L expertise policière de la « violence urbaine », sa construction intellectuelle et ses usages dans le débat public français - article ; n°4 ; vol.24, pg 351-375
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L'expertise policière de la « violence urbaine », sa construction intellectuelle et ses usages dans le débat public français - article ; n°4 ; vol.24, pg 351-375

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Description

Déviance et société - Année 2000 - Volume 24 - Numéro 4 - Pages 351-375
25 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2000
Nombre de lectures 40
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Laurent Mucchielli
L'expertise policière de la « violence urbaine », sa construction
intellectuelle et ses usages dans le débat public français
In: Déviance et société. 2000 - Vol. 24 - N°4. pp. 351-375.
Citer ce document / Cite this document :
Mucchielli Laurent. L'expertise policière de la « violence urbaine », sa construction intellectuelle et ses usages dans le débat
public français. In: Déviance et société. 2000 - Vol. 24 - N°4. pp. 351-375.
doi : 10.3406/ds.2000.1736
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ds_0378-7931_2000_num_24_4_1736Déviance et Société, 2000. Vol. 24, No 4, pp. 351-375
L'EXPERTISE POLICIÈRE DE LA «VIOLENCE URBAINE»
SA CONSTRUCTION INTELLECTUELLE
ET SES USAGES DANS LE DÉBAT PUBLIC FRANÇAIS
L. MUCCHIELLI*
En France, les années 1990 ont vu progressivement se construire, se diffuser et largement
s'imposer un nouveau discours policier sur la ou les «violences urbaines». Se présentant
comme «expert», grâce notamment à sa production statistique, il trouve dans les médias une
oreille complaisante. Cet article tente de replacer ce discours dans son contexte: une évolution
de la hiérarchie policière et la formation d'un réseau plus large d'« experts », qui tente de pro
fiter d'une conjoncture politique particulièrement favorable depuis la série d'émeutes
urbaines des années 1990-1991 pour promouvoir un renforcement du contrôle des quartiers
populaires. L'analyse des fondements de ce discours révèle qu'il est pourtant indûment catas-
trophiste dans sa présentation de l'ampleur du problème, qu'il amalgame sous l'étiquette de
« violences urbaines » des comportements de logiques diverses et qu 'il stigmatise de façon abu
sive les enfants issus de l'immigration africaine et surtout arabe.
Mots-clés: Police - Expertise - Statistiques - Violence urbaine - Délinquance juvénile -
Politique criminelle - Sécurité
La « violence urbaine » est une expression à la mode. En France, elle semble s'être définit
ivement ancrée dans les discours des médias, des professionnels de la sécurité et de la plupart
des chercheurs au tout début des années 1990, à l'occasion d'une nouvelle série d'émeutes
urbaines qui commence à Vaulx-en- Vélin, dans la banlieue de Lyon, en octobre 1990, et se
poursuit entre mars et juillet 1991 dans la banlieue parisienne (Sartrouville, Mantes-la-jolie,
Meaux, Garges-les-Gonesse). Au cours de la décennie, cette expression va se banaliser au point
de devenir pratiquement quotidienne dans la presse et la radiotélévision, qu'elles utilisent ou
non une rhétorique sensationnaliste et manifestent ou non un goût prononcé pour les faits divers
(Collovald, 2000). De même, la «question des banlieues» se taille, à partir de 1989, une place
croissante dans l'agenda télévisuel, en liaison avec une dramatisation de l'insécurité et avec
une interrogation sur le rôle de l'Islam dans les quartiers défavorisés où se concentre la populat
ion d'origine immigrée (Boyer, Lochard, 1998, 9\sqq). Ensuite, de nombreux travaux sociolo
giques reprennent cette notion de «violence urbaine» mais sans la définir, en l'employant de
fait comme synonyme du «mal» ou du «malaise» des banlieues1. Enfin et surtout, nous assis
tons depuis quelques années à la construction, à la diffusion et à l'imposition progressives dans
le débat public d'un discours policier qui, reprenant pleinement à son compte cette notion, se
caractérise avant tout par un catastrophisme et des amalgames d'autant plus contestables qu'ils
trouvent fréquemment dans les médias une oreille complaisante2.
Centre de recherches sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), CNRS, France. L'auteur remercie Jean-Paul
