La lecture-en-action : entre le présupposé d'un monde objectif et son accomplissement situé - article ; n°1 ; vol.89, pg 95-121

Michel Barthélémy

Description

Langage et société - Année 1999 - Volume 89 - Numéro 1 - Pages 95-121
BARTHÉLÉMY Michel - Public Space and Humanitarian Aid.
This paper examines a text produced by an NGO, to see how it proceeds in order to resolve the uncertainty surrounding the identity of a population as victims - Rwanda refugees in Zaire, as it happens. It is not these people's situation that is equivocal but the fact that certain member States of International Organizations in charge of refugee aid decide not to help them, at the cost of keeping the real situation from international public opinion. Through this case study, the aim is to show the pertinence for textual analysis of centering one's approach on the description of reading procedures, considered to be a course of observable actions rather than a set of cognitive operations. The analysis seeks to sound the process of how meaning is built into a text, as well as how the reality described by the text is a social construct.
Le présent article examine la manière dont procède le texte d'une ONG en vue de lever l'équivoque qui plane sur l'identité de victimes d'une population - les Rwandais réfugiés au Zaïre. Pour ce faire, l'équivoque est attribuée, non pas à la situation de ces personnes, mais à la volonté de certains Etats-membres des institutions internationales chargées de l'aide aux réfugiés de ne pas leur porter secours, au prix d'une dissimulation de la situation effective à l'opinion publique internationale. A travers ce cas, l'objectif est de montrer l'intérêt d'une approche centrée sur la description des opérations de lecture, saisies comme un cours d'action observable et non comme un ensemble d'opérations cognitives. L'analyse vise à accéder au processus de construction de la signification du texte et, tout à la fois, de construction sociale de la réalité configurée par le texte.
27 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: LANGAGE_ET_SOCIETE
• Publié le: 01 janvier 1999
• Nombre de lectures: 31
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Michel Barthélémy
La lecture-en-action : entre le présupposé d'un monde objectif et
son accomplissement situé
In: Langage et société, n°89, 1999. Ethnométhodologie et analyse conversationnelle. pp. 95-121.
Abstract
BARTHÉLÉMY Michel - Public Space and Humanitarian Aid.
This paper examines a text produced by an NGO, to see how it proceeds in order to resolve the uncertainty surrounding the
identity of a population as victims - Rwanda refugees in Zaire, as it happens. It is not these people's situation that is equivocal but
the fact that certain member States of International Organizations in charge of refugee aid decide not to help them, at the cost of
keeping the real situation from international public opinion. Through this case study, the aim is to show the pertinence for textual
analysis of centering one's approach on the description of reading procedures, considered to be a course of observable actions
rather than a set of cognitive operations. The analysis seeks to sound the process of how meaning is built into a text, as well as
how the reality described by the text is a social construct.
Résumé
Le présent article examine la manière dont procède le texte d'une ONG en vue de lever l'équivoque qui plane sur l'identité de
victimes d'une population - les Rwandais réfugiés au Zaïre. Pour ce faire, l'équivoque est attribuée, non pas à la situation de ces
personnes, mais à la volonté de certains Etats-membres des institutions internationales chargées de l'aide aux réfugiés de ne
pas leur porter secours, au prix d'une dissimulation de la situation effective à l'opinion publique internationale. A travers ce cas,
l'objectif est de montrer l'intérêt d'une approche centrée sur la description des opérations de lecture, saisies comme un "cours
d'action observable" et non comme un ensemble d'opérations cognitives. L'analyse vise à accéder au processus de construction
de la signification du texte et, tout à la fois, de construction sociale de la réalité configurée par le texte.
Citer ce document / Cite this document :
Barthélémy Michel. La lecture-en-action : entre le présupposé d'un monde objectif et son accomplissement situé. In: Langage et
société, n°89, 1999. Ethnométhodologie et analyse conversationnelle. pp. 95-121.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lsoc_0181-4095_1999_num_89_1_2885lecture-en-action : La
entre le présupposé d'un monde objectif
et son accomplissement situé*
Michel Barthélémy
Centre d'Etudes des Mouvements Sociaux
EHESS/CNRS, Paris
La possibilité de se référer à un monde objectif est au cœur de la
praxis sociale, à la fois comme prémisse et comme accomplisse
ment (Jayyusi, 1991). C'est aussi un enjeu pour tous ceux qui, à tra
vers l'exercice de la parole publique, cherchent à obtenir l'adhé
sion de ceux auxquels ils s'adressent sur la version des faits qu'ils
