Formation ou culture, l action des cadres et des ouvriers de la chimie CFTC-CFDT (1946-1971) - article ; n°1 ; vol.35, pg 71-94
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Formation ou culture, l'action des cadres et des ouvriers de la chimie CFTC-CFDT (1946-1971) - article ; n°1 ; vol.35, pg 71-94

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Sociétés contemporaines - Année 1999 - Volume 35 - Numéro 1 - Pages 71-94
RÉSUMÉ: Le présent article cherche à identifier les différentes conceptions de la formation qui se sont affirmées au sein de la fédération CFTC puis CFDT des industries chimiques entre la fin de la seconde Guerre mondiale et le milieu des années 1960. Il montre ensuite comment ces conceptions ont été influencées par les évolutions politiques et sociales de l’organisation syndicale. Les cadres voient dans la formation un moyen d’adaptation aux changements techniques, de meilleure gestion des rapports sociaux dans l’entreprise et de protection contre le chômage. Les ouvriers s’attachent d’abord à la formation des syndicalistes dans ses dimensions sociales et politiques. Il s’agit, pour eux, d’accéder à la culture pour comprendre le monde afin de le transformer. À partir des années 1960, les militants influencés par les théories de la «Nouvelle classe ouvrière» font aboutir le projet d’une fédération d’industrie rassemblant en son sein ouvriers, techniciens et cadres. Il s’ensuit une modification de la composition sociale de l’organisation qui va permettre la diffusion des conceptions des cadres à l’ensemble de la fédération.
Training or Culture: the Union Action of CFTC and CFDT-Affiliated Middle Managers and Workers in the French Chemical Industry from 1946 to 1971.
This article first identifies the different conceptions of training that took hold in the CFTC (Conféderation Française des Travailleurs Chrétiens) union and its successor the CFDT (Conféderation Française Démocratique du Travail) in the French chemical industry in the period from the end of the Second World War through the 1960s. It then shows how these conceptions were influenced by political and social changes in union organization. Middle managers saw training as a means of adapting to technical change, better managing relations between the different social groups within the company, and being protected against unemployment. Workers, on the other hand, were most concerned with the social and political implications of the training of union officials. For them it was a matter of gaining access to culture in order to understand the world and thereby be able to transform it. In the 1960s, union activists influenced by theories of the •New Working Class” realized a project of federating the industry that brought together workers, technicians, and middle managers. With this change in the social composition of the organization, diffusion of managers’ conceptions to the federation as a whole became possible.
24 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 1999
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Langue Français

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G U Y B R U C Y
      
FORMATION OU CULTURE, L’ACTION DES CADRES ET DES OUVRIERS DE LA CHIMIE CFTC-CFDT (1946-1971)
RÉSUMÉ : Le présent article cherche à identifier les différentes conceptions de la formation qui se sont affirmées au sein de la fédération CFTC puis CFDT des industries chimiques en-tre la fin de la seconde Guerre mondiale et le milieu des années 1960. Il montre ensuite com-ment ces conceptions ont été influencées par les évolutions politiques et sociales de l’organisation syndicale. Les cadres voient dans la formation un moyen d’adaptation aux changements techniques, de meilleure gestion des rapports sociaux dans l’entreprise et de protection contre le chômage. Les ouvriers s’attachent d’abord à la formation des syndicalis-tes dans ses dimensions sociales et politiques. Il s’agit, pour eux, d’accéder à la culture pour comprendre le monde afin de le transformer.  