERON
La ville de Constantine connut en août 1934 ce que certains contemporains
ont appelé un pogrom, Les massacres de Constantine ; ce que d'autres ont décrit
comme le heurt sanglant mais inopiné de deux communautés vivant jusque là en
bonne intelligence ; ce que d'autres encore ont expliqué comme étant La sanglante
provocation de Constantine. C'est dire que cet épisode tragique de l'histoire de
Constantine provoqua sur l'heure un flot de commentaires passionnés. Il est donc
un peu surprenant que les historiens ne s'y soient pas intéressés. Quel que soit le
risque prévisible d'être récusé ou condamné par les parties en présence, nous
voudrions dans les limites d'un bref article procéder à une analyse critique des
faits et des explications proposées par les contemporains (1).
*
* *
La vieille cité de Constantine était demeurée dans les années d'après la
première guerre mondiale ce qu'elle avait toujours été, une capitale administrative
et une place commerciale, essentiellement un marché de tissus et un marché aux
grains. Malgré une forte poussée démographique — Constantine était passée de
65 000 habitants en 1911 à 99 600 en 1931- la ville peu modernisée, peu
industrialisée, restait fort traditionaliste. A l'image de la plupart des villes de
l'Algérie coloniale, elle demeurait composée de communautés juxtaposées, non
(1) Quatre publications nous ont paru essentielles, reflétant toutefois une partie seul
ement de l'opinion publique :
— A. Koubi, Les massacres de Constantine, brochure de 80 p. datée du 26 août 1934,
(donne le point de vue juif, vu par un auteur socialisant). L'expression de pogrom est
notamment employée par Le Populaire de Paris à partir de septembre 1 934.
— Le Rapport de la Commission d'enquête administrative (7 octobre 1934) fournit la
synthèse officielle de nombreux témoignages oraux et écrits.
— Le Parti communiste a publié les résultats de son enquête sous le titre : — La sanglante
provocation de Constantine - Rapport de la délégation ouvrière d'enquête. Lucien Monjauvis,
député de Paris, A. Zimmerman et Me Haje délégué et avocat du Secours Rouge International
Paris, 2 janvier 1935.
— Les événements de Constantine et le problème indigène algérien de Victor Spielmann
permet de retrouver les positions des Musulmans, vues par un ancien communiste, devenu le
champion de la cause indigène. Ch.-R. AGERON 24
mêlées. Européens, Juifs et Musulmans cohabitaient, mais le plus souvent dans des
quartiers distincts. Dans cette ville étagée, on pouvait même distinguer grosso-
modo une véritable stratigraphie ethnique ; les Musulmans occupaient le bas de la
ville, les Européens la bande centrale, les Juifs la partie haute. Toutefois le vieux
quartier juif, créé par Salah Bey à la fin du XVIIIe siècle, n'abritait plus l'ensemble
de la population juive : d'assez nombreux Juifs vivaient dans les quartiers
européens voire musulmans (2), ou s'étaient installés dans les nouvelles cités
d'habitations à bon marché construites à leur intention.
Bien que la communauté juive ne formât que 12 à 13 % de la population (3),
c'était une idée reçue dans l'Algérie coloniale que Constantine était une ville
arabo-juive. Par le nombre, les Arabes y avaient la majorité, puisqu'ils composaient
un peu plus de la moitié de la population — 51 445 sur 99 595 en 1931 — ; par la
richesse et le commerce les Juifs passaient pour exercer l'influence prépondér
ante : "ils décident à peu près de tout" déclaraient les Franco-Européens, alors
volontiers "antijuifs", selon l'expression locale. En fait cette impression était
fausse ; le pouvoir et la richesse étaient bien plutôt du côté des Français et des
Européens, mais cette erreur elle-même est révélatrice de la persistance de
l'antijudaïsme à Constantine.
