Droit naturel et abstraction judiciaire. Hypothèses sur la nature du droit médiéval - article ; n°6 ; vol.57, pg 1463-1488
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Annales. Histoire, Sciences Sociales - Année 2002 - Volume 57 - Numéro 6 - Pages 1463-1488
L'opposition entre droit naturel et droit positif, qui peut être considérée comme l'une des façons d'affirmer la distinction entre le fait et le droit, essentielle à l'activité juridique, a été construite en Occident médiéval au XIIe siècle. À l'encontre d'une historiographie qui célèbre le naturalisme du droit médiéval, on souligne que c'est le droit positif qui constitue le terme marqué de l'opposition, comme le montre une étude précise de la formation lexicale et conceptuelle de l'opposition, autour de Pierre Abélard et de Thierry de Chartres. Cette positivitě repose sur deux fondements : l'idée d'un dépassement de la nature déchue par une grâce distribuée après coup et la distinction progressive entre éthique et droit. A l'inverse de l'éthique, qui privilégie l'intention, le droit ne peut s'établir que sur des faits.
La lutte contre l'hérésie, bloquée par les ambivalences de l'intention, accentue encore le recours aux faits. Le cantonnement du droit naturel se comprend au sein du processus d'abstraction juridique, qui formalise et objective les situations de conflit ou de transgression. C'est précisément un consensus autour de l'artifice juridique qui assure l'autonomie nouvelle du droit et le développement d'un Jus commune et d'une Common Law au Moyen Âge.
Natural law and the judicial abstraction. Some hypotheses on the nature of medieval law.
The opposition between natural law and positive law, which is crucial to maintaining the distinction between fact and law that underpins any juridical action, was first constructed in the medieval West during the 12th century. Against a historiography that celebrates the naturalism of medieval law, this article demonstrates that it is precisely positive law which constitutes the marked term in the opposition natural versus positive law. It does so through a close study of the lexical and conceptual formation of this opposition in the work of Pierre Abélard and Thierry de Chartres. The positive nature of positive law rests on two bases: the idea of overcoming our fallen nature through a kind of Grace distributed after the fact, and the increasingly developed distinction between ethics and law. Unlike ethics, which privileges intent, law can be based solely on facts. The struggle against heresy, which was blocked by the ambivalences surrounding the question of intent, underscored the need for recourse to hard facts. The limitations of natural law revealed themselves at the heart of the process of juridical abstraction, which formalized and objectivized situations of conflict or transgression. For it was precisely the consensus that arose around the judicial artifice that guaranteed a new autonomy to law and allowed the development of both Jus commune and of the Common Law in the Middle Ages.
26 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2002
Nombre de lectures 23
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Monsieur Alain Boureau
Droit naturel et abstraction judiciaire. Hypothèses sur la nature
du droit médiéval
In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 57e année, N. 6, 2002. pp. 1463-1488.
Citer ce document / Cite this document :
Boureau Alain. Droit naturel et abstraction judiciaire. Hypothèses sur la nature du droit médiéval. In: Annales. Histoire, Sciences
Sociales. 57e année, N. 6, 2002. pp. 1463-1488.
doi : 10.3406/ahess.2002.280120
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_2002_num_57_6_280120Résumé
L'opposition entre droit naturel et droit positif, qui peut être considérée comme l'une des façons
d'affirmer la distinction entre le fait et le droit, essentielle à l'activité juridique, a été construite en
Occident médiéval au XIIe siècle. À l'encontre d'une historiographie qui célèbre le naturalisme du droit
médiéval, on souligne que c'est le droit positif qui constitue le terme marqué de l'opposition, comme le
montre une étude précise de la formation lexicale et conceptuelle de l'opposition, autour de Pierre
Abélard et de Thierry de Chartres. Cette positivitě repose sur deux fondements : l'idée d'un
dépassement de la nature déchue par une grâce distribuée après coup et la distinction progressive
entre éthique et droit. A l'inverse de l'éthique, qui privilégie l'intention, le droit ne peut s'établir que sur
des faits.
La lutte contre l'hérésie, bloquée par les ambivalences de l'intention, accentue encore le recours aux
faits. Le cantonnement du droit naturel se comprend au sein du processus d'abstraction juridique, qui
formalise et objective les situations de conflit ou de transgression. C'est précisément un consensus
autour de l'artifice juridique qui assure l'autonomie nouvelle du droit et le développement d'un Jus
commune et d'une Common Law au Moyen Âge.
Abstract
Natural law and the judicial abstraction. Some hypotheses on the nature of medieval law.
The opposition between natural law and positive law, which is crucial to maintaining the distinction
between fact and law that underpins any juridical action, was first constructed in the medieval West
during the 12th century. Against a historiography that celebrates the naturalism of law, this
article demonstrates that it is precisely positive law which constitutes the marked term in the opposition
"natural" versus "positive" law. It does so through a close study of the lexical and conceptual formation
of this opposition in the work of Pierre Abélard and Thierry de Chartres. The positive nature of positive
law rests on two bases: the idea of overcoming our fallen nature through a kind of Grace distributed
after the fact, and the increasingly developed distinction between ethics and law. Unlike ethics, which
privileges intent, law can be based solely on facts. The struggle against heresy, which was blocked by
the ambivalences surrounding the question of intent, underscored the need for recourse to hard facts.
