Harbin ou le Dernier Avatar de la politique impériale russe - article ; n°2 ; vol.73, pg 293-303
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Description

Revue des études slaves - Année 2001 - Volume 73 - Numéro 2 - Pages 293-303
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2001
Nombre de lectures 25
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur David Wolff
Madame Sabine Breuillard
Harbin ou le Dernier Avatar de la politique impériale russe
In: Revue des études slaves, Tome 73, fascicule 2-3, 2001. pp. 293-303.
Citer ce document / Cite this document :
Wolff David, Breuillard Sabine. Harbin ou le Dernier Avatar de la politique impériale russe. In: Revue des études slaves, Tome
73, fascicule 2-3, 2001. pp. 293-303.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_2001_num_73_2_6717HARBIN OU LE DERNIER AVATAR
DE LA POLITIQUE IMPÉRIALE RUSSE1
PAR
DAVID WOLFF
L'année 1917 avait été fatale. Elle avait provoqué de grands bouleverse
ments à travers tout l'empire des tsars. Et, Harbin que l'imaginaire russe d'au
jourd'hui se représente essentiellement comme une ville d'émigrés où les sujets
du tsar fuyant les horreurs de la révolution bolchevique avaient trouvé refuge,
était déjà à l'époque une ville sino-russe de plus de 100 000 habitants. Aussi,
rien d'étonnant à ce que les caractéristiques démographiques, les institutions et
les traditions locales, qui étaient alors les siennes, aient conditionné la manière
dont la révolution a été perçue et vécue. Et les relations de cette unique colonie
russe en dehors des frontières de l'empire avec ses voisins chinois et japonais
devaient à un niveau local avoir une incidence sur la façon dont les relations
internationales allaient se reconstituer à un moment où l'Etat russe disparaissait
pour un temps de la scène.
Après une brève introduction sur l'histoire du chemin de fer dans le Nord-
Est asiatique, nous passerons en revue les aspects de l'histoire de Harbin avant
la Révolution, qui nous permettront de comprendre ses réactions face aux grands
changements qui allaient survenir. Puis, nous étudierons la manière dont elle a
affronté la Révolution et la contre-Révolution dans le contexte de l'intervention
des Alliés en Sibérie et en Mandchourie. C'est à ce point précis de l'Histoire et
de notre essai que la Chine rentre en scène, s'affirme et s'affermit de plus en
plus dans la région. Et c'est à partir de ce moment-là que les histoires locale,
régionale et globale se télescopent et s'entrechoquent d'une manière dramat
ique. En effet, la fin des années vingt et le début des années trente verront
l'influence japonaise à Harbin s'accroître de plus en plus, et entrer en comp
étition avec celle des Russes et des Chinois. Néanmoins, nous n'aborderons pas
le cas japonais dans le cadre de cet article.
L'histoire de la Mandchourie pendant ces années-là est un territoire de
choix pour l'historien. Elle permet d'explorer l'histoire internationale et les rela-
1. À l'origine, cet article a été écrit en anglais. Je tiens à remercier Sabine Breuillard
pour son excellente traduction, ainsi que Thomas Lahusen pour ses commentaires et ses
encouragements.
Rev. Étud. slaves, Paris, LXXm/2-3, 2001, p. 293-303. 294 DAVID WOLFF
tions internationales à travers le nœud des histoires locales et nationales. Mais
c'est aussi une histoire coloniale d'un type particulier qui contredit les repré
sentations habituelles que l'on se fait de l'histoire coloniale : à Harbin, chacun
des « colonisateurs », ou plus exactement des colons, a vu tôt ou tard sa
situation changer. Chacun — Russe, Chinois ou Japonais — a joué tour à tour le
rôle de maître, puis de victime, donnant à Harbin, ville coloniale et capitale
régionale une ambiance multiculturelle et cosmopolite unique qui a duré près de
cinquante ans. Nous espérons que ces quelques pages aideront le lecteur à saisir
l'importance de cet héritage multiple d'une ville tout à fait à part.
