La Forge de l intelligence - article ; n°2 ; vol.10, pg 5-21
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Description

L'Homme - Année 1970 - Volume 10 - Numéro 2 - Pages 5-21
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1970
Nombre de lectures 6
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Pierre Smith
La Forge de l'intelligence
In: L'Homme, 1970, tome 10 n°2. pp. 5-21.
Citer ce document / Cite this document :
Smith Pierre. La Forge de l'intelligence. In: L'Homme, 1970, tome 10 n°2. pp. 5-21.
doi : 10.3406/hom.1970.367123
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1970_num_10_2_367123FORGE DE L'INTELLIGENCE LA
pay
PIERRE SMITH
II y avait à la cour du Rwanda traditionnel une corporation de spécialistes
des généalogies qu'on appelait les abacurabwenge, c'est-à-dire « ceux qui forgent
l'intelligence » ; ils étaient avant tout les détenteurs officiels de la généalogie
dynastique qui se présentait sous la forme, transmise oralement, d'un texte figé
qu'on récitait comme un poème et qu'on appelait ubucurabwenge, c'est-à-dire
« la forge de l'intelligence » en entendant « forge » ici comme une action plutôt
que comme un lieu. Cette généalogie était, comme le dit J. Vansina, le Gotha
de la noblesse tutsi et cela pourrait suffire à justifier le nom impressionnant que
lui donnaient les Rwanda, tant il est vrai que, dans une civilisation sans écriture
où les traditions historiques ont revêtu une telle importance, la généalogie des
rois peut être considérée comme l'armature de la mémoire. Je voudrais cependant
montrer ici que certains aspects symboliques et idéologiques de ce texte expliquent
mieux encore son titre1.
U ubucurabwenge a été publié dans un livre écrit en kinyarwanda2 et analysé
ou critiqué du point de vue historique par des chercheurs comme Vansina et
Kagame. Il se présente sous la forme d'une suite de strophes qui sont chacune
consacrées à un souverain, en commençant par le plus récent et en remontant
jusqu'aux origines ; chaque strophe contient le nom de règne et le nom personnel
du souverain, de même que ceux de sa mère qui régnait conjointement avec
lui, la généalogie et le nom du clan de la reine-mère, enfin la généalogie et le nom
du clan de la mère de la reine-mère ; chaque strophe se termine sur le même
1. Bien que la présente étude se réfère surtout à des sources publiées, elle n'aurait pas
vu le jour sans la mission que j'ai pu effectuer au Rwanda en 1967 grâce aux moyens mis
à ma disposition et à l'hospitalité offerte par l'Institut national de la Recherche scientifique
du Rwanda (INRS, Butare).
2. A. Kagame, Inganji Karinga I, Kabgayi, 2e éd., 1959 : 92-99. PIERRE SMITH 6
Souverains Reines-mères Chronologie
Nom de règne Nom personnel Clan Clan de sa mère (Kagame) (Vansina)
Rudahigwa Ega Shambo Mutara I93I-I959 I93I-I959
Yuhi Musinga Ega Nyiginya 1896-1931 1896-1831
1895-1896 1895-1896 (Mibambwe) (Rutarindwa) (Ega)
Kigeri Rwabugiri Kono Shambo XIXe S. XIXe S. Ega Nyiginya Mutara Rwogera
Gahindiro Ega Gesera Yuhi
XVIIIe S. Mibambwe Sentabyo Ega Nyiginya
Ndabarasa Gesera Hondogo Kigeri
XVIIIe S. Cyirima Rujugira Ega Banda
(Karemera) (Rwaka) (Nyiginya) XVIIe S.
Yuhi Mazimpaka Kono Nyiginya
Mibambwe Gisanura Ha
Nyamuheshera Ega Nyiginya Kigeri
XVIe S. XVIIe S. Mutara Semugeshi Ega
Nyiginya Ruganzu Ndori Kono
Cyamatare Ega Ndahiro
XVe S. Ongera Yuhi Gahima Ha
XVIe S. Mutabazi Ega Hondogo Mibambwe
Kigeri Mukobanya Kono
XIVe S. Nyiginya Cyirima Rugwe Ega
Ruganzu Bwimba Singa Shambo
XVe S. Samukondo Singa Ega Nsoro XIIIe S. Samembe Ha
Ndoba Ega
Ndahiro Ruyange Singa XIVe S.
Rubanda XIIe S. Rukuge Singa Mythiques Nyarume
Rumeza Singa
XIe S. Yuhi Musindi
Kanyarwanda Gahima Singa
Xe S. Gihanga Zigaba
Kazi Mythiques
Kizira
Gisa
Randa
Merano
Kobo
Kijuru
Kimanuka
Muntu
Kigwa
Nkuba, c'est lui Shyerezo LA FORGE DE L INTELLIGENCE 7
refrain : « C'est ainsi que les [...] [nom du clan de la reine-mère] engendrent les
rois avec les Nyiginya [clan dynastique]. » Pour les rois les plus anciens, les rense
ignements sont moins nombreux et les deux dernières strophes, sur lesquelles
nous reviendrons, ne sont pas construites comme les autres.
