L envers du regard - article ; n°2 ; vol.64, pg 39-63
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Description

Journal des africanistes - Année 1994 - Volume 64 - Numéro 2 - Pages 39-63
The part of the body that especially expresses a person's humanity is the face. For the Bwaba (Burkina Faso), the face is not a natural fact of human morphology. A person acquires a face only when it is marked with graphic incisions. These figures transcribe the myth of the world's creation according to which the human face was born from the tears a god shed when his twin committed a transgression whence death ensued. The trail of his tears drew the first motif ; it has always been marked on cheeks since then. Owing to its form, the flowing tears that marked it and the figures decorating it, the face is the paradigm of a human being's relation to the world of the gods and to the world of the past whence he springs and where he is destined to return. For the Bwaba, the world's origins are revealed in the depths of the eye, beyond the black pupil.
II est un lieu du corps où s'exprime tout particulièrement l'humanité de la personne : le visage. Pour les Bwaba (Burkina Faso), il n'est pas une donnée naturelle de la morphologie humaine. L'homme n'acquiert un visage que lorsque celui-ci est marqué de graphismes incisés : ces derniers transcrivent l'histoire mythique de la création du monde selon laquelle le visage des hommes est né des pleurs qu'un dieu répandit lors de la transgression de son jumeau coupable et de la mort qui s'ensuivit. Les sillons de ses larmes ont alors tracé le premier motif, gravé depuis sur les joues des hommes. Par sa configuration, par cette dynamique des pleurs qui l'anime, par les graphismes qui l'ornementent, le visage se présente comme le paradigme de la relation de l'homme au monde des dieux et au monde de l'antériorité d'où il est issu, et où il est destiné à retourner ; pour les Bwaba, c'est dans le noir de la pupille, au-delà du regard, que se révèle ce monde de l'origine.
25 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 25
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Michèle Coquet
L'envers du regard
In: Journal des africanistes. 1994, tome 64 fascicule 2. pp. 39-63.
Citer ce document / Cite this document :
Coquet Michèle. L'envers du regard. In: Journal des africanistes. 1994, tome 64 fascicule 2. pp. 39-63.
doi : 10.3406/jafr.1994.2400
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jafr_0399-0346_1994_num_64_2_2400Abstract
The part of the body that especially expresses a person's humanity is the face. For the Bwaba (Burkina
Faso), the face is not a natural fact of human morphology. A person acquires a face only when it is
marked with graphic incisions. These figures transcribe the myth of the world's creation according to
which the human face was born from the tears a god shed when his twin committed a transgression
whence death ensued. The trail of his tears drew the first motif ; it has always been marked on cheeks
since then. Owing to its form, the flowing tears that marked it and the figures decorating it, the face is
the paradigm of a human being's relation to the world of the gods and to the world of the past whence
he springs and where he is destined to return. For the Bwaba, the world's origins are revealed in the
depths of the eye, beyond the black pupil.
Résumé
II est un lieu du corps où s'exprime tout particulièrement l'humanité de la personne : le visage. Pour les
Bwaba (Burkina Faso), il n'est pas une donnée naturelle de la morphologie humaine. L'homme
n'acquiert un visage que lorsque celui-ci est marqué de graphismes incisés : ces derniers transcrivent
l'histoire mythique de la création du monde selon laquelle le visage des hommes est né des pleurs
qu'un dieu répandit lors de la transgression de son jumeau coupable et de la mort qui s'ensuivit. Les
sillons de ses larmes ont alors tracé le premier motif, gravé depuis sur les joues des hommes. Par sa
configuration, par cette dynamique des pleurs qui l'anime, par les graphismes qui l'ornementent, le
visage se présente comme le paradigme de la relation de l'homme au monde des dieux et au monde de
l'antériorité d'où il est issu, et où il est destiné à retourner ; pour les Bwaba, c'est dans le noir de la
pupille, au-delà du regard, que se révèle ce monde de l'origine.MICHÈLE COQUET
L'envers du regard
reprenait Alberto pour Giacometti la énième disait fois à la son peinture ami japonais de son Isaku portrait Yanaihara : tandis qu'il
Plus on voit le visage avec densité, plus l'espace qui l'entoure devient immense ; c'est
vraiment curieux ! Votre visage est très, très beau, presque terriblement compact. Auprès
de votre visage, même le portrait par Franz Hais, même celui par Rembrandt ne sont que
des images drôles (Giacometti 1990 : 259).
A un autre de ses amis, il confiait qu'il était depuis toujours « halluciné
par le visage des gens [...] comme un signe inconnu, comme s'il y avait quel
que chose à voir qu'on ne voit pas au premier coup d'œil » (ibid. : 262). Gia
cometti nous a laissé des séries de portraits témoignant, selon l'expression de
Michel Leiris, de ce travail de Sisyphe qui consistait à reconstruire ce qu'il avait
détruit la veille dans une exploration sans cesse recommencée de la réalité. La
facture de ces visages nous en apporte la preuve : faces tendues vers l'avant,
faces presque creusées, contours infiniment repris surtout à l'endroit des orbi
tes où le peintre tente, par la multitude des touches apposées à l'aide de son
pinceau, de saisir le vivant dans le regard. « Plus on s'approche, plus la chose
s'éloigne », disait-il encore. Ce que Giacometti nous rappelle inlassablement,
c'est que le visage se pose comme le lieu où, à travers ces deux points d'intens
ité que sont les yeux, se joue la conjugaison du vivant et de l'humain.
