Dogmes et cauchemars dans l Apologétique romantique - article ; n°52 ; vol.16, pg 69-94
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Description

Romantisme - Année 1986 - Volume 16 - Numéro 52 - Pages 69-94
26 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1986
Nombre de lectures 0
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

M. Stéphane Michaud
Dogmes et cauchemars dans l'Apologétique romantique
In: Romantisme, 1986, n°52. pp. 69-94.
Citer ce document / Cite this document :
Michaud Stéphane. Dogmes et cauchemars dans l'Apologétique romantique. In: Romantisme, 1986, n°52. pp. 69-94.
doi : 10.3406/roman.1986.4831
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1986_num_16_52_4831Stéphane MICHAUD
Dogmes et cauchemars dans l'Apologétique romantique
Les religions sont les vêtements de Dieu chez
les hommes. Ces vêtements s'usent. Les prêtres
s'en épouvantent, ils ont tort. Dieu reste. A tra
vers les trous de la robe religion, on le voit à nu
directement.
Victor Hugo, Le Tas de pierres (mai 1860
à avril 1865)
Le catholicisme du XIXème siècle affiche un visage lisse et austère.
Quel accident viendrait en plisser la surface ? La religion avoue pour
premier fondement la défense de la morale et de l'ordre établis ; elle se
pense comme une hiérarchie, et n'imagine pas Dieu ni la société sur un
autre modèle. Bien plus, elle se targue d'avoir réponse à tout, se présent
e comme une assurance contre tout risque d'aventure.
N'est-on pas fondé, dans ces conditions, à se demander qui parle
dans la religion du XIXème siècle ? Quel est le sujet de renonciation,
l'instance qui fonde le discours ? La question est d'autant plus naturelle
que le mystique pour sa part, qu'il s'agisse de maître Eckhart, de Jean
de la Croix ou de tout autre, ne cache pas que son discours se fonde
dans l'absence d'un insaisissable et irréductible Autre, source de toute
vie, dont il s'éprouve exilé1 . Comment dès lors ne pas interroger la rel
igion sur le sens à donner à cette instance dernière qu'elle appelle Dieu,
la foi ou la nature ? Que signifie l'entreprise qui consiste à enserrer un
Dieu qui n'est connu que par la médiation de sa Parole dans un étroit
réseau de certitudes, comme si tout relâchement dans les mailles du filet
devait être générateur d'angoisse ? Trois siècles en effet après le concile
de Trente, Rome, soucieuse de restaurer l'Eglise dans sa fonction ensei
gnante, proclame deux dogmes nouveaux, celui de l'Immaculée Concept
ion de Marie (1854) et celui de l'infaillibilité pontificale (1870). Mais
le phénomène ne s'arrête pas là. Emportés par la vague, les théologiens
multiplient arbitrairement les dogmes : Dieu s'identifie alors à la pro
priété privée, à l'implacable loi du travail ou à la fatalité de l'impureté
féminine. Et de véritables cauchemars viennent sous leur plume tenter
de légitimer ces hasardeuses affirmations. Le moins que l'on puisse dire
est, pour reprendre une expression bien connue, que ça parle dans la re
ligion du XIXème siècle. Car ce sont, dans une large mesure, les peurs
qui les mobilisent et les minent que les apologistes donnent en spectac
le.
Si l'on connaît les consolations que la piété populaire, fouettée
par le clergé, cherche dans des formes de dévotion affectives et sensuell
es, celle du Sacré-Cœur et de la Vierge immaculée par exemple, si l'on
sait combien ce courant se rencontre avec le culte que le siècle, laïc ou
religieux, porte à la femme-mère comme aux images en général2 , on a
moins observé en revanche les décharges irrationnelles qui tout à coup Stéphane Michaud 70
emportent le langage des clercs. Cette trouée dans le texte trahit l'aff
olement d'une pensée largement coupée des racines scripturaires et spiri
tuelles où l'on attendrait qu'elle puisât sa dynamique, et son repli timo
ré sur une tradition profane que, tout au long de son histoire, elle a ac
cueillie d'autant plus volontiers que se relâchait l'autorité de cette tradi
tionnelle maxime théologique selon laquelle « rien n'est plus divin que
de devenir coopérateur de Dieu »3 .
Sans nier les valeurs authentiques chrétiennes qui peuvent être à
