De l éducation populaire à la formation professionnelle, l action de peuple et culture  - article ; n°1 ; vol.35, pg 19-42
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De l'éducation populaire à la formation professionnelle, l'action de peuple et culture - article ; n°1 ; vol.35, pg 19-42

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Sociétés contemporaines - Année 1999 - Volume 35 - Numéro 1 - Pages 19-42
RÉSUMÉ: Le mouvement d’éducation populaire Peuple et Culture a été, dans les années cinquante, un lieu de rencontre entre des formateurs en entreprises et des militants de l’action culturelle. Pour une part, ces acteurs, issus de secteurs d’activité à priori distincts, se sont rencontrés en raison de leur ambition commune de faire reconnaître leur professionnalisme dans leurs domaines respectifs. Ils ont en effet élaboré ensemble, au sein de Peuple et Culture, une méthode de formation, l’entraînement mental, qui a été assez largement diffusée aussi bien dans les milieux de la formation professionnelle des adultes que dans ceux de l’animation culturelle, et qui a constitué une ressource commune qu’ils ont mobilisée au service de leur quête de légitimité. Mais ces acteurs se sont aussi rencontrés en raison d’affinités politiques. La proximité d’une majorité d’entre eux avec les thèses de la gauche chrétienne en matière de promotion sociale et de contestation des pratiques scolaires traditionnelles, thèses élaborées notamment au cours de l’expérience de l’école d’Uriage, explique leur conception de la formation d’adultes. Conçue comme une «éducation permanente», la formation était pour eux un instrument de rénovation et de pacification sociale. Peuple et Culture a donc constitué, pour reprendre le modèle proposé par S. Moscovici, une minorité active qui, via la diffusion d’un outil de formation performant, a participé à l’émergence de la formation d’adultes en tant qu’activité sociale majeure et consensuelle dans la France contemporaine.
VINCENT TROGER
The Action of •People and Culture”
•People and Culture” («Peuple et Culture»), an educational movement in 1950, was a meeting place for both companies’ instructors and cultural action militants. These people, partly from very distinct sectors of activities, met because of their common aim for the recognition of their professionalism in their respective domains. Together, within the people and the culture, they elaborated a training method, •mental training”, which was widely spread both in the adult education centres and their cultural activities, and which constituted a common source mobilised for the search of their legitimacy. But they also met because of their political inclinations. Their nearness to •Christian left” doctrines, especially social advancement, and protest against traditional scholastic practices, doctrines elaborated and experimented in Uriage College, explain their conception of adult education. Designed as a •continuous education”, the training was to them a mean of rehabilitation and social purification. As explained by Serge Moscovici, People and Culture has been an active minority, who, via the circulation of an impressive training instrument, has participated in the emergence of adult education as a major social activity in present day France.
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Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 52
Langue Français

Extrait

      V R O G E R T I N C E N T      
DE L’EDUCATION POPULAIRE A LA FORMATION PROFESSIONNELLE, L’ACTION DE  PEUPLE ET CULTURE  
RÉSUMÉ : Le mouvement d’éducation populaire Peuple et Culture a été, dans les années cin-quante, un lieu de rencontre entre des formateurs en entreprises et des militants de l’action culturelle. Pour une part, ces acteurs, issus de secteurs d’activité à priori distincts, se sont rencontrés en raison de leur ambition commune de faire reconnaître leur professionnalisme dans leurs domaines respectifs. Ils ont en effet élaboré ensemble, au sein de Peuple et Culture, une méthode de formation, l’entraînement mental, qui a été assez largement diffusée aussi bien dans les milieux de la formation professionnelle des adultes que dans ceux de l’animation culturelle, et qui a constitué une ressource commune qu’ils ont mobilisée au ser-vice de leur quête de légitimité. Mais ces acteurs se sont aussi rencontrés en raison d’affinités politiques. La proximité d’une majorité d’entre eux avec les thèses de la gauche chrétienne en matière de promotion sociale et de contestation des pratiques scolaires traditionnelles, thèses élaborées notamment au cours de l’expérience de l’école d’Uriage, explique leur conception de la formation d’adultes. Conçue comme une « éducation permanente , la formation était pour eux un instrument de rénovation et de pacification sociale. Peuple et Culture a donc constitué, pour reprendre le modèle proposé par S. Moscovici, une minorité active qui, via la diffusion d’un outil de formation performant, a participé à l’émergence de la formation d’adultes en tant qu’activité sociale majeure et consensuelle dans la France contemporaine.  La formation continue des adultes fait désormais dans notre société l’objet d’un large consensus. Or les historiens qui se sont intéressés à cette question rappellent qu’il y a seulement quelques décennies, la formation des adultes relevait encore d’actions volontaristes qui rencontraient dans certains milieux syndicaux ou patro-naux de vives réticences. Pour comprendre cette mutation, il est donc essentiel d’identifier les acteurs sociaux qui par leurs pratiques et leur influence sociale ont participé à la produire. Parmi ces acteurs, le mouvement Peuple et Culture a joué un rôle original. Tout en œuvrant principalement dans l’éducation populaire, activitéa priori distincte de la formation professionnelle, il a, dans les années cinquante, cherché à investir le monde de l’entreprise. Il s’est appuyé sur sa méthode de formation, l’entraînement mental, (que nous présenterons rapidement dans la seconde partie de cet article), ini-tialement destinée à l’action culturelle auprès des adultes. Cette méthode a rencontré un succès certain auprès des pionniers de la formation professionnelle continue, à tel point que nombre des acteurs contemporains de ce champ d’activités y font encore référence. La reconstitution du processus de diffusion de l’entraînement mental a Sociétés Contemporaines (1999) n° 35 (p. 19-42)   
