L'Europe et le Tiers Monde : entre la mondialisation et la régionalisation - article ; n°136 ; vol.34, pg 725-748

Philippe Hugon

Description

Tiers-Monde - Année 1993 - Volume 34 - Numéro 136 - Pages 725-748
24 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: TIERS-MONDE
• Publié le: 01 janvier 1993
• Nombre de lectures: 20
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Philippe Hugon
L'Europe et le Tiers Monde : entre la mondialisation et la
régionalisation
In: Tiers-Monde. 1993, tome 34 n°136. pp. 725-748.
Citer ce document / Cite this document :
Hugon Philippe. L'Europe et le Tiers Monde : entre la mondialisation et la régionalisation. In: Tiers-Monde. 1993, tome 34
n°136. pp. 725-748.
doi : 10.3406/tiers.1993.4797
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1993_num_34_136_4797L'EUROPE ET LE TIERS MONDE
ENTRE LA MONDIALISATION
ET LA RÉGIONALISATION
par Philippe Hugon*
Est-il légitime de consacrer en 1993 un numéro spécial à l'Europe et
le Tiers Monde ?
L'intérêt factuel paraît évident. Face à une Europe en récession, le
Tiers Monde est présenté comme un bouc émissaire par ses migrants
d'outre-Méditerranée ou par ses produits venant d'Asie. Plus fonda
mentalement, l'économie mondiale est en profonde mutation. L'histoire
s'accélère ; elle conduit à supprimer les points de repère. L'espace cardi
nal est bouleversé dès lors qu'une partie des pays du Sud (notamment
ceux d'Asie du Sud-Est) se retrouvent au Nord et que les pays d'Europe
centrale et de l'Est semblent proches des pays du Sud. Les relations
entre l'Europe et le Tiers Monde sont au cœur de ce basculement ou ren
versement du monde (Badie, Smouts, 1992).
La justification théorique du thème peut paraître moins évidente. Les
négociations de l'Uruguay Round montrent les nouvelles lignes de partage
entre les pays du Tiers Monde, entre les pays européens et entre ceux-ci et
ceux-là. Elles réactualisent le débat entre le nationalisme économique, le
régionalisme et le multilatéralisme. Dans ce contexte international, la
chute du mur de Berlin, l'évolution de l'Afrique du Sud, la transition
chaotique des pays de l'Est ou la montée en puissance de l'Asie face à la marg
inalisation de l'Afrique sont autant de facteurs obligeant la Communauté
européenne 1 à repenser ses liens avec le Sud et notamment avec les acp à
l'occasion du renouvellement du protocole financier de la convention de
Lomé. Le renouveau récent de la théorie économique remet en question,
dans le cadre des relations Nord/Sud, certains fondements de la théorie
orthodoxe des avantages comparatifs, du libre-échange et du multila-
* Professeur, CERED/Paris X Nanterre.
1. La Communauté européenne est devenue Union européenne depuis novembre 1993.
Revue Tiers Monde, t. XXXIV, n° 136, octobre-décembre 1993 Philippe Hugon 726
téralisme1. L'économie institutionnelle met l'accent sur le rôle des
conventions et des règles réductrices d'incertitude, des apprentissages col
lectifs, de la réputation, de la confiance et de la crédibilité qui peuvent être
établis dans une coopération régionale Nord/Sud (Hugon, Pourcet,
Quiers-Valette, 1993 ; Coussy-Hugon, 1991). La théorie des politiques
commerciales stratégiques (Brander, Krugman) montre que, dans un uni
vers oligopolistique et en concurrence imparfaite, le protectionnisme peut
accroître la profitabilité des firmes et augmenter le revenu national. Les
blocs commerciaux mauvais en principe peuvent être bons dans la pratique
et favoriser la création d'avantages comparatifs. Le nouveau régionalisme
met l'accent sur la coordination des politiques nationales, l'attractivité des
investissements, la dilution des préférences nationales (De Melo), la crédi
bilité rendues possibles dans le cadre d'intégration régionale verticale. Les
théories de la croissance endogène (Romer, Lucas) soulignent le rôle de la
croissance comme un processus auto-entretenu reposant sur des méca
nismes d'accumulation du capital physique et humain. Elles introduisent
les rendements d'échelle et les externalités. En situation de rendements
croissants, les effets cumulatifs peuvent conduire à des migrations du capi