l'œuvre dans le siècle, je m'attacherai ici à quelques-unes de ces formes
de désarroi. Je retiendrai d'abord l'inflation que connaît le mot dogme :
jadis décrié par les philosophes des Lumières, rejeté définitivement dans
les ténèbres du passé par un article célèbre du philosophe Jouffroy en
1825, le terme en vient pourtant à acquérir une autorité que lui envient
les penseurs socialistes4 . Je m'arrêterai ensuite aux figures monstrueuses
et aux visions de terreur qui s'agitent sous la plume des ecclésiastiques
incapables de soutenir la vision d'une humanité sans Dieu. Que les con
cepts se dérèglent ou que fasse retour le langage de l'archaïsme et de la
psychose, la victoire des forces de la nuit révèle l'égarement d'une com
munauté qui cherche désespérément dans des valeurs profanes, plus que
dans la fidélité à l'esprit de son fondateur, les raisons d'une problémati
que survie.
L'enquête ne se bornera pas à cerner quelques aspects du catholi
cisme romantique. En un temps de restauration morale et de réhabilita
tion des valeurs conservatrices comme la nôtre, à une époque où l'Eglise,
vingt ans après la clôture de Vatican II, est à nouveau tentée par les
prestiges dogmatiques et envisage de porter sur les autels, en la personne
de Pie IX, le pape qui incarne le mieux l'esprit autoritaire d'une institu
tion fermée aux voix de son siècle, l'analyse donnera à entendre ces
voix abusives qui, sous couleur de valeurs chrétiennes, ne cessent de se
mêler au discours religieux et d'en brider la liberté.
De la pauvreté évangélique au dogme de la propriété
Dom Guéranger passe à juste titre pour un théologien prudent. Sa
modération, ses connaissances liturgiques et scripturaires lui vaudront
bientôt d'être appelé à Rome par Pie IX, pour rédiger l'un des projets
de définition du dogme de l'Immaculée Conception. Or voici que ce sa
ge parmi les infatigables défenseurs de la papauté et de l'Église ne se
contente pas de céder, à son tour, à l'esprit de croisade qui anime l'Egli
se depuis la Réforme et la Révolution française. Il révèle plus crûment
qu'aucun de ses confrères l'autorité nouvelle qui supplante l'Evangile et
la tradition. Elle s'appelle la bourgeoisie (terme que notre abbé écrit
avec une majuscule), et édicté un dogme inédit : celui de la propriété.
« Savez-vous que c'est une grande faute, dans L'Univers, de crier nommément
contre la Bourgeoisie, comme vous le faites sans cesse — écrit le restaurateur
de Solesmes à son ami Louis Veuillot, le 31 décembre 1848 —.[...] quiconque
signale aujourd'hui si ardemment la Bourgeoisie par son nom, donne corps à
toutes les attaques contre la propriété [...] Vous me direz que L'Univers n'est
pas le seul à signaler cette classe par son nom ; je le sais bien ; mais, pour
l'amour de Dieu, n'aidez pas les anarchistes. La propriété est un dogme de no
tre foi ; et la propriété, si Dieu pouvait le permettre, périrait avec la Bourgeois
ie »5. Dogmes et cauchemars dans l 'Apologétique romantique 71
Ce qui s'échange dans cette correspondance, plusieurs années avant
la dénonciation de Châtiments —
« Prêtres, nous écrirons sur un drapeau qui brille :
- Ordre, Religion, Propriété, Famille »6
— ce sont les peurs d'une religion qui confond ses intérêts avec ceux de
la classe possédante. Avec la piété, la dogmatique s'insère dans une stra
tégie de restauration. Elle puise un décisif regain de vigueur dans la né
cessité de voler au secours d'un ordre ébranlé. Devant le spectre de
l'anarchie, cauchemar aussitôt conjuré par une doctrine incapable de
penser Paltérité sous aucune forme, le mot dogme s'ouvre aux valeurs
temporelles les moins évangéliques. A partir du moment où, comme le
dit V Encyclopédie théologique de Migne (qui consacre tout un volume
aux réponses qu'il convient d'apporter aux « objections populaires
contre le dogme »), les dogmes fondent l'ensemble de la vie morale et
sociale7 , ils ne sont plus requis, en rigueur de termes, de porter sur des
points de doctrine relatifs à la nature humaine ou divine, et tra

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