Fonction communicative et fonction symbolique de la langue, sur l exemple du serbo-croate : bosniaque, croate, serbe - article ; n°1 ; vol.70, pg 27-37
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Fonction communicative et fonction symbolique de la langue, sur l'exemple du serbo-croate : bosniaque, croate, serbe - article ; n°1 ; vol.70, pg 27-37

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Description

Revue des études slaves - Année 1998 - Volume 70 - Numéro 1 - Pages 27-37
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1998
Nombre de lectures 21
Langue Français

Extrait

Monsieur le Professeur Paul-
Louis Thomas
Fonction communicative et fonction symbolique de la langue,
sur l'exemple du serbo-croate : bosniaque, croate, serbe
In: Revue des études slaves, Tome 70, fascicule 1, 1998. Communications de la délégation française au XIIe
Congrès international des slavistes (Cracovie, 27 août - 2 septembre 1998). pp. 27-37.
Citer ce document / Cite this document :
Thomas Paul-Louis. Fonction communicative et fonction symbolique de la langue, sur l'exemple du serbo-croate : bosniaque,
croate, serbe. In: Revue des études slaves, Tome 70, fascicule 1, 1998. Communications de la délégation française au XIIe
Congrès international des slavistes (Cracovie, 27 août - 2 septembre 1998). pp. 27-37.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1998_num_70_1_6477:
FONCTION COMMUNICATIVE
ET SYMBOLIQUE DE LA LANGUE
sur l'exemple du serbo-croate : bosniaque, croate, serbe
PAR
PAUL-LOUIS THOMAS
1. FONCTION COMMUNICATIVE ET FONCTION SYMBOLIQUE
Les langues naturelles sont avant tout des instruments de communication
entre les êtres humains. Comme l'écrivait André Martinet, « nous devons poser
qu'il y a langue dès que la communication s'établit [...], et qu'on a affaire à une
seule et même langue tant que la communication est effectivement assurée1 ».
C'est pour répondre aux besoins d'une meilleure communication que se produit
aux XVe-XVIe siècles en Europe ce que Daniel Baggioni appelle la « première
révolution écolinguistique2 », qui voit l'émergence de « langues communes »
venant remplacer un latin de moins en moins en prise sur les réalités de l'épo
que ; c'est également pour rendre la communication plus efficace que les lan
gues sont soumises à des processus de normalisation et de standardisation, sou
vent au niveau des États.
Mais les langues ont aussi une dimension symbolique, tant pour l'identité
individuelle (ne parle-t-on pas de « langue maternelle » ?) que l'apparte
nance nationale ; cet aspect apparaît particulièrement important dans la « deu
xième révolution écolinguistique » en Europe, lorsqu'au XIXe siècle le réveil des
nations lié au mouvement romantique conduit au choix de langues nationales
multiples — et non à un renoncement à celles-ci au profit d'un petit nombre de
langues de large diffusion — , donc au détriment d'une communication plus
aisée à l'échelle du continent. Le processus romantique d'identification entre
peuple, nation, État et langue aboutit à un fractionnement de l'Europe « en États
à vocation uni-nationale et monolingue3 ». L'éclatement récent des fédérations
tchécoslovaque et yougoslave représenterait un avatar tardif, décalé dans le
temps, de la deuxième révolution écolinguistique, avec le problème supplément
aire pour quatre des six républiques de l'ex- Yougoslavie (Bosnie-Herzégovine,
1. Martinet 1967 : 147.
2. Baggioni 1997 : 73-74.
3.337.
Rev. Étud. slaves, Paris, LXX/1, 1998, p. 27-37. 28 PAUL-LOUIS THOMAS
Croatie, Monténégro, Serbie) d'avoir en commun une même langue, dite serbo-
croate. Or, si D. Baggioni (et bien d'autres avec lui) acceptent aisément la pr
imauté du principe linguistique dans la formation des États-nations (par rapport à
ces autres principes, relevant eux aussi ď« imaginaires », que sont le sang, l'eth
nie, le passé, la politique, le sol...4), ils estiment du même coup que la com
munauté de langue doit suffire « à permettre aux populations de vivre dans un
même ensemble » et que la prise en compte d'autres oppositions (en l'occur
rence religieuses) « ouvre l'engrenage à une balkanisation sans fin5 ».
Les peuples concernés (ou plutôt leurs dirigeants) ont bien compris ce mes
sage et entendent donc démontrer leur droit à former des États monolingues, sur
