Valeurs : les choix de l'école - article ; n°1 ; vol.97, pg 31-51

Jean Houssaye

Description

Revue française de pédagogie - Année 1991 - Volume 97 - Numéro 1 - Pages 31-51
L'école d'aujourd'hui est l'école d'une société pluraliste et sécularisée. Est-ce à dire que pour autant, dans les choix qu'elle fait, l'école a accepté d'être l'école de cette société ? Il sera établi qu'au contraire, tant dans les rapports qu'elle établit avec ses partenaires et ses usagers, que dans les contenus disciplinaires qu'elle transmet, que dans les attitudes sociales qu'elle inculque, l'école s'efforce d'imposer son propre système de valeurs dont la caractéristique essentielle est l'étroitesse. Le choix fondamental de l'école est donc d'abord celui de la non-pluralité.
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: REVUE_FRANCAISE_DE_PEDAGOGIE
• Publié le: 01 janvier 1991
• Nombre de lectures: 39
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

Mr Jean Houssaye
Valeurs : les choix de l'école
In: Revue française de pédagogie. Volume 97, 1991. pp. 31-51.
Résumé
L'école d'aujourd'hui est l'école d'une société pluraliste et sécularisée. Est-ce à dire que pour autant, dans les choix qu'elle fait,
l'école a accepté d'être de cette société ? Il sera établi qu'au contraire, tant dans les rapports qu'elle établit avec ses
partenaires et ses usagers, que dans les contenus disciplinaires qu'elle transmet, que dans les attitudes sociales qu'elle inculque,
l'école s'efforce d'imposer son propre système de valeurs dont la caractéristique essentielle est l'étroitesse. Le choix fondamental
de l'école est donc d'abord celui de la non-pluralité.
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Houssaye Jean. Valeurs : les choix de l'école. In: Revue française de pédagogie. Volume 97, 1991. pp. 31-51.
doi : 10.3406/rfp.1991.1339
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfp_0556-7807_1991_num_97_1_1339Valeurs :
les choix de l'école
Jean Houssaye
tant disciplinaires dans L'école dans les d'aujourd'hui choix les qu'elle rapports transmet, est fait, qu'elle l'école que établit d'une a accepté dans société avec les d'être attitudes ses pluraliste l'école partenaires sociales et de sécularisée. cette et qu'elle ses société inculque, usagers, Est-ce ? Il sera l'école que à dire établi dans s'efforce que qu'au les pour contraire, contenus d'impoautant,
ser son propre système de valeurs dont la caractéristique essentielle est l'étroitesse. Le choix fondament
al de l'école est donc d'abord celui de la non-pluralité.
Quand on se propose d'examiner Les valeurs à présence des valeurs. On les trouve d'abord dans
l'école (ouvrage à paraître), parmi toutes les les idéologies qui fondent les politiques éducat
questions qui se posent à ce sujet, s'il en est une ives, l'idéologie étant obligatoire, l'homme, en
qui semble rapidement incontournable, c'est bien tant qu'être intelligent, ne pouvant pas « ne pas
celle des choix que fait l'école dans son fonctio rationaliser ses choix de valeurs et les justifier
nnement quotidien et dans sa mise en œuvre domi intellectuellement » (p. 9). Quelles idéologies ? His
nante. On n'échappe pas alors à la question d'une toriquement, elles se sont nommées Religion,
part de la présence de la valeur, d'autre part de la Positivisme, Marxisme (même si chacune a tenté
pluralité des valeurs. Mais en même temps on ne de faire croire qu'elle échappait précisément à
peut oublier que cette école s'inscrit dans une l'idéologie, et que c'est ce qui établissait qu'elle
société qui se présente comme une société sécul était vérité). A la doctrine religieuse qui mettait au
arisée, c'est-à-dire pluraliste sur le plan des premier plan la révélation et l'obéissance, l'idéolo
valeurs. Comment se fait alors sur ce plan l'articu gie positive républicaine a opposé sa foi dans la
lation entre l'école et la société. Autrement dit, laïcité, la science, la tolérance de la preuve object
l'école a-t-elle accepté d'être l'école d'une société ive et le conservatisme moral appuyé sur le pro
sécularisée ? grès. Quant à la pensée marxiste, elle a surtout
généré une volonté d'unification des systèmes
éducatifs (afin de mettre fin à la ségrégation scol
aire capitaliste) et une importance réelle donnée LA POLITIQUE DU CHOIX
au travail productif dans la formation. Peut-on
