Dans le delta du Nil - article ; n°344 ; vol.64, pg 277-290
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Description

Annales de Géographie - Année 1955 - Volume 64 - Numéro 344 - Pages 277-290
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1955
Nombre de lectures 32
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jacques Berque
Dans le delta du Nil
In: Annales de Géographie. 1955, t. 64, n°344. pp. 277-290.
Citer ce document / Cite this document :
Berque Jacques. Dans le delta du Nil. In: Annales de Géographie. 1955, t. 64, n°344. pp. 277-290.
doi : 10.3406/geo.1955.14817
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/geo_0003-4010_1955_num_64_344_14817277
DANS LE DELTA DU NIL
(Pl. XI-XII.)
L'étude d'une dizaine de villages du district de Menouf, en Basse-Egypte
(fig. 1), autorise un certain nombre de remarques, dont on trouvera ici
l'exposé partiel x.
I. — Le bourg
Deux principes : primat du fisc, technocratie de l'eau, ont depuis toujours,
et jusque dans le détail, façonné la campagne égyptienne.
L'ordre politique s'est construit autour de l'impôt. Le multazim ou fer
mier s'interposait entre l'État et le paysan. Absentéiste, il était représenté
sur place par une série d'agents, sbires ou publicains, exigeait la corvée pour
la culture du dominicum. L'ordre d'irrigation est réglé de haut en bas, de
même que le flot de crue est dispensé d'amont en aval : pas de droit local, pas
de distribution coutumière, pas de recours même, et fût-ce à l'époque pré
sente, contre l'ubiquité du prince. La propriété, où volontiers nous cherchons
le principe de psychologies paysannes, a été soumise aux plus étranges fluc
tuations. Une génération après le cadastre et les allotissements de 1813,
l'État peut encore affermer des villages qu'obèrent les arriérés d'impôt. Le
régime, qui ressuscite, à quelques variantes près, celui de Yiltizâm2, ne dure,
il est vrai, qu'une dizaine d'années. L'étonnant est qu'on ait pu l'imposer,
qu'on ait pu le concevoir, que sur certains points même il ait la faveur des
intéressés, lesquels en sollicitent le maintien....
Jusqu'au milieu du xixe siècle donc, la solidarité devant l'impôt, le carac
tère étatique de l'irrigation, 1' evanescence des tenures étouffent toute indi-
viduation des droits. La vraie personne n'est pas le paysan. C'est le village.
Cette île que cerne l'inondation annuelle, seul point fixe de vies agitées par
la misère, les tracasseries du fisc, les corvées et bientôt la conscription, c'est
aussi une île historique, une île psychologique, si j'ose dire, dans la vicissi
tude générale. Le village, c'est la permanence. Permanence attestée, dans les
cas qui nous occupent, sur un laps d'au moins six ou sept siècles3 : et ce
1. On pourra se reporter aussi aux articles suivants : Remarques sur la structure sociale de
quelques villages égyptiens {Annales E. S. C, 1955) ; Le comédien et les fellahs (Hespéris) ; Dans
le delta du Nil (Studia Islamica, 1955).
2. Yacoub ARTiN-bey, La propriété foncière en Egypte, 1883, p. 128 et suiv. Cela se passe
vers 1840. — J. Grégoire (De la culture du coton en Mémoires de l'Institut égyptien, t. I,
1862, p. 443) cite deux modes de constitution de grands domaines : concession de terres confis
quées aux paysans et, phénomène plus curieux, constitution de 'ohdè par ces paysans eux-mêmes
au profit du puissant «protecteur». «Les nouveaux exploitants étaient les administrateurs,
presque les maîtres absolus des terres et des habitants. »
3. Nous retrouvons dans la documentation la plus ancienne les noms de la plupart des villages
de la Menoufia qui ont fourni le cadre de cette étude. Voir Prince Omar Toussoun, La géogra
phie de VÉgypte à l'époque arabe, t. I, La Basse-Egypte, 1926, pour Menouf, attesté depuis la
fin du ixe siècle (p. 5) ; Ficha et Teta, depuis al-Idrîsî, xne siècle (p. 29) ; t. II, 1928, pour Qalâta,
Bagûr, Garawân-, Manawahla, Sirs les cadastres du début du xive siècle (p. 267 et suiv.).
L'auteur identifie, mais on ne sait sur quelles bases, notre Qalâta 1- Kobra avec Menûf al'Ulyâ
(t. I, p. 20).