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V I N C E N T T R O G E R                 donc son utilité pour la compréhension des évolutions socio-historiques qui ont conduit à la reconnaissance sociale dont la formation continue fait aujourd’hui l’objet. La première partie de ce texte replace les mouvements d’éducation populaire, et plus spécifiquement Peuple et Culture, dans le contexte politique et social qui en-toure la seconde guerre mondiale. Elle rappelle leurs relations avec un projet politi-que que l’on a qualifié depuis de « troisième voie , notamment à travers l’expé-rience de l’école d’Uriage. Ce premier travail repose sur une synthèse de travaux déjà publiés. La seconde partie tente d’esquisser une reconstitution du réseau d’acteurs dans lequel sont impliqués après guerre les fondateurs de Peuple et Culture dans la suite de leur participation à l’expérience d’Uriage, et le degré d’influence de ce réseau dans la société. L’esquisse est nécessairement approximative dans la mesure où l’on est ici confronté à des acteurs qui agissent essentiellement dans le secteur associatif et dont l’influence tient autant à leur capital social qu’à leur position institutionnelle. Autrement dit, les traces accessibles à l’historien sont plutôt de l’ordre de l’informel et de la discontinuité. Trois sources ont été utilisées : le bulletin du mouvement Peu-ple et Culture régulièrement publié à partir de 1951, un document dactylographié de deux cents pages sur la méthode d’entraînement mental rédigé par des responsables du mouvement en 1960 et des entretiens avec les animateurs du mouvement ayant connu la période concernée. Il faut aussi souligner l’apport précieux du dictionnaire biographique des militants de l’éducation populaire et de l’action culturelle de Ge-neviève Poujol et Madeleine Romer (Poujol, Romer, 1996).  partir des mêmes sources, la dernière partie tente de reconstituer les logiques qui ont conduit certains dirigeants de Peuple et Culture à s’impliquer dans des ac-tions de formation professionnelle des salariés et à diffuser vers l’entreprise les mé-thodes de formation qu’ils avaient élaborées dans le cadre initial de l’éducation po-pulaire. On cherchera notamment à comprendre à partir de quelles valeurs et avec quels objectifs ces militants se sont orientés vers ce nouveau champ d’action, et dans quelle mesure ces valeurs et ces objectifs ont été reconnus au sein des réseaux dans lesquels ils étaient insérés. 1.L’EDUCATION POPULAIRE DANS LA NEBULEUSE DE LA  TROISIEME VOIE  L’histoire de l’éducation populaire commence avec le projet révolutionnaire de « penser la société toute entière comme un travail pédagogique ininterrompu  (Ju-lia, 1981). Il ne peut être question ici de remonter aussi loin dans l’histoire. Il paraît en revanche indispensable d’établir un bref état des lieux à la veille de la seconde guerre mondiale.
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  R O F E S S I O N N E L L E  E TP E U P L EU L T U R E , D C  ’ E D U C A T I O N E LP U L A I R E A L P O  O R M A T I O N P A F 1. 1.EDUCATION POPULAIRE ET FORMATION DES ADULTES A LA VEILLE DE LA GUERRE :  CRITIQUE DE L’ECOLE ET PREMISSES DE PROFESSIONNALISATION On peut schématiquement retenir que l’éducation des adultes1, pour reprendre le titre de l’ouvrage de référence de Noël Terrot (Terrot, 1983), présente en 1939 trois caractéristiques principales. En premier lieu, la période de l’entre-deux-guerres a connu une nette croissance des initiatives, tant dans le secteur de la formation professionnelle que dans ceux de l’éducation populaire, ou postscolaire, et de la formation syndicale : cours profes-sionnels publics et privés (à partir de 1919), Scouts de France (1919), ciné-clubs (1924), Jeunesses Catholiques Ouvrières, Agricoles et Étudiantes (JOC, JAC, JEC, de 1926 à 1929), Auberges de Jeunesses (catholiques en 1929, laïques en 1933), Université Ouvrière du PCF (1932), Centre Confédéral de Culture et d’Éducation Ouvrière de la CGT (1932), centres de reclassement pour chômeurs (1935), Centres d’Entraînement aux Méthodes Actives (CEMEA, 1936), Institut Confédéral de For-mation et d’Éducation Syndicale de la CFTC (1937)... Les spécialistes de cette période situent généralement cette dynamique dans une ambiance générale de crise intellectuelle consécutive à la première guerre mondiale. L’absurdité du massacre puis l’inquiétude devant la montée des fascismes ont fait naître dans les générations montantes un esprit critique à l’égard des élites tradition-nelles et de leur culpabilité dans ces événements dramatiques. Ces nouvelles généra-tions sont en recherche de nouvelles valeurs et donc de nouvelles instances pour les incarner. G.Poujol (Poujol, 1981) montre ainsi que pour certains jeunes chrétiens, surtout catholiques, les mouvements de jeunesse constituent une nouvelle forme