A vrai dire, à l'école, les valeurs sont partout. croire que ces idéologies se sont effondrées et
que seul maintenant un pragmatisme de bon aloi L. Legrand (1988) a très bien montré cette
Revue Française de Pédagogie, n° 97, octobre-novembre-décembre 1991, 31-51 31 se proposant d'adapter l'école aux réa l'échec scolaire. C'est une fois de plus une affaire s'impose,
lités économiques et sociales, de subordonner de choix, une affaire de valeurs. Bref, L. Legrand
l'école aux volontés des consommateurs ? Dans le démontre en permanence : les valeurs sont et
ce cas, le rendement ne serait pas une valeur nécessaires à l'école et diverses dans l'école.
idéologique ! Comment le soutenir ? L'idéologie Ceci étant établi, il n'est pas certain pour autant
libérale existe elle aussi, se masquant sous un que par le fait même l'on débouche sur l'accepta
discours du réalisme ; elle fait ses choix quant à tion de la sécularisation. En effet, ce n'est pas
l'école : filières, sélection, liberté de choix parent parce que les conceptions de l'école sont plu
ale, etc. Autrement dit, c'est parce qu'on ne peut rielles qu'elles acceptent pour autant la pluralité.
échapper aux valeurs qu'on ne peut échapper aux Constater la pluralité, ce n'est pas la justifier et
idéologies. encore moins l'établir comme la valeur de base...
L'école fait donc des choix. Fort bien. Mais quels Les valeurs, on les trouve aussi dans les struc choix fait-elle et dans quels domaines ? Et surtout tures : « En matière d'enseignement, la dialectique
qu'en de ces choix ? Or, curieusement, on centralisation-décentralisation a donc une impor
peut très bien commencer par établir que l'école tance considérable dans la mesure où elle est liée
est opposée aux valeurs... et que c'est là un à des conceptions très différentes de l'éducation choix. et des valeurs qu'elle met en œuvre » (p. 62). A la
centralisation est attaché I' « éhtisme républicain »
qui véhicule le mérite individuel sur fonds de
normes communes, la justice sociale sur de A - UN CONSTAT :
savoir libérateur. La décentralisation, à l'inverse, L'ÉCOLE CONTRE LES VALEURS
privilégie la vie en commun et la reconnaissance
de la diversité, préférant prendre en compte ces Une telle affirmation peut sembler gratuite et
éléments de la réalité pour fonder une école plus provocatrice ! Essayons cependant de l'examiner
sous un premier angle et posons que l'école est juste et plus adaptée. Les valeurs, on les trouve
contre les valeurs des jeunes. D'après deux encore dans les contenus scolaires (organisés en
curricula). Quelles disciplines retient-on ainsi dans auteurs québécois, P. Audy et C. E. Caouette, le
les cursus ? Auparavant, il semblait évident qu'il fait est très net en ce qui concerne les « drop
out » (les élèves décrocbeurs, ceux qui quittent fallait différencier les parcours (exemple : le pr
l'école sans diplôme). On repère chez ces jeunes imaire n'enseignait pas la même chose que l'él
« un système de valeurs où l'harmonie, la relation émentaire du secondaire). Dans les années
avec autrui et la communication interpersonnelle soixante, pour des raisons essentiellement écono
dominent largement les valeurs traditionnelles miques, les tendances à l'unification l'ont
emporté. Aujourd'hui, les sirènes différenciatrices telles l'élitisme, l'individualisme, ou la réussite tant
recommencent à retentir (est-il vraiment opportun personnelle que sociale. Notons cependant que le
de maintenir les mêmes savoirs et les mêmes diplôme et l'accès au marché du travail demeurent
des préoccupations importantes pour un bon exigences pour tous ? ne faudrait-il pas accepter
nombre de ces jeunes» (1981, p. 266). N'ont-ils des différences culturelles à la base des diff
érences sociales ?). pour autant rien apprécié à l'école ? Si, les ren
contres entre camarades pour les filles, les actiLes valeurs, on les trouve enfin dans les prio vités sportives pour les garçons. En fait, la perrités institutionnelles. Celles que l'on reconnaît ou ception réciproque entre enseignants et jeunes est
non à la lutte contre l'échec scolaire en témoi d'autant plus négative que leurs attentes
gnent. L'importance que l'on accorde à la généti mutuelles ne sont pas du même ordre : plus d'apque ou à la sélection sociale débouche sur une plication au travail de la part de l'élève chez les vision « réaliste » qui favorise