1 8 • 278 ANNALES DE GÉOGRAPHIE
n'est là qu'un minimum. C'est aussi la continuité des générations. Un adage
conseille : « si la maison de ton père tombe en ruines, prends-en au moins un
moellon », en kkorob bayt abûk, khod manu 'aleb. L'intimité de la vie, et sans
doute aussi son contexte magique, s'attachent à la plus petite parcelle de
l'arche familiale. Peut-être la capacité religieuse réside-t-elle dans l'aggl
omération, où se concentrent, dans un grand luxe de formes et d'appellations,
mosquées, oratoires, « recoins », mansions, lieux de visite x. Il est fort rare
que ia liturgie s'écarte de l'enceinte. Visiblement, elle délaisse, au moins
Fig. 1. Le disteict de Menouf, en Basse-Egypte. — Échelle, 1 : 2 500 000.
dans cette partie du Delta, les champs. Les champs, c'est l'espace utilitaire,
arpenté2 et que désertent aussi bien la sainteté que les fleurs sauvages.
Quoi d'étonnant? Parmi les aléas de l'histoire et les misères du travail, nous
ne trouvons ici, je l'ai dit, que ce môle de durée et d'être social : le bourg.
1. Soit, dans Tordre, au singulier : jâmi', masjid, zâwiya (noter cette acception, fort diff
érente de l'acception maghrébine), maqâm, mazâra. La plupart des masâjid portent les noms des
grandes familles qui les ont constituées, ou de saints. L'aspect gentilice du culte, confluant avec
une hagiologie d'ailleurs en déclin depuis quelques années, est d'autant plus marqué que même
les jatvâmV sont souvent des sanctuaires de quartier, édifiés à frais communs par les familles
d'une même nâh'ya.
2. La terre cultivée est le domaine classique du cens. C'est peut-être pour cette raison qu'elle
est délaissée par certaines formes du sacré, et cela même en contradiction avec ses valeurs magico-
religieuses permanentes. Mais il est possible aussi que la raison soit à chercher dans l'homogénéité
d'un paysage, qui, pour ainsi dire, n'accroche pas le rite, ou même dans l'inondation périodique,
qui recouvrait et uniformisait tout. DANS LE DELTA DU NIL 279
Selon une tradition antique, les conquérants arabes se sont étonnés d'un
trait de vie sédentaire qui contrastait si fort avec l'ordre agnáti que de leurs
tribus. « Ne faites pas, recommandait le calife Omar1, comme les Coptes
dont la nisba consiste dans la référence à leur bourgade. » Et encore Abu
Çalt2 : « Leurs généalogies sont très mêlées. Ils ne se distinguent entre eux
que par la désignation de leur lieu d'origine et par l'adjonction du nom de
leur pays natal. » Pour eux, le village est la patrie.
Or, cette patrie est lente à se former. Son adolescence dure des siècles,
avant que ne s'agencent les divers traits de sa structure adulte. Que ce
rythme de croissance soit lent, on le conçoit dans un pays comme l'Egypte.
D'où les types échelonnés qui s'observent dans le district de Menouf.
Voici 'Ezbet Abu 'Ades. C'est une agglomération toute récente, ainsi
qu'en témoigne l'imperfection de son agrégat : simple juxtaposition de deux
colonies rivales. Kafr Singalf signale sa relative nouveauté par l'homogén
éité d'un peuplement qui ne connaît encore guère de différenciation orga
nique. Il y avait bien, à l'origine, un duwwârz particulier de la famille Gafi :
il est tombé en désuétude. En fait, le village n'a aujourd'hui qu'un duwwàr,
construit initialement par la famille Qadira, mais utilisé par
l'ensemble et entretenu à frais communs. Il se trouve en face de la mosquée,
elle aussi seule de son espèce, et entretenue par tout le village, qui ne
connaît pas d'autre lieu rituel. En revanche, il faut signaler l'existence de
moulins familiaux, à moteur animal. On pressent un rapport entre la vitalité
gentilice, la division du village en quatre quartiers, l'existence de duwwâr-s
familiaux, le jeu d'institutions coopératives ou d'assistance. Mais à Kafr
Singalf, plusieurs termes du rapport manquent.
Le cas de Maqât'i' est plus complexe. Le bourg est très anciennement
attesté4. Mais il a dû subir une longue période d'effacement. Car, d'après la
tradition locale, il ne remonterait qu'au xviir9 siècle. La légende rend compte,
à sa façon, de cette naissance bien tardive par rapport

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