partir des années 1960, les militants influen-cés par les théories de la « Nouvelle classe ouvrière  font aboutir le projet d’une fédération d’industrie rassemblant en son sein ouvriers, techniciens et cadres. Il s’ensuit une modifica-tion de la composition sociale de l’organisation qui va permettre la diffusion des conceptions des cadres à l’ensemble de la fédération. INTRODUCTION « Pour tous les salariés aujourd’hui, la formation professionnelle conditionne l’obtention d’un emploi, la conservation de cet emploi et l’essentiel des évolutions de carrière ; il est donc extrêmement urgent que les militants considèrent ce dossier comme un axe revendicatif majeur1. En s’exprimant ainsi en 1994 la fédération de la Chimie-CFDT montre à quel point la formation constitue pour les syndicalistes une valeur à laquelle ils adhèrent. Ce texte exprime également leur conviction en la solidité du lien qui unit formation et emploi. Mais en enjoignant aux militants de s’en emparer dans l’urgence, il reconnaît implicitement la place secondaire que cette question tient dans leurs préoccupations et, du même coup, il souligne l’écart exis-tant entre les déclarations de principes des congrès et l’implication réelle des syndi-qués dans un domaine d’activités sociales fortement valorisées et où les certitudes collectives sont rarement mises en doute. C’est pourquoi il semble pertinent de mettre en perspective historique les conceptions des organisations syndicales de salariés en matière de formation conti- 1.Point 163 de la résolution générale du 8econgrès fédéral tenu à Mulhouse, 15-18 novembre 1994. Sociétés Contemporaines (1999) n° 35 (p. 71-94)   71 
G U Y B R U C Y                  nue afin d’examiner comment s’est imposée l’évidence de la relation entre forma-tion et emploi. Autrement dit, il s’agit de regarder si, au cours des années qui ont précédé la promulgation de la loi de juillet 1971, d’autres possibles ont existé à un moment donné qui n’ont pas été actualisés, et de chercher à comprendre pourquoi ils ont disparu de la scène de l’histoire. L’angle d’approche choisi ici est celui de la fédération des industries chimiques (FIC) CFTC puis CFDT2. Pourquoi une fédération et celle-ci en particulier ? Au-delà de leurs divergences, les syndicalistes français partagent un héritage commun qui est celui d’un modèle d’organisation fondé sur la dualité des structu-res : verticales (professionnelles) et horizontales (géographiques). Selon ce modèle, les syndicats se regroupent nationalement en fonction de leur appartenance à une branche professionnelle pour former des fédérations et, en même temps, se retrou-vent sur une base géographique et interprofessionnelle au sein des unions locales et départementales. Cependant, la symétrie que suggère implicitement ce modèle oc-culte la dynamique propre aux fédérations dont l’architecture est loin d’être figée. Parce qu’elles constituent des structures qui s’articulent fortement au découpage de l’activité économique par branches professionnelles, les fédérations sont directement en prise avec les transformations qui affectent les secteurs d’activités auxquels elles appartiennent et l’organisation des relations professionnelles en rapport étroit avec l’État leur confèrent un rôle éminent dans les négociations collectives de branches. Parce qu’elles se sont historiquement construites autour des identités professionnel-les collectives et qu’elles ont bien représenté ce « syndicalisme à la française [qui] a produit de l’identité sociale  (Labbé, 1997), elles sont au cœur des contradictions internes de la vie des confédérations. C’est pourquoi, les idées exprimées et les actes posés à cet échelon de l’organisation syndicale sont suffisamment proches des réali-tés du terrain pour permettre de cerner avec un degré acceptable de précision les va-leurs et les pratiques portées par les syndicalistes et qui ont préexisté à la loi de 1971. Dans l’histoire du syndicalisme chrétien des années 1950-1960, la fédération de la chimie a tenu une place importante tant par la personnalité de ses principaux res-ponsables – Edmond Maire par exemple – que par ses capacités à théoriser et à dé-fendre une véritable ligne politique. De plus, et c’est une de ses caractéristiques, elle a toujours accordé une attention particulière aux problèmes de la formation. Enfin, par l’ampleur de son champ d’intervention (Jobert, Rozenblatt,1990) qui concerne à la fois la chimie lourde, la parachimie, le pétrole, le caoutchouc, les matières plasti-ques, la pharmacie et les industries du verre, elle s’est très tôt trouvée au carrefour des revendications de plusieurs catégories : ouvriers, employés, techniciens, ingé-nieurs et cadres. La question se pose donc de savoir quelles étaient les préoccupations réelles des responsables fédéraux en matière de formation. Quelles finalités attribuaient-ils à cette activité ? S’agissaient-ils pour eux de former les militants en leur donnant la capacité individuelle et collective de connaître et d’analyser la réalité économique et  2.Au moment de la scission CFTC/CFDT (1964) l’encadrement militant de la FIC était, dans sa quasi-totalité, acquis depuis longtemps aux thèses favorables à la déconfessionnalisation. Cette fé-dération n’a donc guère été affectée par la scission en termes de pertes d’effectifs. C’est pourquoi j’ai choisi de travailler dans la continuité CFTC puis CFDT.
