Energétique et féminité (1720-1820) - article ; n°46 ; vol.14, pg 15-25
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Description

Romantisme - Année 1984 - Volume 14 - Numéro 46 - Pages 15-25
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 1984
Nombre de lectures 29
Langue Français

Extrait

Anne-Marie Jaton
Energétique et féminité (1720-1820)
In: Romantisme, 1984, n°46. pp. 15-25.
Citer ce document / Cite this document :
Jaton Anne-Marie. Energétique et féminité (1720-1820). In: Romantisme, 1984, n°46. pp. 15-25.
doi : 10.3406/roman.1984.4787
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1984_num_14_46_4787Anne-Marie JATON
Énergétique et féminité (1720-1820)
Dans une lettre écrite en 1779 à la duchesse de Choiseul, Madame
du Deffand écrit : « Vous me demandez si je connais le mot énergie ?
Assurément je le connais et je peux même fixer l'époque de sa nais
sance : c'est depuis qu'on a des convulsions en entendant la musi
que » (1). La vieille dame, l'une des plus spirituelles de son temps,
avait encore écrit :
« Je me souviens que l'abbé [Barthélémy] me tourna en ridicule une fois que
par hasard je prononçai ce mot énergie ; eh bien ! qu'il sache qu'aujourd'hui il
est devenu à la mode, et qu'on écrit plus rien qu'on ne le place (2).
L'engouement pour le nouveau terme, ou plutôt pour le sens nou
veau d'un mot jusqu'alors utilisé dans le domaine de la théologie ou en
rhétorique pour indiquer l'effet de la force d'un discours (3), date donc
de ce moment crucial de l'histoire des idées. Rousseau s'en sert pour
définir les liens qui l'attachent à Madame d'Houdetot (4), et à l'aube du
grand mouvement d'exaltation des passions, il commence à désigner,
entre autres, la force de l'âme et celle des sentiments. Or les vingt der
nières années de l'époque des Lumières sont aussi celles qui voient
(1) Deffand, Mme du, Correspondance avec la duchesse de Choiseul, l'abbé Barthé
lémy et M. Craufurt, publiée avec une introduction par le Marquis de Saint-Aulaire,
Michel Lévy Frères, 1859, p. 436.
(2) Ibid., p. 398.
(3) Le dictionnaire Trévoux, après avoir signalé l'existence du mot comme terme
dogmatique donne comme définition « force d'un discours, d'une sentence, d'un
mot », et comme exemple « Toutes les paroles de l'Ecriture Sainte sont d'une
grande énergie ». L'article de l'Encyclopédie , signé d'Alembert, déclare qu'énergie
et force sont synonymes, et poursuit de la sorte : « nous ne considérons ici ces
mots qu'en tant qu'ils s appliquent au discours ; car dans d'autres cas, leur diffé
rence saute aux yeux. Il semble qu'énergie dit plus encore que force et qu'énergie
s'applique principalement aux discours qui peignent et au caractère du style. On
peut dire d'un orateur qu'il joint la force du raisonnement à l'énergie des express
ions. On dit aussi une peinture énergique et des images fortes ». Le Dictionnaire
de l'Académie, dans l'édition de 1778, est plus succinct et définit l'énergie de la
façon suivante : « Efficace vertu, force. Il se dit principalement du discours et de
la parole. Style énergique, discours énergique. Ce mot est énergique. Termes éner
giques ».
Sur l'apparition du concept d'énergie à cette époque, voir J. Fabre, Lumières
et Romantisme, énergie et nostalgie de Rousseau à Mickiewicz, Klincksieck,1963.
(4) « C'était de l'amour cette fois, et l'amour dans toute son énergie et dans toutes
ses fureurs », J.-J. Rousseau, Les Confessions, Garnier, 1964, p. 526. 1 6 Anne-Marie Jaton
s'élaborer une vision de la féminité destinée à influencer tout le dix-
neuvième siècle et une partie du vingtième, et l'on peut se demander
dans quelle mesure le concept — dont la connotation virile apparaît
relativement tard — (5) participe ou s'oppose à la nouvelle définition de
la femme.
Dans son compte-rendu de l'ouvrage de Thomas, Diderot, sans dout
e le plus « romantique » des écrivains des Lumières, avait ébauché un
tableau de l'être féminin qui en fait, presque cent ans avant la Sorcière
l'un des précurseurs de Michelet : la femme, éternelle malade, faible
