Ethnologie et droits africains - article ; n°1 ; vol.33, pg 105-128
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Description

Journal de la Société des Africanistes - Année 1963 - Volume 33 - Numéro 1 - Pages 105-128
24 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1963
Nombre de lectures 28
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

R. Verdier
Ethnologie et droits africains
In: Journal de la Société des Africanistes. 1963, tome 33 fascicule 1. pp. 105-128.
Citer ce document / Cite this document :
Verdier R. Ethnologie et droits africains. In: Journal de la Société des Africanistes. 1963, tome 33 fascicule 1. pp. 105-128.
doi : 10.3406/jafr.1963.1367
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jafr_0037-9166_1963_num_33_1_1367ETHNOLOGIE ET DROITS AFRICAINS
PAR
R. VERDIER
II faut reconnaître, au point de départ, que notre savoir en matière
de droits africains est actuellement encore très insuffisant, si l'on
veut se montrer exigeant et critique, opérer le va-et-vient des idées
aux faits et des faits aux idées et tenter de rendre compte de la
conceptualisation de la pensée juridique traditionnelle.
Le juriste dogmatique occidental est tenté, soit de soumettre les
valeurs et principes, qui sont à la base des systèmes juridiques négro-
africains, à ses propres normes et concepts et alors dénature et trahit
leur sens original et profond, soit de les exclure de son champ d'ob
servation en les refoulant dans les domaines, qui ne relèvent plus
directement de sa discipline, mais de la Sociologie et de la Religion,
et soulève alors son incompétence, voire fait acte de démission.
La tâche du philosophe du droit est alors de réfléchir sur cette
incompréhension ou carence, en cherchant à « ouvrir le concept sans
le détruire », à s'appuyer sur les données de l'ethnologie, en tant
qu'elle opère un décentrement, pour dépasser les antithèses classiques,
à reculer les frontières aux limites où une définition ne peut plus
être postulée a priori, où « le négatif a son positif » et « le positif son
négatif ».
Depuis Hegel et Freud, on s'est efforcé de surmonter certaines oppos
itions traditionnelles, telles que celles du subjectivisme et de l'ob-
jectivisme, du fait et du droit, de la moralité et de la légalité... ;
de son côté, l'Anthropologie structurale, surmontant la fausse ant
inomie entre mentalité logique et prélogique et se situant au niveau
des éléments inconscients de la vie sociale, sur un terrain où les
sociétés sont intelligibles sans transposition et réduction, élabore
le catalogue le plus grand possible des catégories et modèles, en vue
de déterminer les structures universelles de « l'inconscient collect
if », par-delà la diversité empirique des sociétés humaines (Lévi-
Strauss). 106 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
C'est dans le champ de cette expérience élargie qu'il faut, croyons-
nous, se situer pour discerner le sens et la fonction du droit africain,
qui est hors des prises de nos catégories. Il n'y a certes pas un
Droit qui contient tous les systèmes juridiques africains — ce serait,
par-delà les ressemblances, méconnaître les différences — mais force
est de constater qu'il existe un certain nombre de principes et de
notions fondamentales, contenus en chacun. Nous tenterons d'es
quisser, en partant principalement des travaux des ethnographes,
les traits qui nous apparaissent les plus saillants de ce Droit dont le
centre est partout et la circonférence nulle part.
I. Droit et histoire.
Rien n'est plus vivant que le droit africain et on en a fait une
momie ensevelie dans trois gros volumes de Coutumiers ; l'objectif
poursuivi par le comité d'études historiques et scientiques de ГА. 0. F.
était pourtant de détecter cette source vive et intarissable qu'est
la coutume, de suivre ses multiples jaillissements et prolongements
dans la vie passée et présente d'une société. Si la lecture des coutu
miers est, hormis quelques exceptions, décevante, la raison princi
pale en est que la coutume est privée de sa langue, de ses formulat
ions propres et de son contexte historique, que le droit y est réduit
à sa définition positiviste qui en fait un code de règles obligatoires.
La coutume africaine connote une double temporalité : l'une est
