La dictature du nom. Du patronyme au pseudonyme chez les marabouts africains de Paris - article ; n°141 ; vol.37, pg 101-117
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La dictature du nom. Du patronyme au pseudonyme chez les marabouts africains de Paris - article ; n°141 ; vol.37, pg 101-117

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Description

L'Homme - Année 1997 - Volume 37 - Numéro 141 - Pages 101-117
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1997
Nombre de lectures 42
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Liliane Kuczynski
La dictature du nom. Du patronyme au pseudonyme chez les
marabouts africains de Paris
In: L'Homme, 1997, tome 37 n°141. pp. 101-117.
Citer ce document / Cite this document :
Kuczynski Liliane. La dictature du nom. Du patronyme au pseudonyme chez les marabouts africains de Paris. In: L'Homme,
1997, tome 37 n°141. pp. 101-117.
doi : 10.3406/hom.1997.370204
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1997_num_37_141_3702044o i
Liliane Kuczynski
La dictature du nom
Du patronyme au pseudonyme
chez les marabouts africains de Paris
Liliane Kuczynski, La dictature du nom. Du patronyme au pseudonyme chez les marabouts
africains de Paris. — En Afrique de l'Ouest, tout individu est pris dans une série de repères
dont le prénom et le nom forment les indices majeurs. Fait pondéré, cependant, par une
grande flexibilité, le changement ou l'adoption de nom étant pratique courante. En outre,
dans l'Afrique des villages, l'identité s'inscrit dans un cadre communautaire. Si ces relations
commencent à se transformer dans les villes sénégambiennes, où chacun tente sa chance, à
Paris la modification est profonde. Là, le marabout échappe totalement au contrôle des siens.
Vis-à-vis du public parisien, il est anonyme. C'est cet anonymat qui, y compris par rapport à
son milieu d'origine vivant en France, lui permet d'agir et, sur d'autres critères, de se refaire
un nom : la renommée est ici à prendre dans son sens fort.
C'est à la suite d'une réflexion émanant du Laboratoire d'anthropologie
urbaine sur l'anonymat urbain et ses implications en diverses situations,
que la question s'est posée à propos des marabouts ouest-africains
vivant et exerçant leur art à Paris ; question qui, au premier abord, peut sembler
fort paradoxale. Car ici comme en Afrique, tant dans leurs pratiques divinat
oires, leur travail pour réduire l'infortune pesant sur leurs consultants que dans
leurs relations avec ceux-ci, l'invocation, l'identification, la reconnaissance ont
une place centrale. La recherche, essentielle, des causes de tel ou tel problème
(maladie, déboire amoureux ou professionnel) se concrétise par une désignat
ion, qu'elle soit générale (« c'est Allah », ou « un sorcier ») ou plus précise
(« c'est une femme grande, blonde », « c'est une Antillaise »). L'un des « maté
riaux » de base de l'action des marabouts est la connaissance du nom de la per
sonne objet de leur intervention1, bénéfique ou maléfique, et, pour une parfaite
identification, de celui de sa mère ; l'ignorance de ce dernier peut d'ailleurs,
pour certains, être contournée puisque tout être vivant étant nécessairement fils
1. Ü s'agit du nom désignant en propre la personne, qu'on peut assimiler au prénom dans le système
français, et non celui porté par sa famille ou son lignage.
L'Homme 141, janv.-mars 1997, pp. 101-117. 102 LILIANE KUCZYNSKI
ou fille d'Eve, le recours au nom de Hawa (Eve) pallie sans difficulté cette
méconnaissance. Le nom personnel est, en effet, tout comme l'empreinte des pas,
les cheveux, les fils du pagne que l'on porte, l'écriture manuscrite, un élément
constitutif de la personne. Et c'est notamment dans la manipulation des lettres de
ce nom2, dans son invocation un nombre variable de fois, de même que dans celle
des divers noms d'Allah, d'anges ou de génies que réside l'efficacité du mara
bout. Enfin la relation entre marabout et consultant est, de façon codée, inscrite
dans la reconnaissance de sorte que le consultant, même s'il émane d'une foule,
est comme « attendu » par le qui affirme toujours, manière de mettre en
valeur ses dons divinatoires, avoir su depuis longtemps qu'untel allait venir.
Mais c'est lorsqu'il s'agit des marabouts eux-mêmes, plus exactement de
