Chicago, expérience ethnique - article ; n°13 ; vol.4, pg 11-49

Maurice Halbwachs

Description

Annales d'histoire économique et sociale - Année 1932 - Volume 4 - Numéro 13 - Pages 11-49
39 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: ANNALES_D-HISTOIRE_ECONOMIQUE_ET_SOCIALE
• Publié le: 01 janvier 1932
• Nombre de lectures: 60
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 3 Mo

Extrait

Maurice Halbwachs
Chicago, expérience ethnique
In: Annales d'histoire économique et sociale. 4e année, N. 13, 1932. pp. 11-49.
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Halbwachs Maurice. Chicago, expérience ethnique. In: Annales d'histoire économique et sociale. 4e année, N. 13, 1932. pp. 11-
49.
doi : 10.3406/ahess.1932.1486
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0003-441X_1932_num_4_13_1486EXPÉRIENCE ETHNIQUE CHICAGO,
I. — Croissance et caractéristiques générales de la ville
Les statisticiens américains appellent centre de population, un
point qu'ils définissent ainsi. Supposons que la surface des États-Unis
soit un plan rigide et sans épaisseur, et que tous les habitants aient
même poids : le centre de gravité de cette surface représente le centre
de population. On connaît sa position à chaque recensement, de dix
ans en dix ans, depuis 1790. A cette époque, il se trouvait à 23 milles
(ou près de 35 km.) à l'Est de Baltimore, dans le Maryland. Suivons-le,
tandis que, d'un mouvement continu, il se déplace vers l'Ouest. Il
traverse Baltimore et passe à 18 milles à l'Ouest de cette ville en 1800.
En 1810, on le retrouve à 40 au Nord-Ouest de Washington.
Il s'avance de 50 milles vers l'Ouest, de cette date à 1820 ; de 40 milles,
dans la décade suivante ; de 55 milles entre 1830 et 1840 ; de 55 milles
jusqu'à 1850 ; et il couvre encore 80 milles avant 1860 : à ce moment
il a traversé la rivière de l'Ohio et s'approche de la longitude de
Columbus et Détroit. De I860 à 1870, à travers la guerre de Sécession
et les années qui suivent, il se déplace encore, toujours vers l'Ouest,
de 44 milles. En 1880, il atteint et dépasse Cincinnati, après un
parcours de 58 milles. En 18P0, il gagne encore 48 milles ; en
1900, 15 milles; en 1910, 39 milles : cette fois, il est à Bloomington,
petite ville de l'Indiana, au Sud ď Indianapolis. 10 milles encore, et,
en 1920, il atteint presque l'Illinois et la longitude de Chicago : il
toucherait Chicago, si, dans cette marche vers l'Ouest, il n'était pas
resté un peu au-dessous de sa latitude initiale, et ne se retrouvait
maintenant plus près de Saint-Louis. Au total, 573 milles en cent
trente années ; 6 ou 7 kilomètres par an, toujours sur la même ligne,
vers l'Ouest : c'est ce chemin, et avec cette vitesse, qu'il aurait fallu
suivre, pour rester au point où s'est fixée, à chaque époque, la résul
tante des déplacements de tant de millions d'hommes.
Chicago occupe donc une situation bien centrale. Il n'y a pas de
ville, aux États-Unis, dont le développement soit en rapports plus
apparents avec la croissance de cette population, avec le mouvement
d'expansion qui l'a portée non seulement vers l'Ouest, mais dans
toute la région intermédiaire, en particulier dans ce Middlewest,
pays de pionniers et de colons, où les fermiers se sont installés dans
les prairies, du lac Michigan au Mississipi.
Elle a poussé avec une rapidité sans exemple. « Chicago, écrivait
il y a dix ans Mr Walter D. Moody, n'était, il y a quatre-vingts ans.
que l'emplacement de quelques wigwams indiens. C'est aujourd'hui la ANNALES D'HISTOIRE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE 12
cinquième ville du monde. Il n'y a pas de fait plus saisissant dans
l'histoire de la formation des cités *. A la fin de 1830, en effet, il n'y
avait là qu'un village, qui comprenait douze maisons et trois rés
idences suburbaines, avec peut-être cent habitants. En 182 J , par un
traité conclu avec les tribus du Nord-Ouest, Ottawas, Chippewas, etc.,
les États-Unis avaient acquis en cette région cinq millions d'acres.
On construisit des routes, vers Detroit et Fort Wayne. La dernière
guerre indienne de Winnebago éclate et se termine en 1827. A
cette époque, on ne pouvait avoir de nouvelles que de Niles (Michi
gan). On y envoyait toutes les deux semaines un Indien métis, qui
