Aperçus sur la mentalité monastique en Provence au XIe siècle - article ; n°2 ; vol.27, pg 415-426
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1972 - Volume 27 - Numéro 2 - Pages 415-426
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1972
Nombre de lectures 32
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Paul Amargier
Aperçus sur la mentalité monastique en Provence au XIe siècle
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 27e année, N. 2, 1972. pp. 415-426.
Citer ce document / Cite this document :
Amargier Paul. Aperçus sur la mentalité monastique en Provence au XIe siècle. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations.
27e année, N. 2, 1972. pp. 415-426.
doi : 10.3406/ahess.1972.422510
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1972_num_27_2_422510Aperçus sur la mentalité monastique
en Provence au XIe siècle
Si l'une des voies de l'histoire venant recouper diverses pistes de la recherche
psychanalytique doit conduire à interpréter les arrangements symboliques propres
à certains ensembles, il faut reconnaître que de ce point de vue les institutions monast
iques offrent un terrain de choix. Aussi ai-je été amené, sur un groupe bien caract
érisé, celui de la congrégation bénédictine marseillaise de Saint- Victor, à proposer
pour le xic siècle non certes une interprétation, mais un schématique relevé de
quelques thèmes susceptibles d'orienter la réflexion dans le sens indiqué, ici même,
par Alain Besançon1. Puisse cet essai contribuer à une meilleure saisie des hens
qui unissent un système culturel donné, aux hommes qui lui prêtèrent vie.
Obsessions
Situé en bordure d'un plan d'eau merveilleux où la lumière scintille, éblouissante,
le monastère de Saint- Victor, à Marseille, se présente tout au long du Moyen Age.
comme un de ces hauts lieux vers lesquels les hommes aiment à tourner leurs regards.
Il n'est donc pas étonnant qu'aux yeux du pèlerin médiéval des anges soient apparus,
couronnant de leurs ailes les créneaux de l'antique abbaye. Ainsi au biographe de
l'abbé Isarn (t 1047) quand, peu d'années après la mort de son héros, il écrit :
« Comme au bout de quelques jours j'arrivais au vénérable monastère marseillais,
que nous l'eûmes devant nous, nous le vîmes cerné des chœurs de la céleste cour
qu'il abrite » 2. Pour ceux qui habitent les bâtiments claustraux, là est l'idéal : devenir
semblable aux anges bienheureux 3.
1. A. Besançon, Vers une histoire psychanalytique, I & II, Annales E.S.C., 1969 (XXIV) n0> 3 & 4.
Cf. spécialement pp. 1024-1029.
2. « Vita Ysarai », Acta Sanctorum. Sept. VI, vol. n° 46, p. 737.
3. Sur ce point on pourra consulter le § Idéal angélique de notre article Église et Société dans des
cartulaires provençaux du XIe siècle, Recherches de Science Religieuse, 1969 (LVII) n° 2, p. 227.
415 MENTALITÉS ET CULTURE
Mais s'il y a d'un côté les anges et ceux qui essaient de s'assimiler par une vie de
prière et d'ascèse à leur condition, il y a par contre la masse de ceux qui à cause de
leurs péchés vivent dans la terreur et la crainte du jugement dernier. Les exemples
foisonnent qui permettent d'illustrer très concrètement cette petite peur domestique,
compliquée par l'intervention de celui qu'une de nos chartes appelle le « livide
dragon » 4.
Le Satan est cependant moins omniprésent qu'on l'attendrait a priori. Les
chartes auxquelles nous avons affaire sont en provenance d'un fonds monastique
qui a dû enregistrer en profondeur les leçons tant des Dialogues de Sulpice-Sévère
que de sa Vita Martini: le diable dans le fil de cette tradition apparaissant sous des
dehors plus ridicules que redoutables. Le plus souvent le démon est totalement
absent, seule la mauvaise nature du pénitent est mise en accusation. Ce ne sont pas
les textes les moins dramatiques 5.