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     ( 1 9 4 6 - 1 9 7 1 ) C F T C - C F D T O U V R I E R S E T A D R E S C E S D C T I O N AC H I M I E , sociale pour mieux la transformer ? L’envisageaient-ils plutôt comme une activité à finalités strictement professionnelles fortement articulée aux problèmes de l’emploi ? De quels héritages se réclamaient-ils pour étayer leurs convictions ? Pour répondre à ces questions, l’investigation a porté pour l’essentiel sur deux ensembles documentaires. Les différents projets élaborés par les syndicalistes à par-tir de 1946 dans le cadre de la préparation de la convention collective nationale de la Chimie de 1952, puis de ses renégociations successives jusqu’au début des années soixante-dix, ont été systématiquement dépouillés ainsi que la totalité des brochures rédigées par les responsables chargés des questions de formation au sein des instan-ces fédérales. Dans un deuxième temps, la lecture des deux organes officiels –Chi-mie-InformationsetChimie-Militants– ainsi que celle des rapports, interventions et résolutions de seize congrès fédéraux sur les dix-huit3qui se sont tenus entre 1938 et 1972 ont apporté d’utiles compléments. Enfin, ces textes ont été confrontés aux en-tretiens conduits auprès des six secrétaires généraux qui ont présidé aux destinées de la FIC entre 1950 et 1994 et de trois anciens responsables chargés de la formation entre 1952 et 1970. 1.UNE FEDERATION PIONNIERE DANS LA CFTC Au cours des années 1950-1960, la fédération des industries chimiques présente un certain nombre de caractéristiques qui en font le type même de l’organisa-tion pionnière au sein de la CFTC. C’est d’abord une fédération récente. Née en avril 1938, elle n’a véritablement démarré son activité qu’à partir de 1945. Ses ca-dres et ses adhérents sont jeunes : la moyenne d’âge de l’équipe dirigeante élue au congrès de 1952 est de 30 ans ; celle des syndiqués oscille entre 30 et 35 ans. Outre leur jeunesse, les principaux responsables de la FIC partagent des expériences com-munes. Celle de la Résistance d’abord, puis celle de la rencontre avec Paul Vignaux et le groupeReconstruction4. Au contact de cet intellectuel catholique, fondateur du SGEN, les syndicalistes font une expérience « irremplaçable […] sur le plan de la formation personnelle et intellectuelle5. Au lendemain de la Libération, la fédération se distingue de la tradition du syn-dicalisme chrétien par sa composition sociologique – 65 % d’ouvriers – et par son implantation géographique calquée sur celle des grandes entreprises de la chimie, du pétrole et du caoutchouc6. La FIC se signale aussi par la progression régulière de ses effectifs. Elle passe de moins de 4 000 membres à la fin de l’année 1945 à 10 500 au cours de l’année 1947 ; s’approche des 27 000 en 1967 pour dépasser les 39 000 en 1971. Dans le champ syndical français, elle vient loin derrière son homologue de la
 3.Les archives fédérales ne conservent aucune trace exploitable des 2eet 3econgrès (1944 et 1945). 4.Reconstructiondésignait à la fois le groupe constitué en janvier 1946 autour de Paul Vignaux et la revue publiée par ce même groupe. Il convient de ne pas identifier Reconstruction aux minoritaires de la CFTC car les deux réalités ne se recouvrent pas exactement, même si les idées deReconstruc-tioninspiraient l’action des minoritaires. 5.Propos de R. Marion, secrétaire général de la FIC, recueillis lors d’un entretien en décembre 1986. 6.Essentiellement Rhône-Alpes, Basse-Seine, Région parisienne, Aquitaine, Clermont-Ferrand.
