Deux « comités de quartier » en Russie : la (ré)invention d'une forme de participation politique ? - article ; n°1 ; vol.29, pg 35-68

Anne Lehuérou

Description

Revue d’études comparatives Est-Ouest - Année 1998 - Volume 29 - Numéro 1 - Pages 35-68
Dans un contexte marqué par la perte de sens du politique, la création de comités de quartier en Russie peut être considérée comme un lieu de construction du lien politique. L'observation de deux d'entre eux, à Omsk et à Dol'goprudnyj, permet de dresser la typologie des différents modes de relation avec les autorités locales. Mais ces deux initiatives, marquées l'une par la stratégie politique d'un entrepreneur, l'autre par l'impuissance de quelques militants face à l'administration, ne peuvent que faiblement remédier à l'absence de participation et au déficit de représentation caractérisant la vie politique locale.
Given political apathy in Russia, setting up neighbourhood committees might be a means for involving people in politics. By observing two such committee (in Omsk and Dol'goprudnyj), a typology of relations with local authorities has been drawn. However in both cases (the one related to an entrepreneur's political strategy and the other to the powerlessness of a few activists in dealing with the administration), these committees hardly make up for the lack of political participation and representation characterizing local political life.
34 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: REVUE_D-ETUDES_COMPARATIVES_EST-OUEST
• Publié le: 01 janvier 1998
• Nombre de lectures: 20
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