Tous ceux qui vivent hors la Jérusalem descendue du ciel, image de la Civitas Dei,
dont les murs se dressent face à la ville, tant clercs que laïcs, à quelque niveau de la
société qu'ils appartiennent, sont manifestement hypnotisés par cette terreur qui
fournit le cadre essentiel d'une attitude mentale : « territi de peccatis que miseri
fecimus satis in dictis et in factis ; timentes penas inferni et trementes quoque diem
iudicii » est une formule qui revient en leitmotiv. Nous garderons présent à l'esprit
que « nos sources nous livrent un vocabulaire factice, stylisé, fort différent des
dialectes utilisés dans la vie quotidienne et qui servait de moule à la pensée commune...
langage plein d'artifices, semblable à un vêtement d'apparat, imparfaitement ajusté
et qui engonce » e. Il est toutefois hors de doute que dans le cas présent les formules,
si maladroites, si exagérées soient-elles, traduisent une angoisse réelle, qui n'est
que l'envers de l'un des besoins les plus profondément enracinés au cœur de l'homme,
celui de sécurité. L'homme est un pèlerin, en marche vers sa vraie patrie. Au bout
de son pèlerinage l'attend un jugement. S'il le redoute c'est parce que, ayant échappé
aux puissances de ténèbres, il désire entendre la mitissima vox lui dire : « Venez les
bénis de mon Père » 7.
L'abbaye qui dresse son enceinte et ses tours sur le rivage du Lacydon — « sita
gallicis extremis in oris » 8 — apparaît à cette humanité désireuse de trouver un
refuge, comme le seul lieu où il soit possible de préparer l'avènement du face à face.
Préparation assidue qui ne peut se vivre qu'en renonçant peu ou prou à l'inquiétude
mondaine, et donc en optant pour la summa quies qu'offre la vie monastique, qui
est aussi secura quies 9. Sécurité qui n'est ici qu'un aspect de la paix, non seulement
stabilité d'un ordre social qu'on entend maintenir, mais aussi attitude intérieure
conforme à l'esprit des béatitudes. L'homme pacifique se sait appelé fils de Dieu.
Tranquillité et sécurité lui sont indispensables pour atteindre à la rectification et
4. B. Guérard, Cartulaire de V abbaye de Saint-Victor de Marseille (Collection des cartulaires
de France, VIII & IX, Paris 1857, 2 vol.), 1. 1, n° 531, p. 525. [Dans la suite des notes cet ouvrage sera
cité C.S.V., I ou II, suivant le tome].
5. J'ai développé cet aspect dans la conclusion d'un article sur « Raimbaud, moine de Saint-
Victor, archevêque d'Arles ( t 1070) », paru dans les Publications du Centre Européen d'Études
Burgondo-médianes, n° 11 (Genève, 1969), pp. 36-46.
6. G. Duby, in V Histoire et ses méthodes (Encyclopédie de la Pléiade), p. 954.
7. Pièce inédite : Arch. dép. des B. du Kh., 1 H 70, n° 356.
8. Pièce : Arch. dép. des B. du Rh., 1 H 18, ne 78 .
9. Cf. sur ce thème plusieurs textes cités par J. Leclercq, in Otia monastica, Studia Anselmiana.
Rome, 1963, n° 51, p. 74.
416 SUR LA MENTALITÉ MONASTIQUE AU XI* SIÈCLE P. AMARGIER
simplification de lui-même nécessaires pour voir Dieu. Telles sont bien les conditions
qu'entend traditionnellement lui offrir le monastère : Ordo nosier summam deposcit
quietem et securitatem 10. Comment ne se précipiteraient pas vers ce havre des hommes
qui, plus que les hommes d'autres générations, se savent fragiles, pour qui la mort
est plus hora čerta qu' hora ignota, et qui à cause de cela sont profondément convaincus
de la fugacité des choses de ce monde, « considérants à quel point le siècle présent
est vain, si instable que personne ne peut vivre la foi, et que ce qui est aujourd'hui
ne peut être assuré de subsister demain, que celui qui enflé de superbe allait hier la
tête haute, gît maintenant dépourvu de sens, humilié, comme un tronc inutile, proie
de la pourriture » u.
Ce que ces hommes viennent demander à la familia monastique c'est avant tout
une stabilité qui leur soit un refuge. Mouvement certes de repli, voire de refus, mais
qui pour l'individu de ce temps représentait la seule démarche possible vers le lieu
où il pouvait trouver une vie sociale capable de lui procurer quelque équilibre?
Tensions
II est normal que dans un milieu aussi traditionnel que celui de la vie monastique,
et de plus, comme celui de Saint- Victor essentiellement rural, le réflexe naturel ait
été celui d'une méfiance spontanée à l'égard de toute innovation.
La modernitas n'apporte-t-elle pas avec elle d'inévitables complications? N'est-
elle pas opposée à la simplicité, saine et sincère, qui régnait ava

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