leur émergence relativement récente3 dans le milieu parisien, que surgit l'ano
nymat. Car, sans pour autant faire des sociétés sénégambiennes — d'où sont
majoritairement issus les marabouts parisiens — des ensembles monolithiques
qu'aucune mutation n'a affectés, admettant uniformément les mêmes marques
et les mêmes valeurs, il semble évident que le changement radical de statut, le
brouillage, l'effacement des signes d'identité permettant de les reconnaître, sont
beaucoup plus accentués en France qu'en Afrique. D'où la nécessité d'en
reconstituer et d'en forger d'autres dans ce nouveau contexte. Pourtant cet eff
acement, ce brouillage qui sont une des facettes de l'anonymat, sont pour cer
tains un passage indispensable pour se créer un nom. C'est à la description de
ces métamorphoses et des jeux qu'elles autorisent, que cet article est consacré.
1. Effacement des signes d'identité
On ne peut réellement mesurer l'effacement des signes permettant d'identi
fier un marabout que par comparaison avec la situation africaine. À l'évidence,
un obscur de village ne bénéficie en rien de la même reconnaissance
que le responsable de la branche sénégalaise d'une importante confrérie à la dif
fusion et au renom internationaux ; en revanche, le premier sera beaucoup plus
facilement légitimé (ou désavoué) que celui qui, pratiquant son art en ville,
pourra ne pas être authentifié par des réseaux d' interconnaissance, plus lâches
en milieu urbain. Il n'empêche que certains traits, appartenant tant à la réalité
des faits observés qu'aux représentations, sont récurrents.
Les signes d'identité d'un marabout en Afrique de l'Ouest
Ils relèvent de divers registres parmi lesquels on distingue :
— ceux qui émanent de sa personne : le regard concentré, les yeux profonds (le
marabout travaille la nuit et c'est la qualité de son regard qui permet de déceler
s'il s'agit d'un marabout « courageux » ou d'un « fainéant »), le front brillant à
2. Selon des procédures complexes qu'on ne peut détailler ici.
3. Les premiers sont arrivés en France dans le début des années soixante. La dictature du nom 103
force de prier, la « lumière » du visage. Celle-ci, « plus forte que le soleil »,
comme le mentionne le panégyrique d'un marabout guiñeen venu conforter sa
réputation en France, constitue d'ailleurs un thème hagiographique fréquent. De
moindre importance pour signifier le rayonnement du personnage, on note la
posture, la démarche majestueuse ;
— l'âge : le marabout digne de ce nom est un homme mûr. Bien que de jeunes
disciples d'un maître puissent intervenir pour régler des problèmes jugés peu
importants, ou auprès des personnes appartenant à leur classe d'âge, et que tout
« petit » (sous-entendu marabout), par apprentissage ou par héritage familial,
connaisse quelque secret, certains travaux particulièrement difficiles, voire dan
gereux, ne peuvent être exécutés qu'à partir de l'âge, canonique dans de nomb
reuses pratiques ésotériques, de quarante ans. Le marabout, comme chacun qui
s'approche de la sagesse, gagne donc en respectabilité qui croît avec l'âge ;
— certains attributs : outre le vêtement, un grand boubou en basin (pas néces
sairement blanc), éventuellement la calotte blanche crochetée propre à tout
musulman, protégeant parfois une tête rasée4 ; des objets : des livres religieux
(Koran, hadith), des recueils, le plus souvent manuscrits et très secrets, defa'ida 5,
des chapelets, des ardoises de bois ; celles-ci, sur lesquelles le marabout inscrit
fragments koraniques, noms de Dieu, chiffres ésotériques nécessaires au travail,
sont souvent héritées à l'intérieur du lignage maraboutique ;
— une attitude humble et modeste ; le vrai marabout n'affiche ni son savoir ni
son pouvoir, il dit simplement « essayer d'aider les gens » ; cette façon de ne
pas se dévoiler, de rester dans l'ombre, cet effacement hérités du soufisme6 sont
une condition nécessaire à la réputation qu'acquiert un marabout ; cette
conduite de retrait se manifeste aussi par un grand « calme », une façon de fuir
les contacts publics trop fréquents, d'éviter une parole trop volubile ;
— les actions extraordinaires ou miraculeuses dont ils seraient les auteurs
entretiennent traditionnellement le renom du personnage ; ces

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