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G U Y B R U C Y                  CGT mais devance nettement la Fédéchimie FO (Labbé, 1996)7. Au sein de sa pro-pre confédération, ses effectifs la situent, en 1965, au 8e rang parmi les 22 fédéra-tions les plus importantes. En réalité, la FIC joue à l’intérieur de la CFTC un rôle incontestablement plus important que ne laisseraient supposer ses effectifs. Ses cadres dirigeants appartien-nent au groupe de militants, alors minoritaires dans la CFTC, qui veulent déconfes-sionnaliser la confédération et contestent les liens qui l’unissent au MRP8. Surtout, ils militent pour bâtir de véritables fédérations d’industrie dans lesquelles vien-draient se fondre, aux côtés des ouvriers, les employés, les cadres et les techniciens. Ce faisant, ils mettent directement en cause le pouvoir de la puissante9 fédération des Employés-Techniciens-Agents de Maîtrise (ETAM), véritable « pierre angu-laire  de la CFTC dès sa naissance  (Branciard, 1990). L’enjeu du débat est impor-tant car se trouve ainsi posée la question de la capacité de la CFTC à construire un syndicalisme suffisamment efficace pour concurrencer la CGT dans les entreprises. C’est précisément parce qu’il raisonne en termes d’efficacité revendicative que Charles Savouillan10expose, dès 1946, son idée d’une « force contractuelle  qui se mesurerait matériellement en nombre d’adhérents, moralement en puissance de conviction, et intellectuellement en capacité d’argumentation. Pour les chimistes, le syndicalisme d’industrie, parce qu’il obéit à une logique de rassemblement des différentes catégories de salariés, permet à cette « force contrac-tuelle  de donner sa pleine efficacité, alors que le syndicalisme catégoriel, parce qu’il divise, ne peut que l’affaiblir. Or, en 1946, l’organisation de la CFTC ne va pas dans le sens souhaité par les minoritaires. En effet, pour une branche comme la chi-mie, existent trois organisations différentes appartenant toutes à la CFTC (cf. page suivante) : la Fédération des Travailleurs des Industries Chimiques (FIC) qui reven-dique sa qualité de fédération d’industrie ; la Fédération des syndicats d’Employés, Techniciens et Agents de Maîtrise qui comprend une section des industries chimi-ques ; et enfin, la Fédération Française des Syndicats d’Ingénieurs et Cadres (FFSIC-CFTC) qui comporte, elle aussi, un secteur spécifique à la chimie. Dans la réalité, un cadre adhérant au Syndicat National des Ingénieurs et Cadres-Chimie (SNIC-Chimie) était rattaché d’un côté à la fédération d’industrie correspondante (ici la FIC) et, d’un autre côté, à la Fédération des ingénieurs et cadres (FFSIC-CFTC). Autrement dit, les salariés de la Chimie, selon qu’ils étaient ouvriers, em-ployés ou cadres pouvaient se retrouver au sein de la FIC et, en même temps, appar-tenir à des organisations différentes qui ne partageaient pas les mêmes conceptions de l’action revendicative et s’affrontaient parfois violemment ! Ces contradictions n’étaient pas sans conséquences sur les représentations que les uns et les autres se faisaient de la formation.
 7.Si l’on s’en tient aux seules branches de la chimie, du caoutchouc et des matières plastiques, la FIC syndiquait 4,5 % des salariés en 1967 et 5,5 % en 1971, son homologue de la CGT 11 % et 12 % ; FO 1,5 % et 2 %. Labbé, p. 143-144. 8.Mouvement républicain populaire. 9.représentent à eux seuls près du tiers des cotisants de la CFTC.En 1947, les ETAM 10.Secrétaire général de la fédération de la Métallurgie CFTC, un des chefs de file de la minorité.
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G U Y B R U C Y                  * LES STRUCTURES SYNDICALESCFDTDE LACHIMIE EN1972  
FUC FédérationUnifiée de laChimie
UFC UnionFédérale desCadres
S ndicat local
Section d’entre rise
Ingénieurs Ouvriers Techniciens
  *C’est au congrès de Nemours (30 novembre-3 décembre 1972) que la fédération de la Chimie (CFDT) décide de créer l’UFC (Union Fédérale des Cadres) directement placée sous la responsabi-lité du Bureau national fédéral. Toutes les catégories sont désormais intégrées dans la seule fédéra-tion de l’industrie.
