La chronicité dans la psychiatrie moderne française. Note d histoire théorique et sociale - article ; n°3 ; vol.27, pg 548-568
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1972 - Volume 27 - Numéro 3 - Pages 548-568
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1972
Nombre de lectures 30
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

G. Lanteri-Laura
La chronicité dans la psychiatrie moderne française. Note
d'histoire théorique et sociale
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 27e année, N. 3, 1972. pp. 548-568.
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Lanteri-Laura G. La chronicité dans la psychiatrie moderne française. Note d'histoire théorique et sociale. In: Annales.
Économies, Sociétés, Civilisations. 27e année, N. 3, 1972. pp. 548-568.
doi : 10.3406/ahess.1972.422522
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1972_num_27_3_422522INTER-SCIENCES
La chronicité
dans la psychiatrie française moderne
NOTE D'HISTOIRE THÉORIQUE ET SOCIALE
I. Situation de la notion de chronicité dans la psychiatrie
contemporaine
La psychiatrie moderne et contemporaine, envisagée dans ses oeuvres appl
iquées et ses institutions, ou regardée à travers les formulations théoriques dont
les traités peuvent donner un échantillonnage acceptable, paraît, en dépit de
la diversité souvent antagoniste des positions doctrinales, montrer un certain
nombre de postulats hors de discussion; nous ne saurions ici en accomplir le
dénombrement exhaustif, mais nous pouvons remarquer l'un d'eux, à savoir
que la pathologie mentale s'avère, par excellence, une pathologie chronique
et que, bien plus que dans d'autres spécialités, les affections en cause ont une
propension pour ainsi dire naturelle à durer très longtemps : à tort ou à raison,
c'est un propos commun, qui occupe à la fois les stéréotypes sociaux relatifs à
la psychiatrie, les théorisations de cette discipline, et les résultats de l'investigation
épidémiologique. Reprenons successivement ces trois rubriques pour essayer
d'y voir clair.
Il nous paraît hors de doute que l'opinion générale tient la pathologie ment
ale pour essentiellement chronique. Ce peut d'ailleurs être aussi bien un propos
de sauvegarde sociale qu'un propos d'optimisme prophylactique et thérapeut
ique. On peut dire : cette pathologie étant par essence chronique, chaque
guérison reste apparente et l'on doit prévoir la rechute; inutile de commenter
les vœux de coercition qu'on en déduit bien volontiers. Mais on peut dire aussi,
dans une perspective opposée : la chronicité étant la règle, il faut s'efforcer de
prévenir l'apparition des troubles, et les traiter au plus vite, pour leur épargner
l'évolution chronique, si spontanément menaçante; et alors, c'est la mise en
œuvre de tout ce qui devrait, censément, déjouer la menace de développement
548 LA PSYCHIATRIE AU XIX' SIECLE G. LANTERI-LAURA
chronique. Dans les deux opinions, et, croyons-nous, dans celle qu'on peut
appeler généreuse et progressiste, autant que dans celle que certains dénoncer
aient comme réactionnaire, demeure l'idée d'un potentiel de chronicité très
probable, contre lequel doit s'organiser une stratégie thérapeutique, mais qui
reste une menace presque permanente.
Même si l'on imagine le traitement efficace, comme celui qui empêche la
chronicité en puissance de devenir une chronicité en acte — pour paraphraser
le vocabulaire aristotélicien — c'est la en puissance qui qualifie la
pathologie mentale : pour les pessimistes ce devenir serait la règle, pour les
autres, l'exception, mais pour tous la chronicité demeure la menace, pour ainsi
dire, spécifique.
Cette menace s'articule, d'ailleurs, pour l'opinion, de manière souvent confuse
et deux remarques s'imposent avant de poursuivre nos réflexions.