Il est d'autres sociétés que la nôtre qui ont porté une attention également
grande au visage et qui l'ont inclus dans leur iconographie, en le considérant
tant dans sa totalité que dans ses parties. L'art des Maoris de Nouvelle-Zélande,
des habitants des Nouvelles-Hébrides ou de ceux de la Nouvelle-Guinée nous
transmet une même fascination pour les visages à travers l'abondante figura
tion de faces d'êtres mythiques et de dieux. La représentation de ces dieux pri
vilégie même, aux dépens du reste du corps, des éléments de visage, dont les
yeux, énormes, qui occupent une très grande place. C'est le cas par exemple
aux îles Marquises. Les décors des proues de pirogue, des têtes de massue, des
manches d'éventails en bois, en os ou en ivoire, des plaques d'écaillés des dia
dèmes, des tatouages, sont organisés autour de la figuration d'un personnage
mythique, le tiki. La figuration de son visage ou celle des motifs qui en sont
issus, yeux, bouche, nez, arcades sourcilières, constituent souvent la base ic
onographique des ornementations d'objets. Maurice Leenhardt écrit à ce propos :
Les plus vieilles pièces montrent des tiki toujours entiers. Plus tard la tête seule est
sculptée, car elle suffit au but magique cherché par l'artiste. Dans la suite, le travail en ronde-
bosse devient plus rare : ce ne sont plus que des visages sculptés en bas-reliefs, enfin le visage
disparaît et les yeux seuls rappellent le tiki. Les yeux ont des contours marqués et, sur le
côté, une petite spirale décorative est un élégant rappel des oreilles (Leenhardt 1947 : 98).
Journal des africanistes 64 (2) 1994 : 39-63 MICHÈLE COQUET 40
Les sociétés africaines ne semblent pas avoir usé du modèle du visage de
manière aussi spectaculaire. Il n'y a pas, à ma connaissance, dans l'art afri
cain, d'exemple comparable à ce que l'on rencontre dans le monde océanien :
démultiplication de visages sur une surface ou dans un volume, prélèvement
de différentes parties du visage pour les insérer dans un décor, combinaison
de ces éléments conçus à la fois comme des unités autonomes et comme des
parties métonymes d'un tout. Il existe cependant quelques exceptions qu'illus
trent certains masques, comme les masques kwélé du Congo par exemple où
le dessin de la face du masque est reproduit en champlevé et en plus petit sur
un cimier à la forme rappelant celle de cornes, ou comme les masques buyu
du Zaïre où le cercle formé par les orbites est figuré plusieurs fois sur la face
du masque1. Pourtant l'art africain est riche de représentations de visages à
travers en particulier les faces, explicitement humanisées et en général de bois
sculpté, de ses masques. J'en citerai quelques-uns : masques toma de Guinée,
masques senoufo, gouro, dan et baoulé de Côte-d' Ivoire, masques ibibio, idoma
et yoruba du Nigeria, masques bamiléké du Cameroun, fang et punu
du Gabon, masques luba, songyé, suku, pende du Zaïre, masques tshokwé
d'Angola... D'autres faces, parmi les masques, répondent, comme dans l'art
océanien, de façon plus ou moins fidèle à leur modèle humain ; ceci est en
partie dû à la tendance à l'abstraction ou au schématisme, si caractéristique
de l'art africain, et souvent se perçoivent, fondus dans les contours humanisés
de leur support, les traits de la face animale. Le problème que posent ces faces,
à la fois humaines et animales, et parfois ne relevant ni d'une interprétation
ni de l'autre, reste entièrement à élucider bien qu'il révèle, pourtant, l'exis
tence d'une question essentielle qui serait à l'œuvre dans ces représentations
quant à la définition de l'humanité de l'homme. Il y a d'ailleurs tout lieu de
penser que, étant donné la complexité des opérations conceptuelles qui gou
vernent, comme nous allons le voir, la représentation intellectuelle du visage,
il en soit de même pour ces autres « visages » que sont les masques.
Certaines sociétés ne possèdent pas, ou très peu, de statuaire. Dans ce cas,
le visage n'est pas, lui non plus, figuré. Les Bwaba (Burkina Faso)2 ne repré
sentent l'homme ou l'animal que dans le contexte de petits objets en laiton
utilisés pour la divination ou comme pendentifs et comme bagues. Certains grou
pes ont cependant recours à des masques à tête de bois sculpté dont ils ont
emprunté le modèle à leurs voisins orientaux nuna ou winyé. On rencontre dans
ces masques des figurations d'animaux et certains d'entre eux, dont la tête cir
culaire est

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