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     ( F T C - C F D T C U V R I E R S O T E A D R E S 1 9 4 6 - 1 9 7 1 ) E S C C T I O N DC H I M I E , A 2.LE  PERFECTIONNEMENT  POUR SAUVEGARDER L’EMPLOI DES CADRES 2. 1.LE PROJET DE 1960 : POUR UNE INSTITUTIONNALISATION  DU  PERFECTIONNEMENT  Dès 1946, les cadres membres des groupes « Industries chimiques  et « Pétrole  de la FFSIC-CFTC avaient élaboré un projet de convention collective dans lequel ils manifestaient leur souci de « développer et maintenir  leurs connais-sances « au niveau mondial . Ils n’assignaient pas à cette activité une finalité autre que leur « développement professionnel  et revendiquaient avant tout du temps pour s’y consacrer et le libre accès aux documents de l’entreprise. Beaucoup plus ambitieux et novateur apparaît le projet qu’ils élaborèrent à la fin des années cinquante et qui fut défendu en mars 1960 par les syndicats du Verre mé-canique11à l’occasion de la renégociation de la convention collective nationale de la Chimie. En tentant de décrire ce que pourraient être l’organisation, le contrôle et le finan-cement de la formation continue, ce texte montre que dès la fin des années cin-quante, les cadres syndiqués à la CFTC avaient entamé, dans leur champ revendica-tif spécifique, une réflexion suffisamment poussée pour être en mesure de poser quelques unes des questions les plus pertinentes concernant la formation profession-nelle continue : droit à la formation, participation des entreprises, gestion paritaire. Ce faisant, ils contribuaient à la gestation du dispositif qui émergera, dix années plus tard, avec la loi du 16 juillet 1971. En même temps qu’il distingue trois catégories de cours – formation générale et professionnelle obligatoire ; programme optionnel obligatoire ; cours facultatifs – il organise le temps de la formation en proposant que les cours obligatoires soient dis-pensées pendant une période, fractionnée ou continue, de deux semaines tous les trois ans12. Mais surtout, il annonce les grandes lignes de la législation à venir sur trois points essentiels. En premier lieu, en son article 6 il pose le principe du droit individuel à la forma-tion pendant le temps de travail sans perte de salaire. Cette revendication est com-plétée par l’exigence de sanctions financières pour les entreprises qui empêcheraient le départ en formation de leurs cadres13. Ensuite, il décrit avec précision les instances paritaires chargées de l’organisation et du contrôle des formations. Ainsi, envisage-t-il l’institution d’une Commission paritaire nationale interprofessionnelle et de plusieurs Commissions paritaires natio-nales professionnelles14 dans leurs domaines respectifs, d’établir les pro- chargées, grammes des cours et d’en contrôler la mise en œuvre. Les Commissions paritaires  11.Avant-projet de Convention collective nationale concernant le perfectionnement des Ingénieurs et Cadres, Chapitre II, Des cours de perfectionnement et de mises à jour. Archives FUC-CFDT, 1 F 38. 12.Article 5 du projet. 13.Article 15 du projet. 14.L’article 11 de la Convention prévoit que ces Commissions seront composées de deux représen-tants de chaque organisation syndicale d’ingénieurs et de cadres et d’un nombre égal de repré-sentants des organisations d’employeurs.
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G U Y B R U C Y                  professionnelles administreraient des OPPEC (Organismes professionnels pour l’emploi des cadres) dont la coordination serait assurée par un organisme interpro-fessionnel : l’ONIPEC (Organisme national interprofessionnel pour l’emploi des ca-dres). Enfin, l’article 12 du projet prévoit la participation des entreprises au finance-ment des sessions de formation sur la base de 1 % de la masse des rémunérations versées aux ingénieurs et cadres de chaque établissement.  Les syndicalistes justifient leur projet par un argumentaire qui s’organise autour de trois grandes thématiques : celle du changement, celle de la protection de la car-rière, celle du rôle social des cadres. Ces derniers ont le sentiment aigu de vivre dans un monde qui bouge.  leurs yeux, la construction de l’Europe, l’évolution accélé-rée des sciences et des techniques, les transformations qui affectent l’organisation des entreprises rendent indispensables « une mise à jour permanente  des connais-sances. Hantés par la peur d’être disqualifiés professionnellement et déclassés socia-lement, ils attendent du « perfectionnement  qu’il leur évite d’être « rejetés préma-turément de la vie industrielle . Syndicalistes chrétiens, ils estiment qu’ils ont un rôle social à jouer dans l’entreprise à l’égard de leurs subordonnés. Partant du prin-cipe que le plein emploi constitue une des conditions de « l’accomplissement de la vocation humaine , ils constatent que la poussée démographique menace ce plein emploi et pose « le problème de l’encadrement des forces de travail . Il convient donc de donner aux cadres les moyens nécessaires pour assurer cet encadrement. Le « perfectionnement  constitue l’un de ces moyens. Encore faut-il lui donner un contenu. C’est précisément à cela que s’attachent les cadres syndicalistes. 