d’engagement, en rupture avec le catholicisme conservateur. Ils sont porteurs de va-leurs telles que l’action collective, le pacifisme, l’internationalisme ou le retour à la nature, susceptibles d’être partagées par d’autres mouvements hors du catholicisme et même du christianisme. Une dynamique d’ouverture symétrique est à l’oeuvre dans certains milieux laïcs. Même si une telle notion est à manipuler avec précau-tion, on peut donc avancer que cette dynamique associative tournée vers l’éducation ou la formation des jeunes adultes dans l’entre-deux-guerres a partie liée avec un effet de génération. Ainsi, il n’est sans doute pas accidentel que les quatre dirigeants historiques du mouvement Peuple et Culture, Benigno Cacéres, Joffre Dumazedier, Paul Lengrand et Joseph Rovan soient tous nés entre 1910 et 1918, et soient donc arrivés à l’âge des premiers engagements dans les années trente. En second lieu, parmi les points de vue que peuvent dans une certaine mesure partager les acteurs de l’ensemble de ces mouvements, la critique du système sco-laire est sans doute un des plus potentiellement consensuels.  1.des adultes  est ici à comprendre dans le contexte social de la premièreLa formule « éducation moitié de ce siècle et non dans le sens de la majorité légale. Autrement dit, ce qui était désigné par éducation des adultes concernait en réalité pour l’essentiel ce que l’on appellerait aujourd’hui l’adolescence et la jeunesse, c’est à dire cette période comprise entre la fin de l’obligation scolaire (13 ans) et l’obligation militaire pour les garçons (entre 18 et 21 ans) ou le mariage pour les filles. L’ensemble des instances d’enseignement postscolaire et de formation professionnelle de même que la quasi totalité des mouvements d’éducation populaire et de jeunesse étaient principalement fréquentés par cette tranche d’âge, sans bien sûr que cela soit exclusif.
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V I N C E N T T R O G E R                 La dénonciation de la culpabilité des élites anciennes s’accompagne en effet de la dénonciation de l’école qui les a formées. Des auberges de jeunesse aux centres de reclassement pour chômeurs, des CEMEA aux JAC, l’académisme abstrait des mo-des de transmission des savoirs, le formalisme distant des relations maître-élève et l’inhibition du sensuel ou du corporel deviennent le contre-modèle absolu. Des per-sonnages aussi différents que Gisèle de Failly, fondatrice des CEMEA avec le sou-tien du gouvernement de Front Populaire, ou l’ingénieur suisse A. Carrard, initiateur d’une méthode de formation accélérée des apprentis à l’usine Michelin, peuvent ain-si émettre des critiques très semblables sur le système scolaire. Alors que la pre-mière revendique la transmission d’un « savoir libérateur  « acquis dans l’auto-nomie  et tenant compte des approches « scientifiques  de la psychologie du développement (Collectif, 1976), le second publie en 1941 chez Delachaux et Nies-tlé un livre intitulé « La jeunesse de demain  dans lequel il regrette que l’école « inculque des connaissances (...) sans se donner la peine de développer des person-nalités et des caractères  et sans tenir compte des « lois biologiques du développe-ment de l’enfant 2.  la fin des années trente, les minorités cultivées des généra-tions montantes associent donc souvent la critique de l’école et l’expérimentation pédagogique à leurs engagements politiques ou religieux, surtout dans les milieux de gauche. Dernière caractéristique, enfin, de l’éducation populaire ou de la formation pro-fessionnelle à cette époque, l’apparition, notamment avec le Front Populaire, d’un début de professionnalisation. L’État rompt en effet avec une tradition libérale jus-que là dominante et intervient dans ces domaines. Des crédits sont débloqués pour les centres de reclassement pour chômeurs puis pour les centres de formation profes-sionnelle accélérée des industries de guerre, où s’expérimentent de nouvelles péda-gogies, comme celle d’A. Carrard. Simultanément, l’instauration des congés payés s’accompagne de la création d’un sous-secrétariat d’État à l’organisation des loisirs et aux sports confié à Léo Lagrange. Ce dernier incite les collectivités locales ou les grandes entreprises à soutenir les mouvements d’éducation populaire et de jeunesse. Un nombre significatif de jeunes adultes s’initie donc aux nouvelles pratiques péda-gogiques en oeuvre dans ces mouvements, participent à les perfectionner, et en font parfois une activité professionnelle à temps partiel. Et bien que ces mouvements tendent, notamment sous l’effet de l’action de l’État, à se spécialiser, de nombreux acteurs circulent en réalité de l’un à l’autre, au hasard des rencontres dans des ré-seaux militants dont on a vu qu’ils étaient très ouverts. C’est notamment le cas des auberges de jeunesse, dont les responsables de Peuple et Culture écriront en 1960 qu’elles ont constitué « une véritable pépinière d’éducateurs populaires (...) où s’opérèrent des brassages et des rapprochements dont toute une génération d’anima-teurs devait tirer le plus grand bénéfice 3. L’itinéraire du leader charismatique de Peuple et Culture, Joffre Dumazedier, est à ce titre éclairant : sociétaire actif des au-berges de jeunesses, jeune diplômé de la Sorbonne, il donne à vingt-deux ans des cours du soir à de jeunes ouvriers de la banlieue parisienne ; c’est à cette occasion  2.Je remercie Hervé Terral, maître de conférences en sciences de l’éducation à l’IUFM de Toulouse, qui m’a signalé cet ouvrage. 3. ,In « L’entraînement mental texte collectif,Peuple et Culture et le Royaume du Maroc, 1960, archives dePeuple et Culture.
