Culture et langage poétique. Une éducation pour la créativité - article ; n°97 ; vol.25, pg 155-167
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Description

Tiers-Monde - Année 1984 - Volume 25 - Numéro 97 - Pages 155-167
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1984
Nombre de lectures 35
Langue Français

Extrait

Scarlett Richard
Culture et langage poétique. Une éducation pour la créativité
In: Tiers-Monde. 1984, tome 25 n°97. pp. 155-167.
Citer ce document / Cite this document :
Richard Scarlett. Culture et langage poétique. Une éducation pour la créativité. In: Tiers-Monde. 1984, tome 25 n°97. pp. 155-
167.
doi : 10.3406/tiers.1984.3364
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1984_num_25_97_3364CULTURE ET LANGAGE POÉTIQUE
UNE ÉDUCATION POUR LA CRÉATIVITÉ
par Scarlett Richard*
Je relate dans cet article une expérience de créativité que j'ai eu la chance
de vivre avec des enfants guyanais de 1976 à 1978.
Le créole et le français
Lorsqu'il entre en sixième, l'enfant créole n'a pas une maîtrise réelle du
français écrit. Cet enfant dont la langue maternelle est une langue orale, après
cinq à six années d'école primaire, a de plus perdu sa spontanéité, son origi
nalité, son imagination. L'enseignement artificiellement plaqué méconnaît le
capital endogène de connaissances qu'il possède. Trop nombreuses sont ainsi
les formes d'intelligence laissées en friche. Ce mépris aboutit aux mêmes
dérisions que lors des colonisations, au début de ce siècle, de nos provinces
par l'école du français (voir P.-J. Hélias, L.e Cheval d'orgueil). Il est interdit de
parler créole à l'école, comme il était interdit de parler le breton ou la langue
d'oc, mais quand un enseignant réprimande, félicite ou s'émeut, c'est en créole
que jaillit l'expression. C'est en créole que chuchotent et s'interpellent les élèves.
Les enseignants guyanais sentent bien ce hiatus créé par la conscience
créole qui trace une frontière invisible mais effective entre les « nôtres » et les
« étrangers ».
Plus le pays s'ouvre à toutes sortes d'immigrations, d'implantations pré
caires, surprenantes et temporaires, plus cette distinction se durcit. Sans doute
est-ce là l'une des raisons qui entravent une harmonisation plus profonde et
un échange plus fécond entre les langues créole et française. L'expression en
français se trouve forcément très éloignée d'un réel contact avec le milieu
existentiel.
La communication créole, relevant du substrat culturel le plus profond,
s'élabore sur un registre totalement différent de celui du français. Elle peut
en effet s'établir par des images qui émanent de tout un environnement :
paysages et habitats typiquement guyanais, activités sociales organisées et
représentatives de certaines coutumes, monuments, fêtes et enterrements,
traditions culinaires et vestimentaires. Toutes ces images nourrissent la langue
* Professeur de Psychologie et de Philosophie de l'Education.
Revue Tiers Monde, t. XXV, n° 97, Janvier-Mars 1984 I56 SCARLETT RICHARD
créole d'un certain style de vie hérité, suggèrent des visions du monde, des
comportements, soufflent des sens et des projets, privilégient des formes
d'action.
Avant même le secours des mots précis, l'enfant guyanais sait vivre sa
langue maternelle en musique et en danses typiques. Il est modelé par elle
avant de comprendre qu'elle reflète l'histoire de son peuple et donne son
expression la plus signifiante aux battements de son cœur.
Appartenir à une collectivité créole, c'est d'abord penser créole, mais
pour penser il faut pouvoir parler. Notre enseignement de la langue française
devait relever ce défi du poète haïtien :
«... Save^-vous cette souffrance
Et ce désespoir à nul autre égal
D'apprivoiser avec des mots de France
Ce cœur qui nťest venu du Sénégal ? »
Malheureusement l'enrichissement d'un parler créole toujours plus signi
fiant se trouve être considérablement limité par la déstructuration rapide
qu'entraîne un apprentissage du français souvent mal adapté aux structures