2. 2. APPRENDRE A APPRENDRE  Au milieu des années soixante, les cadres de la Chimie CFDT15prennent soin de nommer et de classer les termes qui désignent les actions de formation. Ce souci est d’autant plus remarquable qu’il vise à produire de l’ordre dans ce que Lucie Tanguy appelle « une nébuleuse de pratiques  (Tanguy, 1998) à une époque où, après la promulgation de la loi du 31 juillet 1959 sur la promotion sociale, le vocabulaire en la matière est loin d’être stabilisé. En février et mars 1966, la revueCadres et profession, organe mensuel des ingé-nieurs et cadres CFDT, publie un débat au cours duquel quatre ingénieurs syndica-listes expliquent ce qu’ils entendent par « formation continue , « perfectionne-ment  et « recyclage . Ils établissent ainsi une hiérarchie des actions de formation dans laquelle le « recyclage  est placé au plus bas niveau. Selon eux, ce terme est « un mot affreux  qui désigne « le rafraîchissement de connaissances précédem-ment acquises . Viennent ensuite les actions de perfectionnement qui ne visent que « la mise à jour des connaissances et l’amélioration des capacités en exercice . Au sommet de l’échelle se place la « formation continue  proprement dite. Employé seul, le terme « formation  est limité dans leur esprit à la simple acquisition de connaissances nouvelles, tandis que l’expression « formation continue  recouvre un  15.C’est au congrès de la CFTC de novembre 1964 que naît la CFDT. C’est ce sigle qui sera désor-mais utilisé dans la suite du texte.
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     ( 1 9 4 6 - 1 9 7 1 ) C T I O N A E S DC H I M I E , U V R I E R S O F T C - C F D T C A D R E S C T E champ plus large qui désigne un type de formation qu’on ne saurait limiter à l’acquisition de connaissances mais qui doit viser « le développement des aptitudes et l’éducation des attitudes . Cette effort de clarification n’est pas séparable de la réflexion qui se mène au même moment et dans les mêmes milieux sur le rôle de la formation initiale. En oc-tobre 1966, dans un article deCadres et Profession16, le secrétaire de la fédération des ingénieurs et cadres CFDT explique que les changements qui affectent la société industrielle doivent être acceptés comme « facteurs de progrès . Mais, ajoute-t-il, cela pose des problèmes d’emploi dont la solution passe par la rénovation de la for-mation initiale, laquelle est à repenser sur la base d’une articulation forte avec la formation permanente. Cette réflexion sur les rapports entre formation initiale et formation continue amène les cadres à s’interroger sur les finalités de l’enseignement : ils vont alors po-ser les problèmes davantage en termes de critique des contenus d’enseignement qu’en termes d’articulation entre dispositifs complémentaires. Convaincus que les problèmes d’emploi trouvent leur source dans l’inadaptation des formations reçues à l’école, ils en concluent qu’il faut rompre avec les objectifs traditionnels de trans-missions des connaissances et privilégier l’apprentissage des mécanismes intellec-tuels : « Il s’agit aujourd’hui à l’école d’apprendre à apprendre.  17 Apprendre à apprendre, développer les aptitudes, éduquer les attitudes : ces ex-pressions appartiennent à un discours qui, bien que tenu au milieu des années 1960, n’est en réalité pas neuf. Il rappelle singulièrement ce que Viviane Isambert-Jamati, étudiant les textes des discours de distribution de prix de l’enseignement secondaire, a noté pour les années trente : la préférence accordée au « thème de l’apprentissage des opérations mentales  (Isambert-Jamati, 1970) dans un contexte où le public du secondaire s’élargit et où la question de l’orientation des élèves se pose désormais en termes « d’aptitude . Or, la période 1960-65 est celle de la mise en œuvre de la réforme Berthoin-Fouchet et Viviane Isambert souligne l’insistance mise alors par les textes officiels à traiter les capacités intellectuelles « comme des “ressources à exploiter” et l’enseignement comme un “investissement” 18. Or, ces conceptions sont aussi partagées par tout un courant du patronat de la métallurgie, de l’électricité, de l’automobile