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   EP E U P L E C TU L T U R E ,  E D ’ E D U  L PC A T I O NP U L A I R E O  A A L O R M A T I O N F P R O F E S S I O N N E L L E qu’il commence à réfléchir à la future méthode dite de « l’entraînement mental , dont il sera question plus loin. On peut donc retenir qu’à la veille de la guerre s’est constituée une nébuleuse de réseaux associatifs consacrés à l’éducation professionnelle ou socioculturelle des jeunes adultes, dynamisés par l’action du Front Populaire, globalement orientés à gauche, et au sein desquels la critique des élites traditionnelles et du système sco-laire tend à transcender les clivages idéologiques antérieurs, notamment entre chré-tiens et anticléricaux. 1. 2.URIAGE, BERCEAU DE LA  TROISIEME VOIE  L’occupation et le gouvernement de Vichy ont agi comme catalyseur des tendan-ces qui viennent d’être brièvement évoquées. La Révolution Nationale de Philippe Pétain développe des thèmes susceptibles de séduire dans un premier temps les ac-teurs des mouvements d’éducation populaire ou des institutions de formation profes-sionnelle. La valorisation du travail manuel, du sport et des pratiques collectives dans l’éducation des jeunes d’une part, la condamnation symétrique du libéralisme économique et de la lutte des classes4d’autre part, ont pu paraître acceptables à cer-tains d’entre eux, au moins jusqu’en avril 19425. D’autant que le nouveau pouvoir concrétise ses intentions par la création d’un Secrétariat Général à la Jeunesse doté de subventions conséquentes et confié à un ingénieur centralien, Georges Lamirand. Ce dernier adhère à un militantisme chrétien proche des mouvements d’éducation populaire : émule de Lyautey, il a été formé à l’action éducative dans les équipes sociales de Robert Garric6, directement inspirées du catholicisme social d’Albert de Mun et de Marc Sangnier. Il distribue donc assez largement les subventions dont il dispose aux associations d’éducation ou de formation7. C’est avec ces subventions, et dans le but d’alimenter en animateurs les institu-tions d’éducation populaire ou de formation professionnelle, qu’est ouverte en sep-tembre 1940 à Uriage (Isère) une « école de chefs , qui devient en décembre « École Nationale des Cadres de la Jeunesse . Son fondateur, le capitaine saint-cyrien Pierre Dunoyer de Segonzac, constitue une équipe à dominante chrétienne, fortement inspirée par le personnalisme communautaire du fondateur d’Esprit, Em-manuel Mounier, qui donne d’ailleurs plusieurs conférences à l’école, et par le ca-tholicisme social du mouvement « Le Sillon  de Marc Sangnier. Mais, inscrit dans la logique œcuménique de ses inspirateurs, il s’entoure aussi de militants clairement
 4.La charte du travail promulguée en 1941 et qui a subi l’influence de l’ancien syndicaliste Belin est à ce titre exemplaire. 5.Le départ de l’Amiral Darlan et le retour de Pierre Laval lèvent en effet toute ambiguïté sur la na-ture des relations avec l’Allemagne nazie. 6.Normalien et agrégé de lettres en 1919, Robert Garric enseigne à l’école normale libre de Neuilly et à l’université catholique ; il anime dans les années vingt des cours et des cercles d’études destinés au jeunes d’origine populaire qui prennent le nom d’Équipes Sociales. Il dirige le Secours National de 1939 à 1949, et terminera sa carrière en dirigeant la Cité Universitaire de Paris. 7.sont notamment ces subventions qui ont permis la création et le développement de l’enseigne-Ce ment professionnel (les actuels lycées professionnels).
