Judas Iscariote ou les Avatars littéraires du douzième apôtre (Leonid Andreev, Maksimilian Vološin, Paul Claudel) - article ; n°2 ; vol.71, pg 359-375
18 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Judas Iscariote ou les Avatars littéraires du douzième apôtre (Leonid Andreev, Maksimilian Vološin, Paul Claudel) - article ; n°2 ; vol.71, pg 359-375

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
18 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Revue des études slaves - Année 1999 - Volume 71 - Numéro 2 - Pages 359-375
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 48
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Madame Marie-Aude Albert
Judas Iscariote ou les Avatars littéraires du douzième apôtre
(Leonid Andreev, Maksimilian Vološin, Paul Claudel)
In: Revue des études slaves, Tome 71, fascicule 2, 1999. pp. 359-375.
Citer ce document / Cite this document :
Albert Marie-Aude. Judas Iscariote ou les Avatars littéraires du douzième apôtre (Leonid Andreev, Maksimilian Vološin, Paul
Claudel). In: Revue des études slaves, Tome 71, fascicule 2, 1999. pp. 359-375.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1999_num_71_2_6600JUDAS ISCARIOTE
OU LES AVATARS LITTÉRAIRES DU DOUZIÈME APÔTRE
(Leonid Andreev, Maksimilian Vološin, Paul Claudel)
PAR
MARIE-AUDE ALBERT
Deux figures du Nouveau Testament semblent avoir particulièrement ins
piré au tournant du siècle le monde des lettres et des arts, alors en quête de nou
veaux symboles, voire de nouveaux mythes. Deux figures obscures sur les
quelles les Évangiles et les Actes nous renseignent peu et sont même confus,
mais que l'imagination fertile des peintres et des poètes en revanche a su doter
d'un corps, d'une âme, d'une volonté, parfois même d'une surprenante capacité
d'introspection. Deux figures sataniques selon la tradition chrétienne qui, pour
avoir livré à la mort Jean Baptiste et Jésus-Christ, ont soudain acquis auprès
d'écrivains et d'artistes une dimension psychologique, éthique, théologique ou
encore eschatologique proprement vertigineuse.
Salomé, bien sûr, a, plus que Judas, inspiré les contemporains du symbol
isme qui, de Huysmans à Mallarmé en passant par Oscar Wilde, Gustave
Moreau et Franz von Stuck, ont fait de la fille ď Herodiadě un mythème fasci
nant sur lequel les études abondent1. Mais la postérité littéraire et artistique du
Douzième Apôtre, pour être plus discrète, n'en est pas moins passionnante,
depuis l'essai de Thomas de Quincey (1883) jusqu'au récent roman de Domin
ique Reznikoff (1995) en passant par les œuvres d'Anatole France, Aleksej
Remizov, Leonid Andreev, Maksimilian Vološin, Mixail -Bulgakov, Paul
Claudel, Dmitrij Merežkovskij, Marcel Pagnol, Jurij Dombrovskij — pour ne
citer que les plus célèbres — , sans oublier le peintre Nikolaj Ge2.
1. Voir en particulier l'excellente étude et le dossier réalisés par S. Baudiffier et
J.-M. Debenedetti, in les Symbolistes, Paris, Henri Veyrier, 1990, p. 123-158.
2. Thomas de Quincey, Judas Iscariot, 1853 ; Dominique Reznikoff, Judas Isca-
riote, 1995 ; Anatole France, le Procurateur de Judée, 1891 ; Aleksej Remizov, Иуда, 1903,
et О Иуда, принце Искариотском, 1908 ; Leonid Andreev, Иуда Искариот, 1907 ;
Maksimilian Vološin, Иуда Искариот, 1918 ; Dmitrij Merežkovskij, Иисус неизвестный,
1931 ; Paul Claudel, la Mort de Judas, 1933 ; Mixail Bulgakov, Мастер и Маргарита,
1929-1940 (en particulier les chapitres II : « Понтий Пилат », XXV : « Как Прокуратор
пытался спасти Иуду из Кириафа », XXVI : « Погребение ») ; Marcel Pagnol, Judas,
Rev. Étud. slaves, Paris, LXX1/2, 1999, p. 359-375. 360 MARIE-AUDE ALBERT
Étudier les regards croisés de tant d'écrivains et d'artistes sur l'énigme du
Douzième Apôtre dépasserait bien sûr le cadre d'un article. Aussi avons-nous
circonscrit un si vaste sujet à trois auteurs : Leonid Andreev, Maksimilian
Vološin et Paul Claudel. Ce choix s'explique pour au moins trois raisons :
d'abord, les œuvres retenues, en l'occurrence une nouvelle, une poésie et un
monologue, font toutes figurer dans leur titre le nom même de Judas3 ; ensuite,
laissant délibérément au second plan les divers acteurs de l'Évangile, elles
focalisent l'attention sur l'homme de Kérioth4 et portent, chacune à sa manière,
un éclairage original et puissant sur le motif de sa trahison ; enfin, elles ont été
écrites sur une période relativement courte, entre 1907 et 1933, par trois
écrivains d'une même génération que l'histoire littéraire a réunis dans la mesure
où l'un d'entre eux (Maksimilian Vološin) a beaucoup écrit sur les deux autres.