et de l’aéronautique. Au cours d’un col-loque qui réunissait en septembre 1962 à Royaumont les représentants de plusieurs grandes entreprises19 et les inspecteurs généraux de l’enseignement technique, le responsable à la formation de la Fédération des Industries mécaniques et transforma-trices des Métaux (FIMTM), affirma que toute doctrine de formation professionnelle devait être fondée sur le principe « apprendre à apprendre , seul capable, selon lui, de fournir des ouvriers aptes à résoudre des problèmes « de plus en plus ardus 20. Les conceptions des cadres de la CFDT s’inscrivent dans la même rationalité. Cette  16.R. Faist, « Une politique de l’emploi ,Cadres et Profession, n° 209, octobre 1966, p. 1. 17.Cadres et Profession, n° 217, juin-juillet 1967, p. 4-5. 18.Isambert-Jamati, p. 308. 19.Renault, SNECMA, Télémécanique, Compagnie Electromécanique, Chausson. 20.M. Noblet,Les moyens de formation et de perfectionnement de la FIMTM, intervention au colloque de Royaumont, 27 septembre 1962, Archive nationales, F17bis 11922.
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G U Y B R U C Y                  communauté de pensée se vérifie par l’argumentaire qu’ils développent pour justi-fier ce qu’ils appellent de nouveaux besoins de formation. L’élévation du niveau culturel des salariés, peut-on lire dansCadres et Profession, « entraîne chez eux des exigences nouvelles  qui impliquent une rénovation dans l’art de commander. Dé-sormais, constatent les cadres, il faut « expliquer, faire admettre, […] faire com-prendre, faire partager les informations . De cette situation découle la nécessité d’acquérir des connaissances nouvelles, qui ne sont plus seulement d’ordre scientifi-que et technique mais d’ordre sociologique et psychologique. Ainsi seront dévelop-pées les « capacités relationnelles  permettant de travailler en équipe et les compé-tences pédagogiques permettant de « transmettre à ceux qui connaissent moins . 2. 3.LA  FORMATION PERMANENTE  COMME ELEMENT D’UNE POLITIQUE DE L’EMPLOI On a vu que, dès 1960, le « perfectionnement  était conçu comme un moyen d’éviter aux cadres une éviction prématurée de l’entreprise. Dans le contexte des res-tructurations industrielles liées à la mise en place du Marché Commun, on assiste à une vague d’exclusion des cadres autodidactes dont tous les journaux de l’époque se font l’écho (Boltanski, 1982). Ce thème devient dominant dans le discours des res-ponsables syndicaux, au point que la formation n’est plus traitée pour elle-même mais toujours comme élément, parmi d’autres, d’une politique de l’emploi. Ainsi, en mars 1967, Jacques Moreau, secrétaire général de l’UNICIC-CFDT21, s’adressant aux militants de la branche « Pétrole , déclare que le but de la formation perma-nente est de « permettre aux cadres de conserver leur capacité de travailler22. Si, au nom de la nécessité économique, il ne conteste pas le bien-fondé des mouvements de fusions et concentrations qui affectent les entreprises, il considère que son devoir de syndicaliste consiste à éviter que ces réorganisations ne se fassent au détriment des cadres. C’est pourquoi la question de leur formation n’a de sens que pensée en fonc-tion de la sauvegarde de leur emploi. Déplorant que 3 000 ingénieurs et cadres soient chômeurs, un article deCadres et Profession 23relève trois séries de faits qui justifient une politique de formation tournée vers l’emploi. D’abord, les cadres em-ployés dans des entreprises « repliées sur elles-mêmes , et qui sont licenciés à la suite de concentrations, éprouvent beaucoup de difficultés à se réinsérer. Inverse-ment, dans les secteurs de pointe, où les techniques évoluent très vite, on observe « une usure prématurée  des ingénieurs dès l’âge de 35 ans. Enfin, on note que les entreprises préfèrent embaucher des cadres jeunes récemment sortis du système sco-laire plutôt que de former ceux qui sont déjà en place. Prenant acte de ces faits, les syndicalistes estiment que « la mobilité ne doit pas être subie, mais assurée positi-vement  et qu’en conséquence, la formation permanente est l’outil qui permet de « préparer l’avenir . Au final, il apparaît qu’à partir de 1960 les cadres syndiqués à la CFTC se cons-truisent une représentation de la formation permanente qui intègre trois composantes  21.UNICIC-CFDT : Union Nationale des Ingénieurs et Cadres des Industries Chimiques-CFDT. 22.J. Moreau,Compte-rendu de la réunion de la Commission d’étude du 16 mars 1967, UNICIC, branche « Pétrole , Archives FUC-CFDT, 1 F 38. 23.une politique active de l’emploi appliquée aux ingénieurs et cadres ,« Pour Cadres et Profession, n° 217, juin-juillet 1967, p. 4-5.
