Voir et regarder - article ; n°1 ; vol.34, pg 85-96
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Description

Communications - Année 1981 - Volume 34 - Numéro 1 - Pages 85-96
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1981
Nombre de lectures 22
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Eric de Kuyper
Emile Poppe
Voir et regarder
In: Communications, 34, 1981. pp. 85-96.
Citer ce document / Cite this document :
de Kuyper Eric, Poppe Emile. Voir et regarder. In: Communications, 34, 1981. pp. 85-96.
doi : 10.3406/comm.1981.1509
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1981_num_34_1_1509Éric de Kuyper
Emile Poppe
Voir et regarder
Dans ce qui va suivre, il s'agira plus d'une ébauche que d'une mise en place
définitive du « voir » et du « regarder ». Pour rendre compte des « avatars » de
la vision, nous avons opposé deux types d'organisations spatiales, le panorama
et le diorama, à deux autres types spatiales, étudiées ailleurs et
sous un autre angle par Michel Foucault, le panoptique et la société du
spectacle.
Ce choix n'a, comme on dit, que « valeur d'exemple ». (Ce genre de
déclaration — doit-on le souligner ? — est toujours empreint d'un semblant de
sérénité scientifique, bien fait pour cacher des préoccupations latentes, non
déclarées, non assumées, ou non encore conscientes chez ceux qui la font !)
Ces organisations — Foucault l'a démontré pour sa part et à sa façon — ne
sont pas innocentes : elles font plus que simplement ordonner et baliser les
données physiques et matérielles de l'espace. Elles le font avec un but, avoué ou
non. Elles mettent toujours en action une organisation de significations bien
précises.
Nous nous attacherons plus spécialement aux activités du voir et du
regarder. Ainsi tout un pan, majeur, qui « colle » au verso de ces « faire » sera
obnubilé, délaissé. Bien que, si l'on peut en croire R. Barthes, ce soit là une
activité non négligeable, car : « Ce qui est caché (est) pour nous occidentaux
plus " vrai " que ce qui est visible. » Dans le panoptique et le diorama, il y a un
désir évident de voir aussi l'envers, le verso du recto que l'on exhibe. Dans le
panoptique et le panorama, une stratégie, différente chaque fois, du « tout
voir » trahit sans aucun doute le désir de voir ce qui ne peut être vu.
En tentant de comprendre quel est l'enjeu du regarder, on peut espérer
suggérer déjà quels autres enjeux cache l'organisation spatiale du voir en
regarder.
Ainsi, tout ce qui est dit ici n'est là que pour essayer d'en savoir plus, d'en
savoir plus sur ce qui n'est pas (encore) dit.
I. PANORAMA ET DIORAMA : QUELQUES REPERES.
On connaît l'opposition que fait M. Foucault 1 entre la société antique et la
société des âges modernes, sur la base d'une organisation spatiale propre à
chacune d'elles. En s'inspirant des remarques de N.H. Julius, Foucault propose
de considérer deux types de société : la < société du spectacle > (l'Antiquité) où
85 Éric de Kuyper et Emile Poppe
« l'inspection d'un petit nombre d'objets (est rendu accessible) à une multitude
d'hommes » . Celle-ci différant de l'Age moderne où « le problème inverse est
posé, procurer à un petit nombre, ou même à un seul, la vue instantanée d'une
grande multitude ».
Ce qui nous retiendra ici, ce sont avant tout les aspects d'organisation
spatiale ; laisserons de côté les autres éléments, tels que le « nombre », ou
encore la typologie culturelle qui intéresse en premier lieu Foucault.
Voilà donc, d'une part, une organisation qui favorise ceux qui voient —
les spectateurs — en présentant l'objet de cette vision d'une façon « acces
sible », la plus accessible possible. D'autre part, nous aurions un entourage
qui se donne à voir, ou mieux : est forcé de se donner à voir, sous tous ses
aspects, au profit d'un point de vue unique (ou pluriel, mais unifié, cen
tralisé).