Première remarque : la chronicité s'avère souvent synonyme d'hospitalisa
tion très longue, d'impossibilité à reprendre de façon suivie une activité profes
sionnelle, et elle se repère volontiers avec l'un de ces deux indices, soit l'hospi
talisation interminable, soit la désinsertion professionnelle. Il s'agit là, bien sûr,
d'indices extérieurs, car ils repèrent non pas la chronicité propre à la maladie,
mais l'impossibilité de la réinsertion, et cette impossibilité dépend autant du
contexte social, que de la maladie elle-même, si bien qu'on ne peut tenir ces
indices pour directement significatifs de la maladie, qu'en occultant la moitié
des conditions du problème. D'ailleurs, on cherche moins une preuve qu'une
confirmation, et c'est dans la mesure où l'on reçoit d'avance la chronicité comme
une certitude, qu'on se satisfait de la longueur des hospitalisations comme d'une
bonne vérification d'un postulat qui, au bout du compte, n'en avait, croit-on,
guère besoin.
Seconde remarque : l'opinion mêle volontiers, sous ce chef de chronicité,
plusieurs aspects différents. C'est d'abord le potentiel évolutif spontané de la
maladie, qui peut tendre à la guérison sans séquelle, ou à la poursuite et l'aggra
vation du processus : l'opinion accepte, en pathologie mentale, que la première
occurrence survienne très rarement, et que la seconde se montre très fréquente.
C'est un premier aspect de la chronicité, qui revient à admettre qu'elle a beau
coup plus de chance que l'inverse. Mais la chronicité se montre aussi comme
le résultat d'un traitement (ou de l'absence de traitement) appliqué à un certain
potentiel évolutif; quatre éventualités peuvent se concevoir, selon une combi-
natoire fort simple : acuité à l'origine et au bout du traitement, acuité à l'origine
mais chronicité ensuite, chronicité à l'origine et acuité ensuite, chronicité à
l'origine et chronicité au bout du compte. L'opinion estime que la première et
la troisième éventualités sont exceptionnelles, que la seconde est, certes, déplor
able, mais fréquente, et qu'enfin la quatrième correspond à la plupart des cas.
à' invalidité, Ajoutons, pourtant pour clore en usage ces réflexions, pour décrire combien l'évolution il est chronique rare qu'on qu'on use du observe terme
dans d'autres spécialités. Nous devons noter, d'ailleurs, qu'on ne compare
presque jamais la chronicité présumée des maladies mentales à la chronicité
qu'on rencontre très souvent en cardiologie, par exemple, ou en rhumatologie;
malgré l'évidence de la statistique, ces spécialités ne sont pas réputées concerner
une pathologie surtout chronique, alors que c'est le cas.
Ces brèves notations nous permettent ainsi de préciser ce que signifie la
chronicité des maladies mentales dans les représentations que s'en donne notre
culture. Nous devrions tenter d'y discerner d'une part des réactions de défense,
549 INTER-SCIENCES
d'autre part des conjonctures peut-être contradictoires d'intérêts. Pour le moment,
contentons- nous d'avoir repéré, avec quelque rigueur, le poids de la chronicité
dans l'image sociale de la pathologie mentale propre à notre civilisation.
Or, cette représentation sociale coïncide, pour l'essentiel, avec les concept
ions théoriques en cours, et nous pouvons nous en rendre compte en étudiant
rapidement les parts relatives faites à l'aigu et au chronique dans les traités,
puis en analysant le vocabulaire technique en usage. Pour nous en tenir à des
œuvres récentes, ouvrons par exemple le Manuel de psychiatrie de H. Ey, P. Ber
nard et Ch. Brisset г : sur les 680 pages, environ, qui décrivent les diverses espèces
de troubles mentaux, 114, nous semble-t-il, concernent les maladies aiguës,
alors que 566 se rapportent aux maladies chroniques, si bien que le rapport de
l'un à l'autre se situe entre 1 /5 et 1 /6. Si nous relisons la Psychiatrie clinique 2 de
P. Guiraud, nous retrouvons un phénomène semblable et la proportion des
pages dévolues aux maladies aiguës et aux maladies chroniques s'y avère de
l'ordre de 1 à 5. Si nous prenons un autre livre classique, mais étranger, Г Amer
ican handbook of psychiatry, dirigé par S. Arieti3, la proportion devient encore
plus significative, avec 74 pages décrivant la pathologie aiguë et 978, la patho
logie chronique : le rapport se situe entre 1/13 et 1/14. En étendant ce mode
d'appréciation, nous nous apercevons que les traités modernes réservent cinq à
dix fois plus de pages aux maladies chroniques qu'aux maladies aiguës, et que
la disproportion est plus discrète dans

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