AVANT 1917
En 1917, deux voies ferroviaires reliaient Vladivostok, grand port commerc
ial russe sur le Pacifique, à la Sibérie et à la Russie d'Europe. L'année 1916
avait vu s'achever le chemin de fer de l'Amour qui longeait la rive gauche du
fleuve jusqu'à Khabarovsk, là où le plus grand pont de la Russie enjambait le
plus grand fleuve de la région du Nord-Est asiatique. De là, le chemin de fer de
l'Oussouri continuait vers le sud jusqu'à Vladivostok. L'autre voie ferrée, plus
courte et plus ancienne, avait été ouverte à la circulation dès 1903. Dite « Che
min de fer de la Chine de l'Est », traversant le territoire chinois d'ouest en est,
elle s'étirait sur mille cinq cents kilomètres jusqu'à Vladivostok. Et là où les
pistes rencontraient le Sungari (Songhua), le plus long affluent du fleuve
Amour, la ville de Harbin avait poussé comme un champignon à l'emplacement
d'un petit village endormi de pêcheurs, pour devenir à la veille de la révolution
d'Octobre une ville de plus de 100 000 habitants2.
En 1918, après la démolition du pont de Khabarovsk, le Chemin de fer de
la Chine de l'Est devint la seule voie de communication entre Vladivostok et la
Sibérie. Et Harbin, siège administratif du Chemin de fer de la Chine de l'Est et
nœud ferroviaire de la Mandchourie du Nord, prit une importance stratégique.
Du « Saint-Pétersbourg mandchourien », les troupes allaient pouvoir attaquer à
l'est comme à l'ouest, faisant basculer les équilibres stratégiques locaux tantôt
vers la Sibérie, tantôt vers le Pacifique. Et les bateaux descendant le Sungari,
pourraient contrôler l'Amour jusqu'à son embouchure. Ainsi, Harbin, point
nodal de toutes les voies de communication de la région, apparaissait comme
l'articulation d'une mâchoire ouverte et armée, prête à se refermer précipitam
ment, avalant toute la Mandchourie du Nord et la Sibérie orientale. Ainsi, en
août 1918, lorsque le Japon, invoquant le traité de défense sino-japonais signé
un mois avant, avait envoyé des troupes pour occuper le Chemin de fer de la
Chine de l'Est, une nouvelle expansion apparut inévitable. Ces événements
montrèrent que le sort de la Mandchourie du Nord et de la Sibérie orientale
étaient liés géographiquement mais aussi sur le plan logistique.
2. Le 24 février 1913, le recensement établi par la municipalité de Harbin en une
seule journée, premier recensement conduit par un authentique démographe, un dénommé
Soldatov, montre qu'il y avait un peu plus de 60 % de Russes à l'intérieur de la zone concédée
à l'administration russe du chemin de fer. Ce chiffre tombe à 40 % pour l'ensemble de la
ville, si l'on inclut Fujiadian, le quartier chinois qui jouxtait le Harbin russe. Pour plus
d'informations sur ce point, cf. : Г [ород] Харбин и его пригороды по однодневной пере
писи 24-го февраля 1913 г., Harbin, Izd. KVŽD, 1913. HARBIN OU LE DERNIER AVATAR DE LA POLITIQUE IMPÉRIALE RUSSE 295
Ce n'était pas la première fois que l'on appréciait la situation stratégique de
Harbin. Dès 1900, les Chinois disaient de Harbin que c'était « le point le plus
vital pour les Russes ». Et au plus fort de la révolte des Boxers, le gouverneur
général (jiangjun) de la province de Qiqihar avait reçu l'ordre de Pékin, de
« prendre Harbin par ruse ou par force ». Mais il échoua et se suicida. Tandis
que Harbin, à peine vieux de deux ans, poursuivit sa construction3.
Peu de temps après, le consul américain à Niuzhuang, Henry B. Miller,
envoyé en mission dans le nord de la Mandchourie, écrivait dans son rapport :
L'un des plus grands exploits dans l'histoire de la construction des villes se
produit actuellement en plein cœur de la Mandchourie : la construction de
Harbin. ... C'est dans cette ville que la Russie est en train d'affirmer son intention
de devenir une force industrielle active en Orient et les Russes commencent déjà
à surnommer ce lieu la « Moscou de l'Asie »4.
Les imaginations allaient bon train. Chacun y allait de sa comparaison.
Certains ne retenaient que l'idée du nœud ferroviaire et voyaient en Harbin un
Chicago. D'autres, ne considérant que sa situation sur le fleuve, disaient que
Harbin faisait penser à Saint Louis. Mais tous s'accordaient à dire que « le mal
adroit ours russe s'était révélé d'une manière tout à fait inattendue capable d'un
tempo et d'un style de travail véritablement américain ». Et quelle place pouv
ait-il y avoir pour les Américains et leurs marchandises

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