L'écologie est-elle naturelle ? - article ; n°1 ; vol.17, pg 67-78

Jean-Louis Peytavin

Description

Quaderni - Année 1992 - Volume 17 - Numéro 1 - Pages 67-78
Dans une structure quelconque, mais suffisamment grande, il est toujours possible de trouver une structure ordonnée. Ce théorème mathématique se vérifie avec l'écologie, ce vaste ensemble flou qui se recoupe imparfaitement avec la science de l'environnement et la philosophie de la nature. Ce qui est à l'origine de nombreux paradoxes, équivoques et malentendus.
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: QUADERNI
• Publié le: 01 janvier 1992
• Nombre de lectures: 25
• Langue: Français

Extrait

Jean-Louis Peytavin
L'écologie est-elle naturelle ?
In: Quaderni. N. 17, Printemps 1992. pp. 67-78.
Résumé
Dans une structure quelconque, mais suffisamment grande, il est toujours possible de trouver une structure ordonnée. Ce
théorème mathématique se vérifie avec l'écologie, ce vaste ensemble flou qui se recoupe imparfaitement avec la science de
l'environnement et la philosophie de la nature. Ce qui est à l'origine de nombreux paradoxes, équivoques et malentendus.
Citer ce document / Cite this document :
Peytavin Jean-Louis. L'écologie est-elle naturelle ?. In: Quaderni. N. 17, Printemps 1992. pp. 67-78.
doi : 10.3406/quad.1992.943
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/quad_0987-1381_1992_num_17_1_943®ossier
«Ainsi donc, regarde tant qu'il te plaira
L'écologie le ciel et la terre comme des réalités
inaltérables qui jouissent d'une sauve
garde éternelle ; parfois néanmoins la
est-elle
présence immédiate d'un grand danger
te fera sentir en quelque endroit de
l'âme l'aiguillon de la terreur ; pourvu, naturelle?
diras-tu, que la terre n'aille pas, se
dérobant tout à coup sous nos pas, Jean-Louis
disparaître dans un abîme, toutes cho
Peytavin ses y tomber à sa suite et le monde n 'être
plus que ruine et chaos !»
Journaliste
Ainsi Lucrèce termine son De Natura
Rerum, avant de nous donner une des
cription saisissante et terrifiante de la
peste d'Athènes, point final de son
poème. Il n'y a pas d'état d'âme chez
Lucrèce : il nous montre que s'il existe
une loi de la nature des choses, il s'agit
de la seule loi du hasard. Il n'y a pas
d'ordre caché, ni de finalité dissimulée
derrière le chaos apparent de la réalité.
Pour lui, comme pour tous les penseurs
tragiques, la nature n'est qu'illusion
rassurante et construction de l'esprit. La
réalité vraie, ce n'est pas la belle harmon
ie de l'ordre platonicien, mais l'inon
dation, le tremblement de terre, l'épidé
mie. S'il existe un abîme quelque part,
nous y tomberons inéluctablement.
Vingt siècles plus tard, un philosophe
QUADERNI N*17 - PRINTEMPS 1992 L'ÉCOLOGIE EST-ELLE NATURELLE ? 67 ©
occidental, à la sortie du Moyen- Age,
était pauvre et affamé. Certes, il était tremblement terre symbole des sciences et l'homme de l'amour reprend de terre, : qui la même mais unit la en nature, image fait du un la
pétri de vieilles traditions mais son
présent était misérable, n vivait dans la
crainte, alors que là-bas, au-delà des
«C'est pourquoi je goûtai de la joie mers il existait des pays merveilleux,
pendant le tremblement de terre dont des pays de Cocagne, où les femmes
tant de gens autour de moi s'épouvantè étaient douces et le travail inconnu. Le
rent (...) je reviens dans mon univers monde était un fruit qu'il suffisait de
familier, en mon espace tremblant, aux cueillir, et, sans réfléchir plus avant, il
nudités ordinaires, à mon essence, l'a cueilli.
exactement à l'extase. Quisuis-je ? Une
trémulation de néant, vivant dans un Cinq siècles plus tard, la commémorat
séisme permanent. Or, pendant un ion de la découverte de l'Amérique
moment de bonheur profond, à mon prend des allures d'enterrement : au
corps vacillant vient s'unir la terre lever du soleil, le 12 octobre 1992, un
spasmodique. Qui suis-je, maintenant groupe d'écologistes se réunira sur la
pour quelques secondes ? La Terre elle- plage des Bahamas où l'on pense que
même. Communiant tous deux, en amour débarqua Colomb. Ils conduiront une
elle et moi, doublement désemparés, cérémonie funèbre à la mémoire de
l'environnement naturel et de l'extermiensemble palpitant, réunis dans une
aura.» nation de peuples entiers des Caraïbes.