présentent comme conforme à la réalité de la situation décrite.
L'enjeu est d'autant plus sensible lorsque la version présentée
s'oppose explicitement à une version concurrente. Un tel cas de
figure, où se trouvent confrontées deux perspectives distinctes
pour une seule réalité possible, n'est pas exceptionnel dans le
monde de la vie quotidienne. D'un point de vue analytique, il pré
sente l'intérêt de permettre l'examen de la manière dont est consti
tuée et préservée l'assomption d'un monde objectif sous les modalit
és, toujours locales et occasionnées, de sa constitution intersubj
ective (Pollner, 1991), placée sous l'égide du raisonnement pra
tique et des savoirs ordinaires des membres de la société.
Le présent texte est issu d'une réflexion présentée dans le cadre du groupe de travail
informel dont l'auteur remerde les participants pour leur percutante et pertinente
contribution : Bruno Bonu, Lorenza Mondada et Marc Relieu.
© Langage et société n° 89 - septembre 1999 96 BARTHÉLÉMY MICHEL
L'analyse proposée s'attache à la description minutieuse d'une
activité anodine qu'est la lecture d'un texte particulier. Les étapes
de l'analyse suivent celles du développement thématique ordonné
par le texte dans le respect de son agencement séquentiel. Dans
cette perspective, l'analyse est principalement concernée par la
description des méthodes d'assemblage de sens qui constituent le
parcours de lecture et dont le texte fournit à la fois le cadre et les
ressources. L'examen des méthodes et procédures de sens commun
mises en œuvre dans la lecture d'un texte informationnel éclaire la
façon dont, dans l'attitude de la pensée courante, le monde social
apparaît observable, descriptible, intelligible, ordonné par la
médiation de textes qui instituent un rapport intersubjectif au
monde et non un pur rapport idiosyncrasique au texte (Smith,
1990).
La "lecture-en-action" désigne ainsi le processus, co-généré par
l'ensemble occasionné formé par les opérations de lecture et le dis
positif textuel, d'où émerge la signification du texte, sous un point
de vue anonyme, censé être le même pour qui sait lire.
Notre corpus est constitué d'un editorial d'Action Contre la Faim
consacré à l'action internationale en faveur des réfugiés rwandais
au Zaïre et à ses graves insuffisances. On examinera la manière
dont le texte décrit la position et l'action des grandes puissances
comme incorrectes et présente sa propre vision de la situation sans alternative sérieuse. Le texte apparaît alors comme le
foyer d'où se révèle le point de vue approprié à une appréhension
correcte du problème, en toute objectivité. Je montrerai, dans un
premier temps, comment le texte décrit sous un jour critique la
situation comme étant constituée par l'entremêlement de deux
problèmes apparemment inextricables; comment, dans un second
temps, il se donne le moyen de dénouer cette situation. Enfin, dans
une troisième étape, je montrerai comment le texte rend sa version
incontestable, d'une part, en désamorçant l'éventualité d'une
réplique des agents incriminés, d'autre part, en mobilisant autour
de sa vision des faits les ressources et les méthodes de résolution
pratique des divergences d'interprétation qui s'ordonnent autour
de la référence au présupposé d'un monde commun. LECTURE-EN-ACTION 97 LA
LÉDITORIAL D'ACF
Nous reproduisons intégralement l'éditorial de la revue Interventions
n° 46, 1er trimestre 1997, d'Action Contre la Faim :
Y aurait-il deux catégories d'êtres humains?
Y aurait-il deux catégories d'êtres humains ? Deux catégories de réfugiés ? Ceux
qui, partout dans le monde peuvent aspirer à bénéficier de la protection des convent
ions humanitaires, des règles du droit international et les autres, les Hutus réfu
giés au Zaïre ?
Les grandes puissances ont-elles implicitement décidé qu'il existe un peuple co
llectivement responsable d'un génocide, et donc passible d'un châtiment collectif
dans le silence de la forêt zaïroise ?
Faute d'avoir donné à temps l'impulsion et les moyens au Tribunal Pénal
International, afin qu'il puisse effectivement arrêter et juger les responsables de
l'immonde tuerie qui a provoqué au Rwanda en 1994, la mort de plus de 500000
Tutsis et Hutus modérés, a-t-on choisi de régler le problème en laissant les géno-
cidaires mais aussi tous les autres, mourir de faim et de maladie au fond d'une
forêt inaccessible?
Les grandes puissances ont tout d'abord tenté de nier l'existence de centaines
de milliers d'hommes, femmes et enfants, restés au Zaïre en novembre 19% lors
du retour massif des Rwandais dans leur pays, ce qui permettait, par la même
occasion, de juger soudainement « sans objet » toute opération multinationale
sur le terrain.
Mais elles ont dû se rendre à l'évidence : tous les Rwandais n'étaient pas ren
trés dans leur pays; 2 à 300 000 d'entre eux s'enfonçaient dans la forêt. Ceux-là
ont marché, pendant des semaines, sans secours, en parcourant près de 700 km à
pied.
Depuis de nombreuses semaines, une équipe d'Action contre la Faim est sur
place pour leur porter