Dans le tableau (p. 6) sont résumés certains des renseignements fournis
par l'ubucurabwenge ainsi que les essais de chronologie tentés par A. Kagame et
J. Vansina1.
Tous les souverains sont censés s'être succédé de père en fils depuis l'origine :
c'était la seule voie légitime. Les deux exceptions connues à cette règle sont
signalées dans le tableau par des parenthèses ; en effet, les noms de ces souverains
ne figurent pas dans l'ubucurabwenge car tous deux furent déposés, remplacés
par un demi-frère, et donc reconnus a posteriori comme illégitimes. Compte tenu
de cette règle, on voit que donne les généalogies et l'appartenance
clanique des quatre grands-parents de chaque souverain : celle du père du père
est la liste même des rois, celles du père de la mère et de la mère de la mère sont
données dans la strophe consacrée au roi en question, et pour celle de la mère
du père il suffit de se reporter à la strophe consacrée au roi précédent. Ces indi
cations sont à mettre en rapport avec l'idée que le partage du pouvoir fait l'objet
d'une compétition ; en effet, le clan de la reine-mère est censé régner conjointement,
à travers elle, avec le clan dynastique des Nyiginya. Ainsi, à la mort d'un roi,
chacun des lignages dans lesquels celui-ci avait choisi une épouse qui lui avait
donné ensuite un fils, pouvait théoriquement prétendre accéder au pouvoir si
son propre candidat Nyiginya était retenu. Aussi les ritualistes de la cour s'effor
çaient-ils de réglementer sévèrement la succession en écartant absolument de
la fonction matri-dynastique un certain nombre de clans et en faisant alterner
les autres au pouvoir. De ce point de vue les principaux clans du Rwanda, qui
étaient des entités assez artificielles et peu opérantes regroupant chacune à travers
tout le pays des dizaines de milliers de membres relevant des trois castes endo-
games (éleveurs tutsi, agriculteurs hutu et chasseurs twa), se répartissaient en
trois groupes représentés en fait par quelques lignages nobles de Tutsi qui avaient
un accès direct au pouvoir politique ou religieux :
a) d'abord le groupe des clans dynastiques qui font remonter leur origine
commune à Gihanga ; à côté des Nyiginya qui régnaient sur le Rwanda, on trouve
dans ce groupe les Shambo et les Hondogo, qui respectivement sur le
Ndorwa et le Bugesera avant que ces royaumes fussent conquis et assimilés par
le Rwanda ; ces clans ne pouvaient en aucun cas fournir les reines-mères ;
b) ensuite le groupe des trois clans qui font remonter leur origine commune
i. A. Kagame, La Notion de génération appliquée à la généalogie dynastique et à l'histoire
du Rwanda, Bruxelles, 1959 : 87 ; J. Vansina, L' Évolution du royaume Rwanda des origines
à igoo, Bruxelles, 1962 : 25. 8 PIERRE SMITH
à Mututsi, ancêtre éponyme de la caste Tutsi et frère de Kigwa, le premier ancêtre
terrestre de la dynastie, avec qui il serait descendu du ciel sur la terre : ce sont
les Ega, les Ha et les Kono qui tous trois ont pour totem le crapaud ; c'est entre
eux que se jouait la compétition pour le partage du pouvoir avec les Nyiginya ;
c) enfin les clans qui font remonter leur origine au-delà de Kigwa ; ce sont
les abasangwabutaka, c'est-à-dire « ceux qui ont été trouvés sur la terre » (s.-e. par
Kigwa et Mututsi), clans autochtones représentant dans les mythes les agriculteurs
hutu qui occupaient déjà le Rwanda avant l'arrivée des éleveurs tutsi1. Les
principaux de ces clans sont les Zigaba et les Singa qui, après avoir fourni les
premières reines-mères, et leurs dynasties s'étant écroulées, furent définitivement
écartés du partage du pouvoir à l'aube des temps historiques ; ces clans ont
cependant conservé certaines prérogatives rituelles liées à leur autochtonie,
notamment en ce qui concerne l'installation des nouvelles résidences.
Il est remarquable que parmi les abiru, les grands dignitaires détenteurs du
secret des rituels royaux, les trois principaux portaient le titre de roi rituel,
avaient une capitale officielle et possédaient un tambour dynastique2 ; or ces
trois charges se rattachent respectivement à chacun des trois groupes de clans
considérés : la première revient au lignage Tsobe qui est en dehors du système
clanique mais

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