éternelle et mythique (le mythe renaît de ses cendres), l'autre, humaine
et changeante, car « il n'y a que la nature qui n'a pas d'histoire » *.
Ces deux coordonnées définissent la mémoire de la coutume, qui est
à la fois vétusté et plasticité, fidélité et oubli.
En premier lieu la coutume prend appui sur le culte ancestral et
le respect de l'autorité des anciens, détenteurs de la tradition sacrée
et symbolisant, à ce titre, l'éternel présent du temps mythique. Toute
coutume s'enracine dans un mythe, tout droit, coutumier dans une
mythologie ; il n'y a pas de groupement, qui, pour revendiquer des
droits sur un territoire, ne se prévale d'un droit de première occupa-
1. CI. Lévi-Strauss a proposé de remplacer la maladroite distinction entre les « peuples sans his
toire » et les autres par une distinction entre les sociétés « froides » et les sociétés « chaudes » ; les
unes cherchent, grâce aux institutions qu'elles se donnent, à annuler de façon quasi-automatique
l'effet que les facteurs historiques pourraient avoir sur leur équilibre et leur continuité, les autres
intériorisent résolument le devenir historique pour en faire le moteur de leur développement.
Comme le note l'auteur, il est inutile de prouver que toute société est dans l'histoire ; c'est l'évidence
même ; ce qu'il importe de distinguer, ce sont les différents types d'enchaînements historiques et
les diverses façons dont les sociétés humaines réagissent au devenir historique {La Pensée Sauvage,
1962, p. 309-10). ETHNOLOGIE ET DROITS AFRICAINS 107
tion par un ancêtre fondateur ou d'un droit d'alliance avec les auto
chtones et leurs « dieux du Sol » ; nous avons souligné ailleurs le rôle
essentiel des mythes de fondation et de première occupation, qui
sont à la base du droit coutumier foncier des agriculteurs noirs К
Parallèlement on peut constater que le statut des personnes s'inscrit
dans un temps généalogique qui prend son point de départ dans
Yillud tempus qui est réactualisé à chaque génération 2. L'institution
de la « succession positionnelle » nous en fournit un exemple carac
téristique : selon celle-ci, le nom, le rôle et le statut du défunt sont
transmis à l'un de ses héritiers, qui devient le « père » de ses enfants
et non pas le géniteur, comme dans le cas du lévirat 3.
La parole pérenne de l'ancêtre est donc la fons et origo de la cou
tume 4 et l'investit d'une sacralité qui explique les rapports étroits
et fraternels du Droit et de la Religion.
Ainsi décrite, la coutume a peut-être sa raison d'être mais il lui
manque encore d'exister, de s'incarner, de subir la pesanteur sociale
et le devenir historique ; son enracinement mythique ne doit pas
nous voiler son existence historique, la puissance de la tradition, aveugler et laisser croire qu'elle est une res scripta intouchable
et inamovible. La tradition, a-t-on dit, est oubli des origines ; de la
tradition, la coutume tire sa force d'être et de s'adapter aux exi
gences nouvelles et non point sa condamnation à la sclérose et à la
mort 5 ; sans violer la parole des ancêtres, le juge a toute liberté de
l'ajuster et, n'étant pas bridé par un appareil rigide de concepts, de
l'adapter au cas qui lui est soumis et, en fin de compte, de dire le
droit (jus dicere) sans être liée par un « précédent » 6. On relèvera
1. Civilisations agraires et Droits fonciers, in Présence Africaine, avril-mai 1960, p. 27-29. Cun-
nison nous en donne un exemple chez les Luapula et il en tire la conclusion : « the past lives in the
present and people see the past and justify the present by it » (The Luapula peoples of Northern
Rhodesia, 1959, p. 30 et 212.)
2. Bohannan, Concepts of time among the Tiv of Nigeria, in Southwest. J. of Anthrop., 9, n° 3,
1953. L'A. observe que, dans les généalogies, les générations ne sont pas principalement des notions
de temps et relève la récente addition d'un nouvel ancêtre : Adam !
3. Cunnison, Perpetual kinship, a political institution of the Luapula peoples, in Rhodes-Livingst
one Paters, 1956, 20, 28-48.
4. G. Wagner note chez les Bantu du Kavirondo : « on considère que la loi et la coutume ont été
transmises depuis des temps immémoriaux p

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