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V I N C E N T T R O G E R                 engagés à gauche, protestants ou agnostiques, tels Pierre Ollier de Marichard8et Jof-fre Dumazedier, issus du mouvement laïc des auberges de jeunesse, ou l’univer-sitaire Gilbert Gadoffre. Dunoyer choisit d’ailleurs la résistance avec toute son équipe dès 1942. C’est à Uriage que Dumazedier rencontre l’autre fondateur de Peu-ple et Culture, Benigno Cacéres. Il est donc indispensable de rappeler ici les grandes lignes de ce que l’on a appelé « l’esprit d’Uriage , dont Peuple et Culture est à l’origine une émanation directe. Uriage est sans doute un des lieux où s’est élaboré l’idée de la « troisième voie . En effet, si l’équipe dirigeante est à dominante chrétienne, son orientation vers la question sociale et le renouvellement des élites la conduit à ne rien ignorer de la pensée marxiste. « Dans les cahiers d’Uriage, témoigne Cacéres, paraissaient des études sur le prolétariat avec des textes de Marx, Engels et autres auteurs qui étaient loin de répondre aux mots d’ordre de Vichy  (Cacéres, 1964). Mais simultanément, la référence dominante au personnalisme communautaire implique l’invocation de la responsabilité des élites dans tous les milieux sociaux et le refus de la lutte des clas-ses. La grande idée d’Uriage est celle d’un « ordre  supposé incarner un nouveau « style de vie  fondé sur l’engagement d’une « élite  qui « ne se définit pas par des fonctions, mais par une excellence dans l’ordre de sa profession, dans l’ordre moral ou civique  (Gadoffre, 1945). Ni lutte des classes ni libéralisme, plutôt une troi-sième voie, de l’ordre de ce qu’on nommera ensuite la participation ou l’autogestion, initiée par une avant-garde formée à l’ascétisme d’une morale individuelle exi-geante. Cacéres caractérise le projet comme une recherche de « nouvelles structures sociales et économiques qui devraient permettre une participation des travailleurs au profit et à la gestion, une promotion ouvrière, une « mystique du travail  (...) . P. Bitoun (Bitoun, 1988) affirme que « les gens d’Uriage (...), en cherchant (...) une troisième voie entre la démocratie libérale et les totalitarismes, ont inventé, mûri puis contribué à construire (la) France nouvelle . Dans un article récent, P. Callé (Callé, 1996) décrit en termes stratégiques la même démarche : « Le problème du rapprochement et de l’adhésion au PC traversa en permanence les débats des grou-pes issus d’Uriage et plus tard de Peuple et Culture (...) La volonté des “uriagistes” de construire (...) des structures pluralistes, de confrontations de tendances et de re-construction d’institutions publiques, s’inscrit en opposition à l’origine quasiment “partisane” des associations en place. L’opposition sera en fait plus marquée, quoi-que feutrée, avec les laïcs de la Ligue qui refuseront longtemps l’échange avec des mouvements confessionnels.  Les nouvelles pratiques de formation des mouvements d’éducation populaire s’inscrivent aisément dans l’esprit d’Uriage. Elles sont perçues comme l’essence même de la société idéale en gestation, celle où doivent disparaître les clivages so-ciaux et émerger de nouvelles élites. Uriage reprend donc et systématise les prati-ques des mouvements de jeunesse, du scoutisme aux méthodes actives : activités sportives quotidiennes, alternance d’exercices intellectuels individuels et collectifs, ancrage des réflexions dans la réalité sociale accessible aux stagiaires, organisation collective des loisirs (veillées, spectacles, sports collectifs), culte raisonné du  8.Diplômé des Beaux Arts et des Arts Décoratifs, Eclaireur unioniste, sociétaire des auberges de jeu-nesse, chargé de mission auprès de Léo Lagrange, P. Ollier de Marichard dirigera après la guerre la publicité de la société Adidas.
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   O R M A T I O N P R O F E S S I O N N E L L EP U L A I R E A L A F ’ E D U C A T I O N P O U L T U R E , D E LP E U P L E E T C « chef  exemplaire. P. H. Chombart de Lauwe9fait mener aux stagiaires des enquê-tes sociales, J. Dumazedier poursuit la mise au point de l’entraînement mental. Au-tant d’expériences, fondées sur l’ancrage de la réflexion dans la pratique sociale ou professionnelle et sur l’engagement collectif du maître et de l’élève, qui achèvent de creuser le fossé avec la pédagogie scolaire traditionnelle. Le manifeste posthume d’Uriage, rédigé en 1945 (Gadoffre, 1945), entérine cette rupture sans ambiguïté : « L’enseignement secondaire actuel est pour beaucoup dans les défaillances françai-ses, moyens de sélection inefficaces, absence de style de vie, routines stérilisantes promues au rang de traditions, compromis bâtard entre la “culture générale” et la préparation au métier, inefficacité des méthodes d’entraînement . D’une certaine manière, et en parodiant un peu facilement la pensée chrétienne, les nouvelles prati-ques pédagogiques ont pour la génération d’Uriage valeur de rédemption des fautes de la génération précédente. Uriage a donc fortement contribué à constituer une pensée cohérente d’un certain courant de l’éducation populaire : incluant une formation à la responsabilité sociale sur le lieu de travail, cette éducation est envisagée comme pédagogie d’un projet po-litique de réconciliation nationale, peu ou prou identifiable à une troisième voie en-tre socialisme et libéralisme. 2.PEUPLE ET CULTURE, INNOVATEUR SOCIAL INFLUENT Uriage n’est pas seulement un lieu de cristallisation d’une utopie politique en gestation parmi les générations nouvelles de l’avant-guerre. C’est aussi le point de départ d’un réseau d’influence dans lequel s’inscrit Peuple et Culture. 2. 1.D’URIAGE A PEUPLE ET CULTURE, LA DYNAMIQUE D’UN RESEAU Parmi les trois mille stagiaires et animateurs d’Uriage, on repère un nombre si-gnificatif de ceux qui constitueront les élites intellectuelles ou artistiques de l’après guerre. Pour citer les plus connus : Hubert Beuve-Méry10, Paul Henry Chombart de Lauwe, Paul Delouvrier11, le père De Lubac12, Jean-Marie Domenach13, Simon No-ra14, Yves Robert15deux fondateurs de Peuple et Culture, Beni-... Et parmi eux, les gno Cacéres et Joffre Dumazedier.
