La veuve dans les sociétés turques et mongoles de l Asie centrale - article ; n°4 ; vol.9, pg 51-78
29 pages
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La veuve dans les sociétés turques et mongoles de l'Asie centrale - article ; n°4 ; vol.9, pg 51-78

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Description

L'Homme - Année 1969 - Volume 9 - Numéro 4 - Pages 51-78
28 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1969
Nombre de lectures 20
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Jean-Paul Roux
La veuve dans les sociétés turques et mongoles de l'Asie
centrale
In: L'Homme, 1969, tome 9 n°4. pp. 51-78.
Citer ce document / Cite this document :
Roux Jean-Paul. La veuve dans les sociétés turques et mongoles de l'Asie centrale. In: L'Homme, 1969, tome 9 n°4. pp. 51-78.
doi : 10.3406/hom.1969.367076
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1969_num_9_4_367076Su.
LA VEUVE
DANS LES SOCIÉTÉS TURQUES ET MONGOLES
DE L'ASIE CENTRALE
par
JEAN-PAUL ROUX
La lecture superficielle des informations relatives aux peuples de l'Asie cen
trale, qui furent recueillies au cours des siècles tant par les Chinois que par les
Occidentaux, nous donne l'impression que les relations matrimoniales n'y furent
pas codifiées, ou le furent mal. Ce n'est qu'indignation, que condamnation sévère
des habitudes des Barbares, que dénonciation de la licence, des mauvaises mœurs,
de la négligence avec laquelle ils observent, avant de contracter union, les degrés
de parenté, qu'étonnement scandalisé, ou amusé, devant les facilités accordées
à tous pour s'accoupler1. Il est certain que les auteurs de tels jugements, insérés
dans des cadres sociaux bien structurés, étaient incapables de concevoir d'autres
formes de civilisation que les leurs. Néanmoins l'impression reçue reste celle d'une
certaine laxité.
Nous pouvons l'expliquer par la relative carence des sources, par la multip
licité des familles étudiées (dont beaucoup ne sont pas altaïques), par le manque
d'homogénéité des coutumes matrimoniales à l'intérieur même du groupe altaïque,
c'est-à-dire turco-mongol, dont les diverses formations ethniques ou linguistiques
eurent, pendant deux millénaires, un champ d'expansion immense s'étendant de
la Russie du sud aux rives des mers d'Okhotsk et du Japon. Des structures aussi
fondamentales que celles de l'exogamie ou de l'endogamie coexistèrent et se
partagèrent l'adhésion des masses2. A l'intérieur de chacun de ces deux systèmes
1. Indignation exprimée dans les Annales chinoises [cf. infra, p. 54). Aussi chez les
Occidentaux : cf. Ibn Fadlân, M. Canard, « La relation du voyage d'Ibn Fadlân chez
les Bulgares de la Volga », Annales del' Institut d'Études orientales, Alger, 1958, XVI : 108-109 ;
et Z. V. Togan, Ibn Fadlân' s Reisebericht, Leipzig, 1939 ; Maqdisî, Le Livre de la Création et
de l'histoire, trad. C. Huart, Paris, 1899-1919, 6 vol ; IV : 92. Cependant quelques avis contrair
es, par exemple Michel le Syrien : « Ils sont modérés dans leur commerce avec les femmes »
(« Chronique », Recueil des historiens des Croisades, Documents arméniens, I : 312).
2. L'exogamie a été mise en relief par A. Inan, « Tiïrk diïgùnlerinde Exogami Izleri »,
Turk Dili ve Tarih hakkïnda ara§tïrmalarï, Ankara, 1950, I : 105-115. 52 JEAN-PAUL ROUX
— endogame et exogame — les prescriptions réglant la vie sexuelle1 connurent
de nombreuses variantes.
Bien que cela soit conforme à tout ce que nous apprend l'ethnographie des
primitifs ou des pasteurs nomades, il n'en est pas moins intéressant de constater
qu'une lecture plus attentive révèle un tableau somme toute relativement cohé
rent des liens matrimoniaux entre différentes cellules, et des interdits qui limi
taient le choix des partenaires sexuels ou le contenaient dans des barrières solides.
Loin de se dérouler dans l'anarchie, les unions étaient réglées par des lois coutu-
mières ou écrites, exigeaient l'accomplissement de rites et le déroulement précis
de cérémonies souvent fastueuses. Qui plus est, ces lois, ces rites et ces cérémonies
présentent fréquemment de grandes similitudes, et sont parfois rigoureusement
identiques en dépit des siècles ou des milliers de kilomètres qui séparent leurs
acteurs. Ainsi, à la quasi-unanimité, les informateurs remarquent-ils la prohibition