y allait généralement à pied en une semaine 2. Le fort Dearborn, établi
là en 1804, pris et détruit par les Indiens, reconstruit vers 1820, était
le centre du commerce de fourrures du Nord-Ouest.
Voici quelques chiffres qui indiquent suivant quel rythme la
ville a grandi. Nous indiquons en regard la population de New
York aux mêmes époques3.
NEW YORK CHICAGO
ANNÉES Nombre î relatifs Nombres relatifs
Population Population
(1900=100) (1860=100) (1860=100) (1900=100)
312 710 1840 4 479 39 26 5 515 547 1850 28 269 64
1860 108 206 100 805 651 100
1870 298 977 276 942 292 118
1880 503 298 1 206 299 150 465
1 515 301 1890 1 099 850 1 020 188
3 437 202 1900 1 699 575 1 570 100 427
1910 2 185 283 2 020 129 4 766 883 593 100 203 139 164 1920 2 701 705 2 500 159 5 620 048 700
198 6 959 000 864 1930 3 373 753 3 110
Ainsi, de 1860 à 1930, la population de Chicago a augmenté dans
le rapport de 1 à 31, tandis que, dans la même période, l'accroiss
ement pour New York n'était que de 1 à 9. Pour comprendre comment
s'est produit ce mouvement, il faut considérer que, depuis 1860, la
surface de la ville s'est considérablement étendue, par une série d'an-
1. What of the City? America's greatest issue. City planning, etc., Chicago, 1919,
in-12, 439 p.
2. Chicago as it is. A strangers and tourist guide to the City of Chicago containing
reminiscences of Chicago in the early day, an account of the rise and progress, etc., Chi
cago, 1886.
3. La population de New York était : en 1790, 49 401 ; en 1800 : 60 489 ; en 1810,
% 373 ; en 1820, 123 706 ; en 1830, 203 007. En 1860, Chicago venait au huitième rang,
dépassée par Philadelphie (565 529), Brooklyn (279 122), etc. En 1900, Brooklyn est
rattaché à New York, d'où le gros accroissement de la population de cette ville, à cette
date. Chicago a légèrement dépassé Philadelphie en 1890, et occupe le deuxième rang
depuis ce moment. CHICAGO 13
nexions successives. Gomme terme de comparaison, retenons que
Paris, dans son enceinte actuelle, couvre 78 km2. Voici quelle a été
la superficie de Chicago, aux différentes dates indiquées 1 :
SUPERFICIE DE CHICAGO POPULATION
ANNÉES taux ď accrois
en km* nombres relatifs nombres relatifs sement de la
population
1860 46,5 100 100
90 194 276 1870 176 p. 100 68 — 92 1880 198 465
120 — 1890 440 950 020
54 — 1900 490 1 060 570
29 — 1910 1 020
24 — 1920 520 1 120 500
La population a augmenté plus de deux fois plus vite que la sur
face. On peut dire, très en gros, que la moitié de l'augmentation du
nombre des habitants de Chicago est due à l'extension de la surface,
la moitié, à l'accroissement de densité de la population. A Paris, dans
une enceinte qui n'a pas changé, la population a augmenté, entre 1861
et 1921, de 100 à 172. A Chicago, la densité de la population, sur la
surface actuelle, a certainement augmenté de plus de 100 à 1 000.
C'est de 1880 à 1890 que la surface de Chicago a quadruplé, plus
exactement en 1887-1889. A ce moment, on rattache à la ville le vil
lage de Jefferson, au Nord-Ouest de Chicago (Milwaukee Avenue, au
Nord de North Avenue) ; la cité de Lake View, à l'Est de Jefferson et
de la branche Nord de la rivière, jusqu'au lac Michigan à l'Est, presque
jusqu'à Evanston au Nord ; Cicero (qui fut longtemps le fief du f
ameux Al Capone), tout à l'Ouest, à la hauteur du loop ; la ville du
Lac, au Sud de la 47e rue, à l'Ouest ; le village de Hyde Park, au Sud
de la 70e rue, au Sud-Est de la ville, jusqu'au lac Michigan à l'Est et
au lac Calumet au Sud 2. En même temps, la population de Chicago
quadruple aussi (c'est un peu plus tard, en 1900, que Brooklyn est
rattachée à New York : d'où, population plus que doublée). Entre 1890
et 1900, la surface de Chicago augmente encore, mais de 50 km2
seulement (les deux tiers de la surface de Paris), au lieu de 348 km2 en
1887-1889 (plus de quatre fois la de Paris) : entre 1890 et 1897,
1. Les statisticiens du Census définissent le « district métropolitain» comme cons
titué par un noyau urbain, plus une banlieue comprenant les localités qui, situées à
moins de 10 milles (16 km.) des limites de la ville, ont une densité égale ou supérieure à
i 50 hab. au mille carré (58 hab. au km*). Le district métropolitain de Chicago s'étend
sur 1 900 km* et comprend (en 1920) 3 179 000 hab. Le département de la Seine, à la
même époque, s'étend sur 480 km* et