Pour eux, l'avenir de la Nature est sinis
Michel Serres conclut ainsi son Contrat tre. Et, dans la nouvelle religion de la
Nature, l'homme occidental doit faire naturel, où l'amour généralisé remplace
la terreur lucrétienne. La Terre est un pénitence de son crime.
quasi être vivant, et nos relations avec
elle, revisitées par la philosophie du Ce respect nouveau pour la nature est,
apparemment, une victoire de l'écolo- droit, doivent être établies sous la forme
gisme ambiant, selon une équation un d'un contrat.
peu simple qui voudrait que l'écologiste
Prenons un autre exemple, qui montre se préoccupe d'environnement et aime
la nature. Mais il est probable que nous l'évolution des mentalités. L'homme
68 QUADERNI N*17 PRINTEMPS 1992 L'ÉCOLOGIE EST-ELLE NATURELLE ? ©
avons affaire à trois ensembles, qui concernent aussi bien l'air que l'on res
peuvent se recouper, mais pas toujours, pire, l'eau que l'on boit que la terre,
ce qui est à l'origine d'un certain nomb soumise à l'appauvrissement et à l'éro
re de malentendus. Ces ensembles sont sion : à ce premier niveau de pollution,
eux-mêmes délicats à définir : on peut on trouve toutes les questions soule
parler de Y environnement comme d'une vées parles pluies acides, l'émission de
science incertaine, de l'écologie comme gaz dans l'atmosphère Ces fameux CFC
d'un ensemble flou, et de la nature destructeurs de la couche d'ozone), l'ef
comme d'une référence molle. fet de serre, la pollution des rivières par
les déchets de l'industrie chimique, le
bruit intolérable, n faut ajouter à cela L'ENVIRONNEMENT,
SCIENCE INCERTAINE l'appauvrissement des terres cultivables
par les cultures intensives, l'assèch
La notion d'environnement est certa ement de la nappe phréatique, l'érosion
inement la plus simple. En effet, il est irréversible des terres tropicales, la
facile de comprendre que toute activité rapide désertification de l'Afrique, la
destruction massive d'espèces végétalhumaine aura des conséquences sur le
milieu : le paysan modifie le paysage et es et animales rares, les menaces qui
pèsent sur les poissons, que l'on imagila circulation automobile, dans les vil
les, pollue inévitablementl'armosphère. nait il y a quelques temps encore comme
un réservoir inépuisable pour l'alimen
Le premier objectif du scientifique, tation de l'homme.
spécialiste de l'environnement, est de
dresser le catalogue de ces atteintes au n faut ajouter à cela les problèmes inso
lubles et pourtant urgents de l'accumulmilieu, soit en référence à un cadre dit
ation des déchets, de l'extension des «naturel» (antérieur à l'homme), soit à
un cadre vivable, c'est-à-dire compati mégapoles, de l'équilibre de plus en
plus difficile à trouver entre les ressourble avec la vie de l'homme.
ces énergétiques et alimentaires d'un
côté et l'explosion démographique de r Ce catalogue s'allonge chaque jour et
est un peu fastidieux, car aucun aspect l'autre. Tout cela est bien connu et fait .
de la vie n'échappe à l'attention des régulièrement la une des journaux. Le
développement de cette préoccupation environnementalistes. Les problèmes
QUADERNI NM7 - PRINTEMPS 1992 L'ÉCOLOGIE EST-ELLE NATURELLE ? 69 ©
environnementale est en quelque sorte tout ce que nous savons. Pour le reste, la
directement proportionnel au nombre science de l'environnement est affaire
des hommes : il arrive un moment où d'observation, de recueil d'informations
l'on ne peut plus ignorer la montagne de afin de connaître le véritable enchaîne
déchets devant la porte ou le caractère ment des causes et des effets. L'envi-
irrespirable de l'air. ronnementaliste se méfie des modes et
des explications rapides : on l'a bien vu
A ce niveau la préoccupation environ dans le cas de la couche d'ozone. La
nementale, sans que l'on ait besoin pour science est incapable d'expliquer les
l'instant de parler d'écologie, est la chose causes réelles de sa variation, et il est
du monde la mieux partagée : il n'est pas impossible encore de proposer une so
besoin d'avoir une appartenance polit lution unique. L'arrêt de la production
ique ou philosophique quelconque pour des CFC, ces produits chimiques utili
sepréoccuper d'environnement. Il existe sés à grande échelle dans l'industrie et
probablement un consensus de b