 9.bourgeoisie du Nord, ancien des équipes sociales de R. Garric, docteurNé en 1913 dans la grande ès lettres, il est pilote de chasse de 1942 à 1944 ; il est ensuite un des fondateurs de l’ethnosociologie en France et devient directeur d’étude à l’EHESS en 1960. Il est décédé en 1998. 10.Docteur en droit et journaliste auTempsavant la guerre, catholique, il fondeLe Mondeen 1944 et le dirige jusqu’en 1989. 11.Ancien militant des équipes sociales de R. Garric, il est inspecteur des finances en 1941. Engagé à Uriage et dans la Résistance, il poursuit ensuite une carrière de haut fonctionnaire au commissariat général au Plan, à la Communauté Charbon-Acier, puis est chargé par De Gaulle de réorganiser la région parisienne (création de cinq villes nouvelles) et enfin de diriger EDF au moment du lance-ment du programme nucléaire (1969-1979). 12.Fondateur deTémoignage Chrétienavec le père Chaillet. 13.essayiste et il a longtemps dirigé la revueJournaliste et Esprit. 14.Haut fonctionnaire, il a notamment travaillé au commissariat général au Plan et au cabinet de Pierre Mendès-France. 
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V I N C E N T T R O G E R                 Sans être réunis dans une amicale ou une association, ces femmes et ces hommes sont restés après la guerre fidèles à « l’esprit  d’Uriage, c’est à dire à la fois à une « utopie combattante , pour reprendre le titre de l’ouvrage de B. Comte (Comte, 1991), et à l’authenticité des relations qu’ils avaient nouées dans le contexte particu-lier de l’Occupation et de la Résistance. C’est cette réalité dont veut rendre compte l’expression de P. Callé les « uriagistes . Un exemple, cité par P. Delouvrier dans le livre de P. Bitoun, illustre la nature de leurs relations : chargé en 1961 par le général De Gaulle de prendre en charge l’aménagement de la région parisienne, Delouvrier fait immédiatement appel à Chombart de Lauwe comme expert, lequel demande en échange un financement de ses recherches16. Ce réseau « uriagiste  s’inscrit donc dans une large nébuleuse d’acteurs en re-cherche d’une « troisième voie . Ces acteurs se recrutent aussi bien dans la démo-cratie chrétienne que dans la gauche non communiste ou le gaullisme, et pourront par la suite se reconnaître dans l’action d’Edmond Maire, de Jacques Delors ou de Michel Rocard17. Pour rendre compte du fonctionnement et de l’influence de ce ré-seau, on peut tenter un parallèle avec un concept emprunté à la sociologie des orga-nisations, celui du « marginal sécant . Reprenant une étude antérieure, Crozier et Friedberg (Crozier, Friedberg, 1977) montrent en effet que les principaux décideurs d’une grande réforme hospitalière des années soixante ont été « des marginaux dans le système ancien, mais en même temps des marginaux qui avaient accès à ce que l’on pourrait considérer comme l’establishment du système et se trouvaient à l’intersection de plusieurs sous-systèmes clés . Or nombre des anciens d’Uriage, à l’exemple de ceux cités ci-dessus, se trouvent bien dans cette position : sans être né-cessairement membre de l’establishment organisations dans lesquelles ils tra- des vaillent, ils en sont au moins proches. Ils peuvent donc faire profiter le réseau « uriagiste , et au-delà la nébuleuse « troisième voie , des sources d’information que constituent leurs milieux professionnels. En retour, leurs relations avec ce ré-seau constituent un capital social dans le cadre de leurs activités professionnelles. On peut remarquer que cette position de marginal-sécant reproduit en quelque sorte leur positionnement politique. Dans le rapport de force dominant que crée alors l’influence du Parti communiste, notamment dans les milieux intellectuels, leur re-cherche d’une troisième voie les situe en effet en marge de l’enjeu politique central  15.boutons  qui obtient le prix JeanActeur et réalisateur de cinéma, rendu célèbre par « La guerre des Vigo. 16.B.H. Lévy de dénoncer le « lobby  d’Uriage aprèsC’est ce type de fonctionnement qui a permis à les attaques dont son livre « L’idéologie française  (Grasset, 1981), au demeurant historiquement très discutable, à fait l’objet. 17.J.F. Chausson énumère ainsi les partenaires de la « troisième voie  au début des années soixante : « les Polytechniciens de “X crise”, les héritiers spirituels d’Emmanuel Mounier, les économistes keynésiens, les fidèles de la participation gaullienne, les représentants syndicaux de la nouvelle classe ouvrière, les jeunes agriculteurs de la révolution silencieuse . Peu d’historiens font cepen-dant explicitement référence à ce courant de pensée qui n’a jamais eu d’expression institutionnelle explicite, ni de formalisation théorique aboutie. Tous soulignent en revanche l’engagement à gau-che de nombreux intellectuels chrétiens à la Libération, en référence notamment au personnalisme d’E. Mounier (voir le mouvement « reconstruction  à la CFTC), qui s’est traduit par leur engage-ment en faveur de la décolonisation et leur rapprochement avec le PCF. On peut également souli-gner la présence d’uriagistes autour de Pierre Mendès-France lors de son passage au pouvoir, no-tamment Simon Nora et Paul Delouvrier.