Anne Le Huérou
Deux « comités de quartier » en Russie : la (ré)invention d'une
forme de participation politique ?
In: Revue d’études comparatives Est-Ouest. Volume 29, 1998, N°1. pp. 35-68.
Résumé
Dans un contexte marqué par la perte de sens du politique, la création de comités de quartier en Russie peut être considérée
comme un lieu de construction du lien politique. L'observation de deux d'entre eux, à Omsk et à Dol'goprudnyj, permet de
dresser la typologie des différents modes de relation avec les autorités locales. Mais ces deux initiatives, marquées l'une par la
stratégie politique d'un entrepreneur, l'autre par l'impuissance de quelques militants face à l'administration, ne peuvent que
faiblement remédier à l'absence de participation et au déficit de représentation caractérisant la vie politique locale.
Abstract
Given political apathy in Russia, setting up neighbourhood committees might be a means for involving people in politics. By
observing two such committee (in Omsk and Dol'goprudnyj), a typology of relations with local authorities has been drawn.
However in both cases (the one related to an entrepreneur's political strategy and the other to the powerlessness of a few
activists in dealing with the administration), these committees hardly make up for the lack of political participation and
representation characterizing local political life.
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Le Huérou Anne. Deux « comités de quartier » en Russie : la (ré)invention d'une forme de participation politique ?. In: Revue
d’études comparatives Est-Ouest. Volume 29, 1998, N°1. pp. 35-68.
doi : 10.3406/receo.1998.2892
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/receo_0338-0599_1998_num_29_1_2892d'études comparatives Est-Ouest, 1998, vol. 28, n° l,pp. 35-68 Revue
Deux "comités de quartier" en Russie :
la (ré)lnvention d'une forme
de participation politique ?
Anne LE HUÉROU *
RÉSUMÉ : Dans un contexte marqué par la perte de sens du politique, la création de
comités de quartier en Russie peut être considérée comme un lieu de construction du
lien politique. L'observation de deux d'entre eux, à Omsk et à Dol'goprudnyj, permet de
dresser la typologie des différents modes de relation avec les autorités locales. Mais ces
deux initiatives, marquées l'une par la stratégie politique d'un entrepreneur, l'autre par
l'impuissance de quelques militants face à l'administration, ne peuvent que faiblement
remédier à l'absence de participation et au déficit de représentation caractérisant la vie
politique locale.
ABSTRACT : Given political apathy in Russia, setting up neighbourhood committ
ees might be a means for involving people in politics. By observing two such
ee (in Omsk and Dol'goprudnyj), a typology of relations with local authorities has been
drawn. However in both cases (the one related to an entrepreneur's political strategy and
the other to the powerlessness of a few activists in dealing with the administration),
these committees hardly make up for the lack of political participation and representa
tion characterizing local political life.
La Russie post-soviétique, particulièrement dans la période qui suit 1993, est
caractérisée par un fort déficit du politique. La rupture entre le monde du pou
voir et la société marque une perte de lien politique et, au-delà, une perte de
sens du politique. Y a-t-il cependant des lieux de participation où pourrait
s'observer une forme de construction d'un lien politique ? Cet article entend
donner un début de réponse à cette question grâce aux enseignements tirés
d'une étude de terrain 1 pendant laquelle on a tenté de mener une démarche
proche de l'anthropologie politique. Comme le souligne Marc Abélès, l'anthro
pologie politique, à la différence de la philosophie politique, qui établit une
nette distinction entre le lien politique et la société civile, « se passionne pour
leur imbrication » et tente de mettre à jour les « lieux du politique » (Abélès,
* Sociologue, doctorante au Centre d'Analyse et d'Intervention Sociologiques, EHESS/
CNRS (54, boulevard Raspail, 75006 Paris).
1. Cette étude est fondée sur l'observation directe de deux comités de quartier, principale
ment durant l'année 1994-1995 et, plus ponctuellement, en 1996 et 1997. L'auteur tient à
remercier tout particulièrement les animateurs de ces comités. 36 ANNE LE HUÉROU
1997, p. 13), en appliquant aux sociétés modernes la démarche qui l'a conduit,
dans son cheminement initial, à ne pas construire a priori un objet politique
autonome (Abélès, 1992).
On s'intéresse ici aux expériences d'auto-organisation dans les quartiers,
comme mode d'action et de participation des habitants dans le contexte des
bouleversements caractérisant le système politique local en Russie au milieu
des années 90. Ces expériences peuvent renvoyer à des pratiques antérieures,
dans leur fonctionnement comme dans le type de demandes auxquelles elles
essaient de répondre. Notre démarche sera de déterminer dans quel sens et selon
quelles modalités elles tentent de proposer une nouvelle relation au politique.
On a pu observer personnellement, à partir de l'automne 1994, la naissance et
le développement de deux "comités de quartier", ou komitet obscestvennogo
samoupravlenija2, le premier à Dol'goprudnyj, petite ville de la banlieue nord
de Moscou, le second à Omsk, une grande ville de Sibérie occidentale. On peut
les définir comme une organisation des habitants sur un territoire limité 3, selon
des modalités variables, dont l'objectif commun est de prendre en charge et de
tenter de résoudre un certain nombre de problèmes liés à la vie du quartier. Le
choix des termes et de leur traduction est délicat, autant pour désigner les divi
sions administratives des collectivités territoriales en Russie que pour désigner
le concept général de samoupravlenie, littéralement autogestion. Si le terme
russe continue d'être largement utilisé en Russie, il l'est rarement en référence à
une théorie de l'autogestion, et on préfère ne pas l'employer ici en raison d'une
trop forte connotation politique dans le contexte français et parce qu'il serait
peu opératoire pour désigner les expériences retenues. Ce type d'organisation
peut être considéré comme l'échelon de base du mestnoe samoupravlenie 4-
terme qui désigne l'auto-administration locale, définie par la loi - ou comme
une organisation plus informelle. Ces questions sont, en Russie même,
aujourd'hui l'objet de débats et les solutions juridiques largement décentrali
sées, puisque relevant de la compétence des sujets de la Fédération. Dans les
deux cas observés, il s'agit de la seconde variante. Ces comités sont des struc-
2. La traduction littérale pour komitet obscestvennogo samoupravlenija serait comité d'auto
gestion sociale, ou "publique", au sens de "géré par la société" en opposition à "géré par
l'État". Cette appellation est en continuité avec la terminologie soviétique, qui faisait larg
ement référence à Vobsâestvennost' pour désigner la partie active et "participante" de la
société.
3. Ces comités exercent leur compétence au niveau d'un quartier, défini en russe comme
mikrorajon, le rajon étant l'échelon supérieur (l'équivalent français serait l'arrondissement
d'une grande ville), qui est le dernier niveau de l'auto-administration locale dans les agglo
mérations urbaines. A Dol'goprudnyj, le comité de quartier œuvre sur un territoire qui
correspond exactement à l'une des circonscriptions électorales (izbiratel' nyj okrug) munici
pales ; à Omsk, il s'agit d'une partie de la circonscription, recoupant le territoire du rajon.
Bien entendu, dans ce cas, les relations du comité avec les autorités locales se font au niveau
de l'arrondissement (rajon).
4.self-government" Ici, l'anglais permettrait et obscestxennoe de mieux samoupravalenie distinguer entre comme mestnoe "civic samoupravlenie self-management". comme "local "COMITÉS DE QUARTIER" EN RUSSIE : (RÉ)INVENTION D'UNE PARTICIPATION POLITIQUE ? 37 DEUX
tures indépendantes, qui, en fonction de l'évolution de leurs relations avec les