Brodeur et René Lévy pour leur lecture critique.
Par exemple Kokoreff, 1991.
On pourrait énumérer à volonté les titres d'articles ou même de «Unes» de quotidiens et d'hebdomadaires d'in
formations générales qui annoncent « la montée dramatique de l'insécurité », « le cancer de la violence », « l'explo
sion de la délinquance juvénile», etc. 352 Déviance et Société
C'est à l'analyse critique de ce discours que le présent travail est consacré. Nous nous inte
rrogerons d'abord sur ses producteurs et ses vulgarisateurs qui cherchent manifestement à profi
ter d'une conjoncture politique favorable au renforcement de la répression dans les quartiers
populaires (I). Nous analyserons ensuite la structure d'ensemble de ce discours (II). Enfin, nous
soumettrons à un examen détaillé sa construction statistique ainsi que les grandes lignes de
l'analyse à prétention criminologique qu'il véhicule (III).
I. Le nouveau discours policier dans son contexte
Si la direction générale de la police nationale a toujours procédé à l'analyse des données
recueillies sur l'ensemble du territoire à propos de la délinquance, la divulgation publique de
ces informations a longtemps résidé pour l'essentiel dans la publication annuelle d'un recueil
de statistiques de la délinquance et de la criminalité, agrémenté de succincts commentaires3.
Par ailleurs, les policiers ont toujours écrit sur leur métier, mais cette littérature était traditio
nnellement partagée entre trois genres : le genre autobiographique ou le récit des mémoires, le
genre historique ou commémoratif, le technique ou purement professionnel. Or, les
librairies proposent aujourd'hui des interventions d'un autre genre: des ouvrages ou des
articles de revues à prétention criminologique écrits par de hauts responsables policiers ou bien
par des «experts» en sécurité qui se fondent sur les mêmes sources et les mêmes arguments.
Étonnement supplémentaire : ces divers auteurs, qui forment peut-être un réseau, revendiquent
fréquemment une légitimité universitaire pourtant bien peu évidente.
Expertise policière et expertise scientifique: vers la confusion des genres?
Le paysage français de la littérature experte en matière de délinquance et de criminalité s'est
modifié depuis la création, en 1989, d'un institut de recherche et de formation du ministère de
l'Intérieur: l'Institut des Hautes Études sur la Sécurité Intérieure (IHÉSI)4. En effet, cet institut
publie une revue trimestrielle qui connaît un certain succès : Les cahiers de la sécurité intérieure.
De surcroît, on constate ces dernières années que la recherche en matière de délinquance se fait
de plus en plus souvent sur incitation financière, en réponse à des appels d'offre publics directs
ou indirects, l' IHÉSI étant un important commanditaire en la matière. Toutefois, il est difficile
déjuger avec précision, de l'extérieur, si cet organe du ministère de l'Intérieur tente d'imposer
une vision particulière des phénomènes auxquels il s'intéresse. On doit selon nous le suspecter,
mais pas le caricaturer. En effet, d'un côté des choix d'approches nettement sélectifs semblent
caractériser les activités de formation continue de cet institut. Mais de l'autre, les financements
de recherches passent par une procédure d'appels d'offres en bonne et due forme et les interlo
cuteurs de l'institut sont relativement variés. Quant à la revue, elle publie aussi bien des
réflexions d'acteurs de terrain, des textes issus de rapports internes réalisés par des auteurs aux
statuts les plus divers (consultants privés ayant obtenu un contrat de recherche, cadres policiers
en détachement, etc.) que des contributions émanant d'universitaires aux positions hétérogènes.
Aspects de la délinquance et de la criminalité constatées par les services de police et de gendarmerie, recueil
publié annuellement à La Documentation Française (Paris).
Le décret du 10 septembre 1991 portant organisation de l'IHÉSI stipule dans son premier article que l'institut a pour
mission de réunir des responsables de haut niveau [...] en vue d'approfondir leurs connaissances en matière de
sécurité intérieure par l'étude en commun des problèmes qui se posent dans ce domaine. Il est chargé de conduire
des études et des recherches concern

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