* *
À l'origine de ce questionnement à la fois douloureux et provocateur sur la
trahison de Judas, il y a bien sûr l'essai iconoclaste de Thomas de Quincey,
Judas Iscariot5. Aucun des écrivains qui nous intéressent ici ne pouvait ignorer
l'existence de cette curiosité littéraire que le célèbre auteur des Confessions d'un
mangeur d'opium anglais, précurseur admiré de la décadence européenne, avait
lancé, en 1853, comme un énorme pavé dans la mare des idées reçues et des
canons de l'Église.
Quincey s'interroge non sur la vie de Judas restée inconnue, mais sur sa
mort si singulière qui, à la lecture des textes canoniques, révèle une double
contradiction, l'une psychologique, l'autre philologique, dont l'auteur fait la clef
de l'odieuse et énigmatique trahison.
Si Judas est bien le mercenaire fourbe et âpre au gain que peint la tradition,
alors son désespoir conduisant au suicide (selon Matthieu) est sans commune
mesure avec un caractère aussi mesquin et un mobile aussi vil. Quincey, à la
suite de théosophes et exégètes allemands, prête au crime de Judas un tout autre
motif. Comme les autres apôtres, Judas aurait mal compris le message du Christ,
donnant à l'avènement du Royaume une interprétation temporelle et non
spirituelle. Il aurait vu en Jésus un chef charismatique capable de canaliser
toutes les revendications d'un peuple mûr pour la rébellion contre l'envahisseur
1956 ; Jurij Dombrovskij, Факультет ненужных вещей, 1978 (cf. les entretiens entre
Kornilov et le père Andrej d'une part, et surtout l'annexe n° 2 intitulée « Суд над
Христом »). Et Nikolaj Ge, Тайная Вечеря, 1863, et Совесть Иуда, 1891.
3. Cf. supra. Le roman de Bulgakov offre une explication originale au suicide de
Judas (assassinat maquillé en suicide sur l'ordre de Pilate), mais Judas est un personnage sans
intérêt pour l'auteur qui en fait un bellâtre âpre au gain n'ayant d'ailleurs jamais été le
disciple de Jésus, alors que Pilate, lui, est le héros qui intéresse Bulgakov. Le thème de la
trahison est bien au centre du roman de Dombrovskij, mais la culpabilité de Judas est partagée
par un second traître, un inconnu qui fascine autant les personnages du roman que l'auteur lui
même.
4. C'est le sens habituellement proposé par les étymologistes. Cf. Encyclopaedia
Britannica, t. 3, p. 168. Judas était le seul parmi les douze apôtres à ne pas être de Galilée.
5. Thomas de Quincey (1785-1859) a écrit Judas Iscariot en 1853 ; l'ouvrage a paru
en 1857. Nous nous référons ici à une traduction française récente : Judas Iscariote, trad.
E. Dayre, Toulouse, Ombres, 1990. JUDAS ISCARIOTE OU LES AVATARS LITTÉRAIRES DU DOUZIÈME APÔTRE 361
romain et las des rivalités entre les autorités juives. Persuadé que le Christ avait
pour dessein de restaurer le trône de David et voyant toutes les conditions du
succès réunies, Judas aurait souhaité alors que son chef passât sans tarder à
l'action. Aux yeux d'un homme aussi pratique et raisonnable (élu à ce titre
trésorier du groupe), Jésus était sans doute un être sublime, mais hélas aussi un
velléitaire, une sorte de « Hamlet », comme l'écrit Quincey, admirable dans ses
spéculations mais incapable de passer aux actes. Il s'agissait donc pour
l'Iscariote, dans l'intérêt du Christ même, de forcer ce dernier à agir :
Si l'on suit la vision des choses adoptée par Judas, il devint donc important
que son maître fût précipité dans l'action par une force extérieure et jeté dans le
cœur même de quelque mouvement populaire tel qu'une fois mis en branle, il fût
impossible par la suite de le maîtriser ou d'y mettre un terme. Le Christ devait
être compromis avant qu'on ne doutât de lui6.
Judas comme les autres apôtres aurait ainsi prêté à Jésus un dessein totalement
incompatible avec la véritable grandeur du projet chrétien, mais à la différence
de ces derniers, il aurait fait preuve d'une coupable présomption en prétendant
comprendre mieux que tous, mieux que le Christ lui-même, la mission de son
maître. On peut alors reprocher à Judas un excès de zèle ou de patriotisme,
d'orgueil ou de prétention aveugle, mais en aucun cas on ne peut l

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents