Aux origines de la science écologique : à propos de quelques ouvrages récents - article ; n°4 ; vol.45, pg 477-490
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Description

Revue d'histoire des sciences - Année 1992 - Volume 45 - Numéro 4 - Pages 477-490
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 19
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jean-Paul Deleage
Aux origines de la science écologique : à propos de quelques
ouvrages récents
In: Revue d'histoire des sciences. 1992, Tome 45 n°4. pp. 477-490.
Citer ce document / Cite this document :
Deleage Jean-Paul. Aux origines de la science écologique : à propos de quelques ouvrages récents. In: Revue d'histoire des
sciences. 1992, Tome 45 n°4. pp. 477-490.
doi : 10.3406/rhs.1992.4246
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhs_0151-4105_1992_num_45_4_4246DOCUMENTATION
Aux origines de la science écologique :
A propos de quelques ouvrages récents
La science écologique moderne plonge ses racines dans un passé plu
sieurs fois séculaire. Certains historiens des sciences, comme Frank
Egerton (1), font remonter ses plus lointaines origines aux écrits d'auteurs
de la Grèce classique comme Aristote et Théophraste. D'autres, comme
Pascal Acot (2), présentent cette filiation comme illégitime et situent la
naissance de l'écologie dans l'Europe des Temps modernes. Depuis ses
origines les plus lointaines, l'écologie tente de dépasser l'approche méca-
niste et reste dans sa démarche fidèle au programme énoncé par Hum-
boldt en 1799 : « Explorer l'unité de la nature (3). »
Plus précisément, les débuts de la conscience écologique sont contemp
orains de deux événements majeurs de notre histoire et, dans une large
mesure, en contradiction avec eux : les prémices de la première révolu
tion industrielle; la colonisation mentale et matérielle du monde par les
Européens. Ces deux événements marquent une rupture radicale avec le
type de rapports à la nature, et leurs diverses représentations, que toutes
les sociétés ont pu connaître jusqu'à eux.
Ces hypothèses conduisent à un certain nombre de questions. Quels
rapports entre les thèmes de la science écologique naissante et les méca
nismes de leur diffusion? Quelle est la place de l'écologie dans le déve
loppement général des savoirs scientifiques? Comment définir ses
frontières? Comment cette nouvelle science s'installe-t-elle dans l'histoire?
L'humain a-t-il en son sein un statut singulier et si oui, lequel? Loin
d'expliquer seulement les rapports complexes que nouent les êtres vivants
entre eux-mêmes et avec leur environnement, ou encore les dysfonction
nements des rapports des sociétés modernes à la nature, n'est-elle pas
(1) Frank N. Egerton, A bibliographical Guide to the History of General Ecology and
Population Ecology, History of Science, 15 (1977), 189-215.
(2) P. Acot, Histoire de l'écologie (Paris : puf, 1988).
(3) A. Humboldt, Lettre à Freiesleben, 5 juin 1799, in Douglas Botting, Humboldt :
Un savant démocrate, 1769-1859 (Paris : Belin, 1988).
Rev. Hist. ScL, 1992, XLV/4 478 Jean-Paul Deléage
elle aussi, et jusque dans le champ scientifique, un simple effet idéo
logique de nouvelles contradictions sociales engendrées par la révolution
industrielle? Telles sont les questions que posent plusieurs ouvrages (4)
parus récemment en langue française, notamment celui de J.-M. Drouin,
qui les formule ainsi :
« Premièrement, l'écologie est-elle seulement une science et pas seulement un
courant de pensée, autrement dit, la distinction entre écologie et écologisme a-t-elle
une réelle portée conceptuelle ou n'est-elle qu'une commodité de langage?
« Deuxièmement, [...] de quel type de science s'agit-il? L'écologie n'est-elle
qu'une nouvelle version de l'histoire naturelle? Quels sont ses rapports avec la
physique et la chimie, avec la biologie, [...]?