Les panoramas, exposés et accessibles au public, connaissent une grande
vogue tout au long du XIXe siècle 2. Robert Barker dépose son « invention » en
1787, après avoir peint une vue panoramique de la ville d'Edimbourg. Le
procès-verbal de la classe de littérature et beaux-arts donne un commentaire
détaillé de cette « invention » : « Le nom de Panorama est composé de deux
mots grecs qui signifient " vue de la totalité ", vue de l'ensemble ; ce mot seul
présente à l'esprit l'idée de cette découverte 3. » « Le Panorama n'est autre
chose que la manière d'exposer un vaste tableau en sorte que l'œil du
spectateur embrassant successivement tout son horizon, en ne rencontrant
partout que ce tableau*, éprouve l'illusion la plus complète 4. »
L'objectif est donné : créer une illusion totale. Cette illusion totale cependant
ne pourra être obtenue de façon absolue (et c'est la seule manière qui intéresse
les créateurs du Panorama ! ) qu'en éliminant systématiquement tout terme de
comparaison possible. Cet effet ne peut être obtenu qu'en résolvant les
problèmes de cadre : «... les tableaux quelque grands qu'ils soient sont
ordinairement renfermés dans un cadre, qui dès l'abord avertit qu'ils
ouvrages de l'Art 5 » . On veillera donc, en premier lieu à placer le
spectateur- œil dans un endroit idéal : «... au centre d'un édifice circulaire,
d'environ dix-sept mètres de diamètre sur sept de hauteur, et couvert d'un toit
de forme conique, [sous lequel] s'élève une plateforme isolée, dont la hauteur
est la moitié de celle de l'édifice ; [elle est] environnée d'une balustrade ; cette
plateforme oblige le spectateur à être, dans tous ses mouvements, à une
certaine distance des murs de l'enceinte circulaire. Sur ces murs est tendue la
toile du tableau exposé, de manière que couvrant la totalité de la circonférence,
ses deux extrémités se confondent en un même point. Les objets y sont
représentés d'après les règles ordinaires de la perspective et de la peinture en
prenant le centre de la plateforme pour le point de station du spectateur 6 » . Le
problème consistera donc à effacer au mieux les jointures, à cacher les
frontières entre le tableau et ce qui ne l'est pas. Car, toute frontière fait
intervenir un élément comparatif, et c'est là précisément ce qui doit être évité.
Dans le haut, c'est assez simple : un vaste « parajour » cachera les bords
supérieurs du panorama et la toiture. Elle cachera également l'éclairage,
obtenu par une ouverture circulaire — d'environ un mètre nous dit-on — qui
laissera entrer le jour. Cette solution est pleinement satisfaisante : elle sera
d'ailleurs conseillée à d'autres fins, par exemple comme éclairage-type dans les
86 Voir et regarder
musées. Par contre, la jointure entre le bas du panorama et le sol est plus
difficile à cacher. C'est là que l'art illusionniste interviendra au maximum. Au
départ on s'inspirera de solutions théâtrales 7, et on s'ingéniera à « mettre
en scène » des éléments décoratifs tri-dimensionnels. Un tableau vivant, en
fait exécuté en trois dimensions, tentera de rendre le passage entre la
toile et l'avant-plan, entre le vertical et l'horizontal, le plus progressif
possible 8.
L'opposition art-illusion est dès l'abord mise en valeur. Ainsi, les
personnages représentés le doivent être dans leur mouvement de façon très
prudente, sinon les spectateurs remarqueraient que « c'est un ouvrage d'art et
dès lors plus d'illusion 9 » .
Mais bien vite la notion de technicité illusionniste va être remplacée par une
préoccupation « scientifiste » (c'est d'ailleurs déjà le cas, dès le départ, lorsque
Barker fait patenter sa découverte), et la notion corrélaire de progrès
intervient : « Mais ne serait-ce pas possible que cette découverte fit faire à la
peinture un pas vers la perfection ? (...) Ne prouve-t-elle pas déjà que les
moyens fournis par les sciences, réunis aux connaissances pratiques de l'art et
au raisonnement d'un esprit juste et calculateur peuvent encore enfanter de
nouveaux prodiges 10 ? »
Reste le problème — pas seulement technique, on l'a vu — de la jonction à
l'avant-plan. Les objets matériels adjoints à la toile peinte sont appelés
« imitation matérielle »

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