physiologiquement, possède aussi toute l'énergie de nature (6). La dif
férence de sens que Diderot établit implicitement entre force et énergie
passe, le contexte l'indique clairement, par la constitution ; l'énergie f
éminine, qui est celle des sauvages et des bêtes féroces, est due à ses f
ibres particulières et surtout à la force de sa matrice. Si, dans le petit
texte du philosophe, l'expression énergie de nature, appliquée à un être
« extrême dans sa force et dans sa faiblesse » (7), est étroitement liée
à l'énergie passionnelle et même à la force visionnaire, Diderot, con
vaincu de l'importance de ce qu'on appelle à l'époque Г «organisation»,
fait une lecture de la féminité qui va de l'organique au mental, et propos
e un itinéraire partial et fascinant destiné à connaître un très large dé
veloppement.
L'un des points essentiels de la pensée qui va du siècle des Lumièr
es au Romantisme est en effet la mise en évidence des rapports exis
tant entre le physique et le moral. Montrant que tout vient du corps,
les disciples de Locke et de Condillac, Buff on et les naturalistes qui
inventèrent l'anthropologie, les médecins, de Venel à Roussel et Marat,
créent une nouvelle manière de voir et de penser : avant de devenir l'un
des problèmes des idéologues, les rapports de Г «organisation» et de
l'intellect sont, sauf chez Helvétius et Condorcet, l'un des éléments
fondamentaux d'une théorie de la féminité (8) qui a eu le grand mérite
de comprendre l'unique psychophysiologique de l'individu, mais qui a
parfois méconnu l'influence spécifique de la culture — ou de l'absence
de culture — en particulier sur la femme.
Le docteur Cabanis est l'un de ceux qui poursuivent la tradition
d'un rousseauisme désormais triomphant, et sa pensée médicale se situe
dans le prolongement du Système physique et moral de la femme de
Pierre Roussel. Dans le cinquième Mémoire des Rapports du physique
et du moral, De l'influence des sexes sur le caractère des idées et des
affections morales (9), l'idéologue reprend et développe l'idée de l'é-
(5) En 1835, le Dictionnaire de l'Académie donne comme exemple «l'énergie des
passions». En 1857, le dictionnaire Boiste précise que l'énergie est le courage mâle,
et donne comme exemple, pour l'adjectif, « homme énergique ». Ces exemples sont
repris par tous les dictionnaires modernes et aujourd'hui est «virile».
(6) D. Diderot, Sur les femmes, dans Oeuvres, Gallimard, « Bibl. de la Pléiade »,
1951, p. 987.
(1) Ibid., p. 919.
(8) A ce propos, voir P. Hoffmann, La Femme dans la pensée des Lumières, Ophrys
1977.
(9) Cabanis, Rapports du physique et du moral, dans Oeuvres philosophiques, texte
établi et présenté par Claude Lehec et Jean Cazeneuve, PUF, 1956, p. 272-315. Énergétique et féminité 1 7
troite relation entre la faiblesse physique de la femme et la faiblesse de
son entendement et de son caractère. Au nom de la « froide observa
tion » (10), cautionnement pseudo-scientifique bien loin de la lucidité
d'un Diderot, il voit les femmes naturellement sédentaires, instinctiv
ement dégoûtées par l'exercice physique et contraintes à faire peu de
mouvements pour conserver leur santé. L'écartement de leur hanches
rend leur démarche pénible et le sentiment de leur faiblesse naturelle
leur ôte toute confiance en elles-mêmes. La vie renfermée et tranquille
que leur indique d'avance leur « organisation », développe en elles un
nouveau « système physique et moral » défini par la timidité et par la
peur. Pour tout être humain, l'état et la consistance des différentes par
ties du corps et en particulier du système glandulaire — qui caractérise
entre autres les organes de la génération — influe sur le cerveau, « dont
l'énergie peut être considérablement augmentée ou diminuée par cette
cause » (1 1). La femme, possédant un système glandulaire plus dévelop
pé que celui de l'homme pourrait donc avoir une certaine supériorité
intellective : en réalité l'« observ

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