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     A C T I O NC H I M I E , U V R I E R S O T E A D R E S C E S D 1 9 4 6 - 1 9 7 1 ) ( F T C - C F D T C étroitement dépendantes les unes des autres mais dont l’importance relative va peu à peu évoluer au cours de la décennie. Une composante purement technique valorise les facultés d’innovation et d’invention au nom de la nécessaire adaptation à l’évolution des sciences, des tech-nologies et des méthodes de gestion des entreprises. Une composante marchande et pragmatique perçoit la formation comme un moyen pour se protéger de la disqualifi-cation professionnelle et repousser le moment, tant redouté, de l’éviction du monde de l’entreprise. Elle est censée procurer aux cadres un avantage décisif dans la concurrence qui les oppose à leurs pairs plus jeunes sur le marché du travail. Tout se passe comme si la formation permanente était constitutive d’un capital qu’il conve-nait de faire fructifier afin de mieux se vendre à chaque étape de sa carrière. Enfin, une composante humaniste et sociale confère aux cadres un rôle central dans la rup-ture qui s’opère avec les conceptions tayloriennes de commandement. L’accent est alors mis sur l’acquisition de techniques de gestion des groupes et sur le développe-ment des capacités relationnelles et des « savoir-être . Dans cette logique, ils prô-nent une articulation forte entre la formation continue et l’école à laquelle ils assi-gnent des finalités en apparence socialement neutres : apprendre à apprendre. Sur ce terrain, ils sont en phase avec les stratégies de formation défendues par les fractions modernistes du patronat des grandes entreprises confrontées à la concurrence inter-nationale et à l’introduction de technologies nouvelles. 3.LA FEDERATION OUVRIERE ET LA FORMATION 3. 1.LA FORMATION COMME COMPOSANTE DE LA  FORCE CONTRACTUELLE  Dès le 4econgrès fédéral de juin 1946, la formation des militants constituait l’un des trois sujets considérés comme décisifs pour l’avenir de la fédération. Mais c’est le 8e1952, qui marque le véritable départ tenu à Bierville en septembre  congrès, d’une politique de formation sous la direction de Jean-Marie Kieken24. Un bon exemple des conceptions fédérales de cette époque est fourni par une brochure ronéotée de 95 pages, éditée en septembre 195525. Son contenu se caracté-rise par le souci d’une analyse rigoureuse des situations concrètes dans lesquelles les militants sont appelés à agir. Le chapitre intitulé « Connaître une situation  invite les syndicalistes à réaliser une véritable étude sociologique de leur environnement de travail : importance des industries chimiques locales, origine et niveau de qualifi-cation de la main-d’œuvre, rôle des influences politiques, des personnalités locales et des journaux, situation syndicale. La brochure répond également à des problèmes très concrets auxquels les militants peuvent être affrontés : conduite à tenir en cas de grève, rédaction d’un tract, préparation et animation des réunions, etc. Le fascicule comporte enfin une bibliographie composée de quarante-cinq titres. Quatorze d’entre eux signalent des ouvrages de la collection « Que-sais-je ?  qui
 24.Ouvrier de la Compagnie bordelaise des produits chimiques de Nantes, Jean-Marie Kieken est, depuis septembre 1952, secrétaire général adjoint de la FIC, chargé de l’organisation. Il le reste-ra jusqu’en 1960. 25.Éléments de pratique syndicale, Archives fédérales, 1 F 339.
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