le modèle des autres États-nations européens, en se basant avant tout sur les dif
férences linguistiques (réelles ou supposées). Dès lors, il s'agit de s'employer à
diminuer la fonction communicative de la langue (jusqu'alors réputée unique) et
à mettre en avant la fonction symbolique des traits les plus marqués de chaque
variante (promue au rang de standard national). Nous envisagerons plusieurs
exemples significatifs à cet égard des politiques linguistiques mises en œuvre
dans différents États issus de ľ ex- Yougoslavie.
2. LE NOM DE LA LANGUE
COMME SYMBOLE DE L'IDENTITÉ NATIONALE
Le nom d'une langue n'est pas nécessairement lié à la fonction communicat
ive de celle-ci (ainsi l'appellation « chinois » recouvre en fait huit idiomes sans
intercompréhension mutuelle à l'oral, tandis que des appellations différentes,
comme « hindi » et « ourdou » ou « néerlandais » et « flamand » peuvent s'ap
pliquer à des langues uniques structurellement et génétiquement6), mais il pos
sède, du moins en Europe, une forte valeur d'identification symbolique, surtout
lorsque la langue porte le même nom que le peuple qui la parle et que ce peuple
est le seul à la parler. Au XIXe siècle la proximité et la parenté des parlers slaves
du Sud amène les intellectuels (notamment croates) à envisager un État-nation
unique, sur le modèle allemand ou italien, démarche qui met donc l'accent sur la
fonction symbolique unificatrice, centripète de la langue.
Durant un siècle et demi des linguistes yougoslaves œuvrent, dans la lignée
des réformes proposées par Vuk Karadžič et la continuité de la langue littéraire
de Dubrovnik, à la standardisation de la partie centrale des parlers slaves du Sud
(caractérisée par l'interrogatif što, des déclinaisons à sept cas et un système
accentuel combinant durée et ton), développant ainsi la fonction communicative
de ce qu'ils appellent le serbo-croate. Cette langue porte ainsi le nom de deux
des peuples qui l'utilisent, alors qu'elle est également parlée par les Monténé-
4. Cf. les titres des chapitres de Michel 1995.
5. Baggioni 1997 : 315.
6. De même le serbo-croate (bosniaque, croate, serbe) — tel est le nom à quatre
éléments que nous donnons à cette langue dans notre enseignement à la Sorbonně pour tenir
compte de la tradition linguistique, des appellations officielles actuelles et du point de vue des
locuteurs natifs — est une langue au plan structurel et au plan génétique, mais deux, trois,
quatre... si l'on envisage le critère sociolinguistique, « axiologique », d'évaluation des locu
teurs eux-mêmes (cf. Katičić 1986 : 44, Bugarski 1993 : 10 et Skiljan 1996 : 326). FONCTION COMMUNICATIVE ET FONCTION SYMBOLIQUE DE LA LANGUE 29
grins7 et les Musulmans8 ; elle ne reçoit pas d'appellation neutre, comme « lan
gue illyrienne9 », « langue yougoslave 10 », « néoštokavien standard11 » ou
« bocros12 ».
Avec l'éclatement de la Yougoslavie la fonction symbolique (cette fois
centrifuge) revient au premier plan et chaque peuple, affirmant un droit inscrit
dans la constitution de ľ ex- Yougoslavie, donne son nom à la langue qu'il parle.
On voit donc s'affirmer le serbe, le croate, mais aussi le bosniaque (avec deux
termes : bosanski et bošnjački13) et le monténégrin. Ces appellations ethniques
ne coïncident nullement avec des différences linguistiques, pas plus que les
frontières entre les nouveaux États ne coïncident avec des frontières dialectales.
Ainsi, dans un même endroit de Bosnie, trouvera-t-on des locuteurs qui
déclarent parler le bosniaque, d'autres le serbe, le croate... et même le serbo-
croate ! Les nationalistes qui affirment parler la langue portant le nom de leur
ethnie voient là le symbole du début d'un retour à un passé (mythique) où la
langue était « pure », avant la standardisation de Vuk Karadžič, avant que les
« autres » ne s'emparent de « notre » langue pour se l'attribuer indûment, avant
que « nos grammairiens » ne trahissent en élaborant une norme commune14.
3. RAPPORTS ENTRE FONCTIONS (COMMUNICATIVE ET SYMBOLIQUE)
ET VARIATIONS (INCIDENTE ET SYSTÉMATIQUE)
La fonction symbolique va pouvoir s'affirmer d'autant plus que la fonction
communicative sera plus perturbée, l'affirmation des particularités propres à
chaque variante venant gêner la communication avec les locuteurs des autres
v

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