phoniques et syntaxiques créoles et surtout imposé, avant tout, comme une
langue du Devoir.
J'ai cherché une nouvelle méthode de travail qui tiendrait compte du
caractère très spécifique de ce français, langue de devoir, en même temps que
langue semi-maternelle puisque le peuple de Guyane l'entend et le parle depuis
plus de deux siècles. Néanmoins tout langage imposé opprime puisqu'il ne
peut plus convaincre, mais l'opprimé vole souvent des armes à l'oppresseur
lui-même : combien d'écrivains et de grands poètes créoles en sont la preuve
et combien de Guyanais s'expriment dans un français plus élégant et plus
français que bien des métropolitains !
Dans notre travail scolaire, l'analyse du conditionnement exercé par les
formes linguistiques créoles sur la structuration des connaissances de la
syntaxe et de la sémantique françaises nous montrait assez à quel point la
communication mal assimilée et trop tendue de cette langue de devoir se
heurtait à un rejet souvent bien inconscient de la part des élèves et comment
au cours de cet apprentissage rendu trop laborieux par tant de maladresses
éducatives, on privilégiait la phonologie et la morphologie aux dépens de la
signification profonde d'un texte, voire même de la compréhension d'un simple
énoncé.
Il fallait non seulement apprendre à l'enfant créole que le langage est aussi
un voile tissé par l'habitude entre nous et la réalité, mais encore trouver les
moyens de l'aider à rectifier son approche de ce langage officialisé en lui ren
dant plus souples ses structures, plus amples ses réseaux connotatifs. Seule la
fonction maïeutique de l'expression poétique pouvait permettre ce travail.
Seule, la poésie m'a semblé être le moyen privilégié de donner à l'élève libre
accès à la prise de conscience de sa propre culture, sans pour autant lui barrer
la route vers la maîtrise d'une langue officielle indispensable à son insertion
économique.
Sur l'effectif de mes trois classes on pouvait reconnaître plusieurs ethnies
et métissages : Créoles des Antilles et de Guyane, des îles caraïbiennes, Haïtiens,
Brésiliens, Libanais, Hindous, Chinois, Blancs de France et de Madagascar...
L'immense majorité de ces enfants était entièrement dépourvue de tout envi- CULTURE ET LANGAGE POÉTIQUE 157
ronnement socioculturel enrichissant. Beaucoup n'avaient jamais récité de
poésies de leur vie.
Sensibilisation : rejetant les préjugés répandus et les démissions aveuglé
ment suivies, j'ai admis que d'autres méthodes d'enseignement mieux adapt
ées aux problèmes de ce pays restaient simplement à inventer. C'est pourquoi
j'ai tenté de mettre au point, non pas une façon révolutionnaire et entièrement
efficace1 d'enseigner la poésie et d'en favoriser l'écriture, mais une méthode
qui, sans rompre totalement avec la « traditionnelle », permette meilleure
expression des inconscients collectifs.
Les formations essentielles à l'éducation humaine relèvent à mon avis
d'une simple manière de poser des problèmes et d'en chercher les solutions.
On enseigne avec le verbe, mais la manière de dire reste tout. Ce qui compte,
c'est souvent moins les mots qu'une certaine organisation cachée de ces mots
par une musique intérieure où fleurissent les intentions. Le ton, la musique,
les gestes, l'expression d'un regard, les ondes, toutes choses non cernables,
non quantifiâmes sont les moyens les plus importants d'une communication
privilégiée indispensable à un réel travail entre enseignés et enseignants :
on n'apprend bien que d'une personne qu'on aime.
A cause de leurs difficultés parfois énormes face à la lecture et à l'écriture,
il n'est guère permis aux enfants guyanais de faire quoi que ce soit d'inventif
et d'intéressant. Mais si le degré d'aptitude à lire et à écrire intervient certa
inement dans la capacité d'un enfant à s'exprimer littérairement avec facilité et
assurance, ce n'est certainement pas ce qui forme seulement son imagination.
Tout enfant possède en lui-même la capacité de voir le monde d'une manière
forte, belle et originale.
Dans un premie

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