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   L ’ E D U C A T I O N P U L T U R E , D EP E U P L E E T C F O R M A T I O N P  O P U L A I R E A L AR O F E S S I O N N E L L E du moment, surtout après 1947. Les relations complexes de Dumazedier avec le PCF en témoignent. Le réseau uriagiste et ses connexions avec la nébuleuse « troisième voie  constitue donc aussi le moyen d’assumer collectivement, entre les deux pôles dominants du débat politique, des engagements politiques médians qui auraient été individuellement périlleux. Les quatre fondateurs de Peuple et Culture sont tout à fait représentatifs de ce mode de fonctionnement. Parmi eux, Dumazedier est incontestablement leprimus inter pares. Avec Cacé-res, il est le détenteur de l’héritage « uriagiste  : de retour des maquis du Vercors et de Savoie, où ils animaient des équipes éducatives organisées par les uriagistes ré-sistants, ils sont en août 1944 à Grenoble membres du comité départemental de Li-bération. C’est dans ce comité qu’ils fondent Peuple et Culture en novembre 1944, avec Paul Lengrand. Mais légitimé par son itinéraire d’uriagiste résistant et par ses diplômes universitaires, Dumazedier intègre le nouveau corps de l’inspection de la Jeunesse et des Sports. Il fait à cette époque un bref passage au PCF18. En 1953, il est nommé attaché de recherches dans le laboratoire de sociologie de G. Friedmann. Il se maintient parallèlement président de Peuple et Culture, fonction qu’il occupera jusqu’en 1967. Au sein du mouvement, sa double légitimité d’uriagiste et de cher-cheur l’aide à faire reconnaître des points de vue qui n’emportent pas l’adhésion spontanée des adhérents ou des autres dirigeants. Dans les textes d’orientation qu’il rédige pour la revue du mouvement, il fait souvent référence aux travaux universitai-res qu’il connaît ou auxquels il collabore, notamment à l’étranger, pour légitimer les orientations qu’il cherche à imposer. En 1956, il invite ses collègues du CNRS au congrès du mouvement pour exposer des résultats de recherches favorables à ses ini-tiatives19qu’il occupe dans le mouvement lui. Réciproquement, la place centrale permet de faire remonter du terrain des informations utiles à ses recherches en scien-ces sociales. L’uriagiste Bénigno Cacéres est à la fois l’autodidacte du groupe et le fidèle se-cond : fils d’émigré espagnol, menuisier de formation, il est resté secrétaire général de Peuple et Culture de 1947 à 1970 et en a été le président jusqu’en 1973. Mais il est aussi responsable de la production éditoriale du mouvement, assurée par Le Seuil20est donc à ce titre directeur de collection chez cet éditeur. Il enseigne par. Il ailleurs au Centre de Formation de L’Éducation Surveillée de Vaucresson puis à
 18.Dans un texte publié dans « La lettre de Peuple et Culture  de février 1995, Dumazedier affirme avoir quitté rapidement le PCF après avoir dû « comparaître devant un tribunal composé d’Aragon, Courtade et Leduc  pour se justifier de contacts avec un militant trotskiste en Suède. Par ailleurs, Dumazedier n’a jamais fait mystère des liens de nombreux militants de Peuple et Culture avec le PCF, notamment l’épouse de B. Cacéres. Dans le même texte, il souligne cependant que « parmi les militants culturels de Peuple et Culture, le courant communiste, tout à fait légitime comme tous les autres, n’a jamais été le courant dominant . 19.Françoise Guizerix et Aline Ripert, Centre d’Études Sociologiques, rendent compte d’une enquête sur « les loisirs récréatifs dans les comités d’entreprise . 20.Paul Flamand, co-fondateur de la maison d’édition dontLes aventures de Don Camillo firent la fortune, était lui-même un militant de la gauche chrétienne et l’éditeur de la revueEsprit.
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V I N C E N T T R O G E R                 l’Institut des Sciences Sociales du Travail, où il entretient d’excellentes relations avec Marcel David21, qui dirigera son doctorat. Joseph Rovan a rejoint Peuple et Culture à son retour de déportation, où il s’était lié d’amitié avec Edmond Michelet. Né à Munich et d’origine juive, il est après guerre historien et journaliste, spécialiste de l’Allemagne. Il collabore àTémoignage ChrétienetEspritet milite activement pour le rapprochement franco-allemand. Col-laborateur de l’UNESCO, il est chargé de la réorganisation des mouvements de jeu-nesse et d’éducation populaire allemands dans la zone d’occupation française, et il participe à la création de l’Office franco-allemand pour la jeunesse. Il sera ensuite directeur du cabinet d’Edmond Michelet lorsque celui-ci exercera les fonctions de Garde des Sceaux au début de la cinquième République. Récemment, il était encore un des interlocuteurs privilégiés du chancelier Kohl. Comme Paul Lengrand, il n’appartient donc pas à la filiation uriagiste, mais comme Cacéres, il est lié aux mi-lieux chrétiens de gauche. Paul Lengrand enfin, co-fondateur de Peuple et Culture, est enseignant. Il aban-donne ses responsabilités dans le mouvement dès 1946 pour mener une carrière in-ternationale, à l’université MacGill de Montréal d’abord, puis surtout à l’Unesco. Il reste cependant suffisamment proche de Peuple et Culture pour en reprendre la pré-sidence de 1974 à 1981. Chacun maîtrise donc des relations professionnelles qui constituent autant de flux d’informations et de sphères d’influence pour Peuple et Culture : l’Université, un grand éditeur et les milieux de l’Éducation Surveillée, les milieux intellectuels chrétiens et leurs médias, l’UNESCO, une relation privilégiée avec un grand minis-tre gaulliste. J. F. Chosson22 souligne l’importance des relations internationales de Rovan (l’Allemagne), Lengrand (l’Italie) et Dumazedier (la Yougoslavie et la Tché-coslovaquie) pour le rayonnement du mouvement dans les années cinquante (Chos-son, 1995). De la même manière, la qualité des intervenants aux universités d’été de Peuple et Culture témoigne de l’influence de ses dirigeants : on y rencontre entre autres Paul Thibaut et André Bazin, alors membres du comité directeur de l’association, ou Michel Rocard. Il est en outre remarquable que chacune de ces sphères d’action soient suffisam-ment distantes les unes des autres pour que les dirigeants ne se concurrencent pas et soient en quelque sorte, au sein de l’association, des marginaux-sécants « complé-mentaires . C’est peut-être l’explication de la pérennité de leurs relations, exception faite de Lengrand et Dumazedier, qui semblent avoir connu quelques tensions autour de la paternité de l’entraînement mental.