Le député-maire de la ville, E. Morinaud, ex-radical anti-juif et directeur du
journal Le Républicain, "quotidien républicain autonomiste", était certes provi
soirement réconcilié avec les Juifs, qui votaient régulièrement pour lui grâce à son
fidèle Narboni (4). Mais la Droite en progrès menait depuis quelques années une
vive campagne antisémitique dans laquelle se distinguaient les professeurs Devaud
et Claude Martin au nom des Croix de Feu. Constantine disposait même de deux
feuilles essentiellement occupées à la propagande anti-juive (5) : L'Eclair de Lautier
et l'hebdomadaire Tam-Tam de Laxande.
(2) On trouvera une bonne carte de l'habitat juif dans l'ouvrage du rabbin Eisenbeth, Les
juifs en Afrique du Nord, Alger, 1936. Les Juifs habitaient dans toute la partie de la ville
limitée par la Qaçba, la rue Thiers, la rue Nationale et le boulevard Joly de Brésillon, mais ils
étaient surtout concentrés dans la partie Nord et Nord-Est.
(3) Après le recensement de 1931, on évaluait la population juive du département de
Constantine à 25 098, celle de l'Algérie à 87 136 (citoyens français). Par un dépouillement
méthodique, le rabbin Eisenbeth arrivait à des résultats plus sûrs : 27 190 pour le département,
110 127 pour l'Algérie. En 1934 les autorités parlaient de 12 000 Israélites à Constantine;
Eisenbeth donne 13 110 pour 1931.
(4) En 1936, Morinaud se retrouva antijuif et se rapprochant des Croix de Feu en appela
à la "prédominance française". Le dernier des "mousquetaires gris" de 1898 prit position contre
"le Front populaire juif" et aurait crié à nouveau : "En bas les Juifs ! ". Dans ses Mémoires,
Morinaud a longuement évoqué l'antijudaïsme des années 1895 à 1902 à Constantine. Il a un
mot pour son ami Narboni qui lui avait assuré une difficile élection en 1904. "Narboni mourut
le 4 août 1934, écrit Morinaud (p. 336), la veille même du jour où se déclencha l'émeute
sanglante (. . .). Heureusement Dieu a voulu que ce bon Juif n'ait pas eu sous les yeux un aussi
épouvantable spectacle".
(5) A côté de la propagande antijuive déclarée (celle du Dr Molle et du "parti latin"
d'Oranie ; celle de Charles Hagel, grand prix littérature de l'Algérie 1931 et auteur d'un livre
imprimé en 1934 Le Péril Juif), il faut tenir compte surtout de "l'antisémitisme sournois des
bons républicains qui se croient démocrates et déclarent : "Moi je ne peux pas sentir les Juifs"
(E. Kahn à La Ligue des Droits de l'Homme). EMEUTE ANTI-JUIVE. CONSTANTINE 1934 25
En revanche, Musulmans et Juifs cohabitaient pacifiquement depuis long
temps à Constantine et, compte-tenu d'une dégradation des rapports dont nous
reparlerons, on ne saurait invoquer paresseusement une tradition historique
séculaire pour expliquer les événements d'août 1934.
Les événements du 3 au 6 août 1934 (6)
C'est le 3 août 1934, un vendredi, que se produisit l'incident qui devait
déclencher toute l'affaire. Un maître-tailleur israélite de 46 ans, commissionné
dans un régiment de zouaves, Eliaou Kalifa, rentrait vers 20 h 30 à son domicile
situé près de la mosquée dite de Sidi Lakhdar. Pris de boisson, il injuria des
Musulmans aperçus par une fenêtre en train de procéder à leurs ablutions et, selon
ceux-ci, il aurait uriné sur eux et sur la mosquée. Entre les Musulmans qui vinrent
lapider les fenêtres de son logement et les locataires juifs des immeubles voisins
qui les bombardèrent avec des projectiles divers, ce fut bientôt la bataille. Avec les
premiers coups de feu, l'affaire s'étendit; la police, puis la troupe, intervinrent pour
barrer les rues et interdire l'accès à une centaine de Mus

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