de la pédérastie2, ou celle de l'adultère (nous aurons à revenir sur cette dernière).
Il est vrai que nous y voyons moins clair en ce qui concerne l'inceste. Dans la
mesure où il peut être considéré comme une hypertrophie de l'endogamie, il se
devait d'être proscrit par les tribus exogames. Mais même chez celles qui prati
quaient l'endogamie, était-il accepté ou refusé ? C'est certainement le point sur
lequel nos documents nous donnent le moins de certitudes. Le rapport de Jean
de Plan de Carpin peut nous indiquer l'angle sous lequel il faut aborder le problème :
« Pour les épouses, chacun en a autant qu'il peut en entretenir,
tel cent, tel cinquante, tel dix, l'un davantage et l'autre moins. En géné
ral ils se marient avec toutes leurs parentes sauf leur mère, leur fille
ou leur sœur utérine. Mais ils peuvent épouser des sœurs nées seulement
du même père. »3
Parlerons-nous alors d'un inceste limité ? Peut-être, mais où tracer la limite ?
La question n'est pas encore résolue. Le dominicain Jean de Luca croit que les
Tatars Nogaïs peuvent épouser n'importe quelle femme, sauf leurs sœurs et leurs
tantes4. Les relations sexuelles entre père et fille seraient donc permises. C'est ce
qu'affirme un autre observateur moderne, à peu près contemporain de Luca, à
propos des Kalmuk : « Chez eux, il est assez ordinaire qu'un père épouse sa propre
fille. »5 Du moins sont-elles toujours, d'un aveu unanime, rigoureusement inter
dites entre la mère et le fils.
1. On peut consulter D. F. Aberle, The Kinship Systems of the Kalmuk Mongols, Albu
querque, 1953 ; K. Gronbech, « The Turkish System of Kinship », Studia Orientalia, 1953 :
124-129.
2. Ibn Fadlân, dans Togan, op. cit. : 25. Cf. aussi Canard, op. cit. : 73. Et, citant Maqrîzî,
le même.
3. Jean Plan de Carpin, Histoire des Mongols, trad, et annoté par L. Hambis et Dora
Jean Becquet, Paris, 1965 : 32.
4. Jean de Luca, in Recueil de voyages au Nord, Amsterdam, 1715-1738, 10 vol. ; VII : 105.
5. Ibid., X : 28. LA VEUVE EN ASIE CENTRALE 53
La question que nous nous proposons d'étudier ici est, malgré quelques obscur
ités, une des mieux éclairées de l'histoire sociale des peuples turcs et mongols.
Nombreux sont en effet les observateurs qui en ont parlé.
La veuve occupe une place particulière dans la société : son existence ne paraît
plus avoir de raison d'être, sa survie choque en contrastant avec la mort de son
époux, elle est la ruine visible de la cellule sociale à laquelle elle appartenait et
qui a été détruite, elle risque d'être contaminée par le défunt — « Nul Tartare
ne toucherait mie chose d'homme décédé »x : cette formule de Marco Polo est
répétée inlassablement2 — , elle ne peut enfin avoir rompu tout lien avec son
époux, mais si elle appartient ainsi au passé, elle est également, en tant que mère
de l'héritier, engagée dans l'avenir.
Son sort, dans ces sociétés altaïques comme dans toutes les autres sociétés, est
réglé en fonction d'un certain nombre de représentations. Il dépend de la philo
sophie du mariage, des relations qui se sont établies entre époux, des croyances
relatives à la survie et des prescriptions successorales. Considérant d'abord ces
divers points, nous leur accorderons une place plus ou moins grande selon les
informations disponibles et les problèmes qu'ils soulèvent.
I. — Le mariage
Les sociétés turco-mongoles sont fondées sur le patriarcat et la polygamie.
L'homme a le droit de choisir un nombre illimité de compagnes. Nous avons déjà
vu que Plan de Carpin parlait d'individus possédant cinquante ou cent femmes,
voire plus encore. Son information se trouve bien souvent confirmée.
Il existe une différence certaine entre les concubines et la ou les femmes princi
pales, entre les concubines et la ou les favorites, bien que les enfants nés des unes et
des autres jouissent généralement des mêmes droits3. Dans la classe dirigeante
au moins, il semble qu'une femme, épouse légitime, prenne le pas sur les autres.
Ainsi à côté de l'empereur, le qaghan, on mentionne une impératrice, la katun.
Cette souveraine jouit d'un statut sans doute privilégié et de prérogatives par-
1. Marco Polo, La Description du Monde, introduction et notes par L. Hambis, Paris,

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