 21.D’origine juive converti au catholicisme, résistant, Marcel David est une figure emblématique des milieux intellectuels chrétiens. Agrégé d’histoire et professeur à la faculté de droit de Strasbourg, il dirige à partir de 1955 l’Institut du Travail créé pour assurer la formation supérieure des syndicalis-tes ouvriers. Il a notamment dirigé un ouvrage intitulé « L’individuel et le collectif dans la forma-tion des travailleurs  (Economica, 1976). 22.Militant de la première heure de Peuple et Culture, il est en 1952 élève de la première promotion d’éducateurs de l’Éducation Surveillée tout en demeurant instructeur à Peuple et Culture.  partir de 1968, il mène une carrière dans l’enseignement agricole et conduit parallèlement des recherches qui l’amènent au doctorat d’État et à l’Université. Il est président de Peuple et Culture de 1989 à 1995.
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  U L T U R E , D E L ’ E D U C A T I O N P O P U L A I R E A L A F O R M A T I O N P R O F E S S I O N N E L L E E T C P E U P L E Il serait néanmoins insuffisant de s’en tenir à cette approche, qui occulte la di-mension psychosociologique du succès de ces militants : leur exceptionnelle déter-mination. 2. 2.PEUPLE ET CULTURE OU LA REUSSITE D’UNE MINORITE ACTIVE Pour saisir cette autre dimension de l’action de Peuple et Culture, on peut em-prunter à la psychosociologie le modèle de l’influence des minorités actives proposé par Serge Moscovici (Moscovici, 1979). Partant de l’hypothèse que l’influence sociale n’est pas la seule propriété des classes dominantes et que certains individus ou groupes sociaux minoritaires peu-vent, sous certaines conditions, en maîtriser une part et l’utiliser pour produire du changement social, Moscovici propose un modèle qui paraît valide pour rendre compte de l’action de Peuple et Culture, au moins pour la période qui va de la Libé-ration à 1968. Il indique en effet des critères de réussite pour les minorités actives qui peuvent s’appliquer aux discours et aux pratiques du mouvement : l’affirmation très ferme de ses propres convictions et de la certitude de leur légitimité, l’accep-tation des conflits que supposent ces convictions, et un « style de comportement  fait d’investissement, d’autonomie et de consistance dans l’action. La confiance dans la justesse des convictions ne manque pas au Peuple et Culture de la période 1944-1968. Le manifeste du mouvement, rédigé en 1944 par Dumazedier et Lengrand, se présente comme une énonciation de prescriptions et de préconisations fondées sur des certitudes psychopédagogiques : « Le développement préalable de l’activité mentale est la condition indispensable d’une vraie culture (...) Il ne s’agit pas de donner à l’esprit des connaissances, mais de développer ses fa-cultés (...) Nous développerons (la) musculature (mentale) par un véritable entraî-nement mental . Ce registre de discours, de l’ordre de l’injonctif et du prédictif, traduit la certitude propre à l’ensemble des dirigeants du mouvement de détenir une vérité, et se maintiendra dans le mouvement jusqu’à la crise de 1968. Cette vision de la transmission de la culture aux milieux populaires s’inscrit aus-si dans une double opposition : pédagogique, contre les pratiques dominantes dans le système scolaire, et culturelle, contre les contenus dominants sur le marché du loisir de masse, alors en plein développement. Or les dirigeants de Peuple et Culture as-sument sans ambiguïté ce double conflit. On a vu que la condamnation de l’acadé-misme abstrait des pratiques scolaires dominantes est un leitmotiv des mouvements d’éducation populaire et de jeunesse, comme d’ailleurs des praticiens de la forma-tion professionnelle. Comme celui d’Uriage, le manifeste fondateur de Peuple et Culture reprend logiquement ce thème et stigmatise « un enseignement périmé . La revue du mouvement sera ensuite plus prudente, sans doute en raison de la présence massive des enseignants, qui constituent en permanence environ 40% du comité di-recteur et une proportion localement très variable mais toujours importante des ad-hérents23la culture scolaire un de ses. Néanmoins, Dumazedier fait de la critique de  23.Ces enseignants sont apparemment de deux catégories. D’une part des militants pédagogiques, marginaux dans l’institution, et qui trouvent dans l’éducation populaire les terrains d’innovation que l’école leur refuse. Ainsi, l’un des exercices emblématiques de la pédagogie novatrice du fran-çais dans l’enseignement professionnel, la « lecture suivie , est une transposition à la lettre des fi-ches de lecture conçues par Peuple et Culture. D’autre part des consommateurs culturels, souvent
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