tal physique et humain des pays du Sud vers les pays du Nord où la rentabil
ité est croissante et donc vers des divergences croissantes des économies.
Tous ces apports théoriques récents conduisent à poser dans de nou
veaux termes le débat entre régionalisme et mondialisme, blocs régio
naux et multilatéralisme.
Délimiter des sous-ensembles régionaux implique ainsi que l'espace
mondial n'est pas homogène, qu'il met en relation (de coopération, de
concurrence et de conflit) des agents privés et publics appartenant à des
espaces hiérarchisés et polarisés. Le cadre de référence est celui de la imparfaite, des externalités et des rendements d'échelle, des
stratégies des firmes oligopolistiques et des politiques des Etats. Ce cadre
suppose que la mise en œuvre d'une politique européenne et des relations
privilégiées Europe/Tiers Monde s'imposent aux forces du marché, et que
des régulations sociopolitiques apparaissent (de Bandt, Hugon, 1989).
Etudier les relations Europe/Tiers Monde consiste ainsi à mettre en liaison
la régionalisation horizontale en cours entre pays industrialisés de l'Europe
de l'Ouest, la régionalisation « diagonale » entre l'Ouest et les nouveaux
1. Les relations économiques Nord-Sud sont éloignées des conditions de la théorie pure de
l'échange international. Le libre-échange n'est qu'un jeu à somme positive que moyennant respect de
conditions non réalisées : absence de volatilité des monnaies, de protection non tarifaires, de distor
sions de politiques nationales, libre circulation des facteurs. L'économie mondiale est au contraire
segmentée en zones. Les échanges se font en concurrence imparfaite et dans un environnement oligo
polistique. Les acteurs dominants cherchent à construire les avantages comparatifs ou compétitifs. L'Europe et le Tiers Monde 727
pays industriels de l'Est, d'Asie et d'Amérique latine, avec la régionalisation
verticale entre le Nord et le Sud de proximité anciennement colonisé.
Le sujet traité dans ce numéro et rédigé par des universitaires et
décideurs de divers pays européens et du Sud présente, ainsi, trois
grands types d'intérêt.
Celui-ci est évidemment lié à Yhistoire, notamment coloniale et à la
géographie ayant créé des zones de proximité. L'Europe s'est construite
au moment de la décolonisation de l'Afrique. Elle a dû gérer les tensions
entre ses liens privilégiés avec les pays proches géographiquement et hi
storiquement (les ACP et la Méditerranée) et ses intérêts économiques
dynamiques qui la poussaient vers le grand large et vers les nouveaux
pays industriels notamment d'Asie. Il y a eu, progressivement, dispari
tion des préférences impériales et érosion de la préférence communauta
ire. Au fur et à mesure que l'Europe communautaire s'élargissait et se
renforçait, elle se mondialisait et relâchait relativement ses liens avec
les ACP et le monde méditerranéen.
L'intérêt du thème est également lié aux ruptures historiques en cours.
Depuis l'effondrement du communisme, les pvd ne sont plus un enjeu
géostratégique entre blocs antagonistes. Le processus de transition vers
Г « économie de marché » est en cours au Sud et à l'Est. Ces mutations
conduisent à s'interroger sur les nouvelles interdépendances entre l'Eu
rope et les Tiers Mondes, et sur la validité des accords passés.
L'intérêt du sujet est enfin lié au renouveau du régionalisme. Il y a
conflit entre le jeu des forces du marché conduisant à une mondialisation
de l'économie et la constitution ďespaces sociopolitiques régulés. La
régionalisation est à la fois une extension des Etats-nations rendant plus
crédible une régulation sociopolitique dans un espace en voie de globali
sation et une fragmentation de ce processus porté par les acteurs trans
nationaux. Elle est également la résultante d'une tension entre l'ouver
ture à l'économie mondiale et les replis sur des referents identitaires, une
réponse au processus de remise en question sur des bases ethnorégiona-
listes de l'intangibilité des frontières. Il se constitue autour, voire à côté,
des pôles nord-américains (avec I'alena)1 et japonais (avec I'asean et les
nouveaux dragons) des espaces régionaux dynamiques. L'Europe
constitue une