The limitations of natural law revealed themselves at the heart of the process of juridical abstraction,
which formalized and objectivized situations of conflict or transgression. For it was precisely the
consensus that arose around the judicial artifice that guaranteed a new autonomy to law and allowed
the development of both Jus commune and of the Common Law in the Middle Ages.Droit naturel
et abstraction judiciaire
Hypothèses sur la nature du droit médiéval
Alain Boureau
L'action juridique, doctrinale ou pratique, consiste à distinguer le fait du droit,
l'être (sein) du devoir-être (so/kn), selon les termes de Hans Kelsen1. C'est sur
ce point qu'achoppent les multiples tentatives de dialogue entre les disciplines
juridiques et les sciences sociales. Les historiens et les sociologues postulent l'i
mmanence de toutes les actions humaines, y compris celles des juristes et des juges.
Au plus près des objets du droit, l'anthropologie juridique et l'histoire sociale de
la justice intègrent l'action judiciaire au sein des processus sociaux et ne concèdent
rien à l'autonomie de la construction normative. Cette permanence de l'incompatib
ilité des approches semble s'éroder depuis quelque temps, mais souvent de façon
trompeuse : il arrive en effet que des juristes se transforment en historiens ou, plus
rarement, que des historiens deviennent historiens du droit, sans que la pertinence
de la question de l'opposition entre le fait et le droit s'efface réellement.
Pourtant, pour l'historien, le tracé de cette distinction doit être considéré
comme un objet historique à part entière et non comme une simple frontière
entre les disciplines. Pour illustrer cette revendication, nous allons considérer un
événement remarquable, l'invention de l'opposition entre droit naturel et droit
positif, qui constitue l'une des occurrences possibles de la distinction du fait et du
droit, puisque le propre du droit positif est de rejeter la réception immédiate des
faits et d'imposer leur qualification formelle au sein de systèmes d'interprétation.
Or, cette invention, du moins lexicale, a eu lieu au début du XIIe siècle, au moment
1 - Hans Kelsen, Théorie générale des normes (trad, par Olivier Beaud et Fabrice Malkani),
Paris, PUF, [1979] 1996.
Annales HSS, novembre-décembre 2002, n°6, pp. 1463-1488. ALAIN BOUREAU
même où se développait ce que l'on nomme traditionnellement la « Renaissance
du droit». Et cette « Renaissance » ne se limita nullement aux retrouvailles avec
le droit romain, puisque, de façon concomitante et largement autonome, se créa
en Angleterre la Common law et que, même en Italie, l'extraordinaire croissance
des recours aux juristes et aux juges a pu, en certains lieux, se faire sans le droit
romain2. À l'encontre d'un assez large consensus, nous voudrions montrer que,
dans le couple droit naturel/droit positif, c'est ce dernier qui constituait le terme
marqué de l'opposition. En effet, on a généralement considéré soit que la nouvelle
étiquette générique de « droit positif» ne relevait que d'un simple baptême classi-
fïcatoire, soit qu'elle servait à mettre en valeur son opposé, le droit naturel, désor
mais installé au cœur de la réflexion sur la justice. Notre hypothèse, au contraire,
serait que l'invention du terme renverrait à un processus essentiel du Moyen Âge
central, que nous proposons d'appeler « abstraction judiciaire », et qui consiste à
rechercher des modèles abstraits et formels d'équivalence entre des réalités empi
riques incommensurables. Ce moment de l'abstraction ne marque pas nécessair
ement le début d'une longue « modernisation », mais correspond à des besoins et
des aspirations historiquement circonscrits.
Ce mouvement a généralement été sous-estimé, parce que le « naturalisme »
médiéval a beaucoup fasciné nos contemporains. Les réticences historiennes
envers la formalité et l'hermétisme du droit se lèvent devant le caractère partagé
et par définition informel du droit naturel. Celui-ci, selon des formulations
anciennes, est inscrit dans le cœur des hommes, sans nécessiter d'apprentissage.
Sous divers points de vue, nostalgiques ou évolutionnistes, on a souvent interrogé
la naturalité de la norme médiévale, précisément en y projetant une neutralisation
de l'opposition entre le fait et le droit.
Le Moyen Âge et les utopies jusnaturalistes
En premier lieu, le juridisme médiéval a été convoqué par un débat contemporain
sur le caractère subjectif ou objectif du droit naturel, actualisé par le retour de la
question des droits de l'homme. Dans la formulation actuelle du jusnaturalisme,
la substance des droits naturels ne renvoie pas à une normativité, à un devoir-être,
mais à un fait, qui relève de la description. Certes, il s'agit d'un fait humain, dont
la naturalité peut être cachée ou dissimulée, et c'est le rôle du politique que
d'opérer une reconnaissance de ce fait primordial, en procédant à une « déclara
tion » des droits de l'homme, qui l'emporte sur toute constitution ou toute codifi
cation. Le mot «déclaration», en 1789, s'entend non pas dans le sens d'une
énonciation créative, mais en son sens ancien, commun dans l'exégèse biblique,
de «mise au clair», d'explicitation de l'implicite. Les choix normatifs doivent
s'accommoder des données nat

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