« Troisièmement, [...] quel lien faut-il établir entre celle-ci [l'écologie] et le
courant de pensée qui s'en réclame? Filiation, complémentarité ou indépen
dance (5) ? »
A cette dernière question, Donald Worster (6) répond que, depuis le
siècle des Lumières, la pensée occidentale s'est déployée à l'intérieur d'une
dialectique complexe entre deux visions des rapports entre culture et nature,
entre société et biosphère. La première de ces visions repose sur l'espoir
de parvenir à réconcilier les valeurs humaines avec l'ordre de la nature
qui serait le « code » de Phumainement juste. La seconde assume l'iné-
luctabilité de la domination de la nature par la raison et l'économie
humaines, sa désacralisation et sa mercantilisation, jusqu'à l'industriali
sation récente de la vie elle-même. Ainsi, le Système de la Nature proposé
en 1770 par d'Holbach s'épuise-t-il déjà dans cette contradiction. D'un
côté, il n'existerait rien de bon ou de mauvais, de juste ou d'injuste
dans la nature; d'un autre côté, cette dernière serait la source de toute
justice humaine (« La vertu, la raison, la vérité sont les filles de la
nature », écrit Diderot).
La science écologique n'échappe pas à la tension entre ces deux visions,
arcadienne et impérialiste, comme les désigne Donald Worster. Un autre
historien américain, Lynn White (7) a cherché l'origine de notre crise
écologique, donc de la pensée écologique qui en constitue le miroir cri
tique, dans la période médiévale qui consacra, en Occident, la victoire
définitive du christianisme sur le paganisme. La foi implicite dans le
progrès illimité, qui n'existait ni dans le monde gréco-romain, ni dans
(4) P. Acot, op. cit. ; J.-P. Deléage, Histoire de l'écologie, une science de l'homme
et de la nature (Paris : La Découverte, 1991); J.-M. Drouin, Réinventer la nature, l'éco
logie et son histoire (Paris : Desclée de Brouwer, 1991); D. Worster, Les pionniers de (Paris : Le Sang de la Terre, 1992), lre éd. : Nature's Economy (Sierra Club Books,
1977).
(5) J.-M. Drouin, op. cit., p. 25.
(6) D. Worster, op. cit.; voir en particulier les premiers chapitres.
(7) L. White, The Historical Roots of our Ecological Crisis, Science, 155, No 3767,
1203-1207. Aux origines de la science écologique Al 9
les cultures orientales, tiendrait ses origines de cette révolution religieuse
et psychologique, la plus grande de notre culture.
Or cette dernière est une culture de la domination. Domination de
l'humain sur la plante et l'animal, de l'homme sur la femme, des peuples
civilisés sur les sauvages, les « naturels », écrit-on au siècle des Lumières.
Depuis le seizième siècle, la vision prométhéenne de la soumission de
la nature à l'humain est en effet devenue hégémonique dans la culture
occidentale. Avec elle s'installe durablement, sous l'influence cumulée
de la Réforme et de la Contre-Réforme, puis du scientisme des siècles
suivants, l'anthropocentrisme absolu. L'utopie de la Nouvelle Atlantide
de Francis Bacon ne décrit rien d'autre qu'un monde dont l'homme est
le centre, qu'une société dont le principe d'organisation est celui de la
science et l'objectif « la connaissance des mouvements secrets des choses ;
et l'extension des limites de l'empire de l'homme afin d'exécuter toutes
les choses possibles (8) ». Deux siècles plus tard, selon Newton, « il faut
faire rendre gorge à la nature ». L'homme a désormais autorité absolue
sur la biosphère (9). Évoquant « la grande action civilisatrice du capital »,
Marx exprime en termes positifs la dévalorisation culturelle et idéologique
de la nature qui a partout légitimé les processus d'industrialisation depuis
trois siècles. Comparées au capitalisme pour lequel la nature devient un
objet pour l'homme, une chose utile, « toutes les sociétés antérieures,
écrit-il, apparaissent comme une idolâtrie (10) ». C'est bien dans ce
contexte culturel et, d'une certaine façon, contre l'horizon utilitariste qui
le borne, qu'émerge l'écologie scientifique, au travers d'une triple rupture.
Une triple rupture
La première de ces ruptures est liée à l'accélération dans la maîtrise
et la connaissance de l'espace mondial. Les Européens achèvent de mettre
la main sur la planète et les grandes expéditions scientifiques modernes,
comme celle de Humboldt, permettent d'en parachever la connaissance
au point de vue de la distribution géographique des espèces. La seconde
est la révolution dans la conception du temps qu'impliquent

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