PRÉFACE. CHAPITRE I. — Critique des récits sur la vie de Jésus. CHAPITRE II. — La Résurrection. - Paul. CHAPITRE III. — Les trois premiers Évangiles ...
LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES
Ernest HAVET
Paris – 1884
TOME TROISIÈME LE NOUVEAU TESTAMENT PRÉFACE
CHAPITRE I. — Critique des récits sur la vie de Jésus
CHAPITRE II. — La Résurrection. - Paul
CHAPITRE III. — Les trois premiers Évangiles
CHAPITRE IV. — Le livre des Actes V. — L’Apocalypse
CHAPITRE VI. — Le quatrième Évangile
CHAPITRE VII. — Les Épîtres apocryphes
CHAPITRE VIII. — La Propagation du christianisme
NOTE PRÉFACE
Ce quatrième volume, sur le Nouveau Testament, forme la troisième et dernière
partie de mon ouvrage. La première, l’Hellénisme, remplit les tomes I et II, et la
seconde, le Judaïsme, le tome III. Jusqu’ici, quoique j’eusse pris le même titre
général que M. Renan, je n’avais pas encore traité le même sujet, parce que
cette expression, les Origines du Christianisme, signifie chez M. Renan ses
commencements, et chez moi ses antécédents, helléniques ou judaïques. Cette
fois, arrivant au christianisme lui-même, je me trouve sur le même terrain. On
ne me soupçonnera pas d’avoir eu la prétention de refaire le grand monument
qu’il a élevé. Ce monument est une Histoire, avec tout ce que l’histoire comporte
de larges développements et de riches tableaux ; l’histoire est résurrection ;
l’historien s’applique à faire que nous revivions le passé. Mon volume n’est qu’un
travail de critique, une suite d’éclaircissements sur des questions que l’histoire
suggère, un supplément d’étude à l’usage des travailleurs.
Les trois premiers chapitres ont paru déjà : le premier dans la Revue des Deux
Mondes (1er avril 1881) ; les deux autres dans la Nouvelle Revue (1er décembre
1881, etc., et 15 juillet 1882). Le premier, qui touchait à la personne même de
Jésus, a excité naturellement plus d’attention et d’opposition. M. l’abbé Augustin
Lémann l’a combattu dans un écrit intitulé : le Christ rejeté (Paris, Lecoffre, 1881).
M. l’abbé Chapon y a répondu à son tour par deux articles très étendus dans le
Correspondant (25 juillet et 10 août 1881). Enfin, Mgr l’évêque d’Autun (Adolphe
Perraud, aujourd’hui de l’Académie française) a adressé à M. l’abbé Lémann une
lettre de quelques pages, où, sans daigner s’arrêter aux discussions de détail, il
oppose en général à toutes les objections le miracle de l’établissement et de la
grandeur du christianisme. Il signale aussi et il loue dans une note finale le
travail de M. l’abbé Chapon, qui n’avait paru que depuis que son écrit était
achevé1.
Je voudrais revenir un moment sur mon troisième tome. Il comprenait deux
parties, non pas séparées, mais distinctes. Dans l’une, je développais l’esprit du
judaïsme et celui de la Bible, et, de ce côté, je n’ai guère trouvé d’adversaires
que chez les purs orthodoxes. Dans l’autre, je présentais des vues nouvelles sur
la chronologie des différents livres de la Bible, et celle-là n’a eu au contraire
personne pour elle. Presque tous les critiques l’ont condamnée, et les seuls qui
l’aient ménagée sont ceux qui n’en ont rien dit. Ceux qui en ont parlé l’ont traitée
en général comme une fantaisie, qui ne pouvait être prise au sérieux.
Voici comment M. Scherer, dans un article d’ailleurs très honorable pour moi,
s’est exprimé sur ce point2 : Cette partie de l’ouvrage traite d’un sujet étranger
aux études habituelles de l’écrivain, et pour lequel, dans tous les cas, ainsi qu’il
le reconnaît avec ingénuité, il lui manquait les conditions d’une parfaite
1 La critique intransigeante et les services qu’elle rend à la science apologétique, lettre à M. l’abbé
Augustin Lémann, Autun, 1881 (et Paris, librairie Gervais). Dans cet écrit, M. Perraud me fait
l’honneur de m’adresser un argument ad hominem que voici : Telles sont, mon cher abbé, les
réflexions que m’a suggérées votre réponse au triste travail de M. Havet ;... triste et très triste,
parce qu’il est l’œuvre d’un vieillard, et comme le dernier mot d’une vie qui sera bientôt mise en
face de la pleine et inexorable lumière de l’éternité. Je n’avais pas besoin de cet avertissement ; je
me rends parfaitement compte de mon âge et de ce qu’il m’annonce ; mais je ne vois pas de raison
de m’effrayer pour cela plus que Mgr l’évêque d’Autun ne s’effrayera lui-même, je l’espère, quand il
sera vieux à son tour.
2 Le Temps, numéro du 2 décembre 1819. compétence. M. Havet, ne sachant ni l’hébreu ni l’allemand, ne pouvait ni étudier
l’Ancien Testament dans le texte original, ni consulter les écrits si nombreux et si
importants qui ont éclairci l’histoire et la littérature religieuses des Israélites.
Ainsi borné dans ses moyens d’investigation, M. Havet a hasardé, sur la date de
l’origine des livres sacrés des Juifs ; des opinions qui témoignent assurément
d’une certaine force critique, mais en même temps d’une singulière inexpérience
des problèmes auxquels il s’attaquait, etc.
Je n’ai pas la prétention de ramener M. Scherer à mon avis, et je ne relèverai
dans ce passage que les seules paroles que j’ai soulignées, et où j’ose assurer
qu’il s’est trompé. Je n’ai pas reconnu que je manquais de compétence. Je
respecte trop mes lecteurs pour penser à leur enseigner des choses sur
lesquelles je ne me croirais pas compétent. J’ai reconnu que je manquais
d’autorité, ce qui n’est pas la môme chose. L’autorité, c’est la compétence
incontestée. Je comprends parfaitement, que l’on puisse contester la mienne ;
mais elle existe à mes yeux, parce que je crois avoir pris toutes les précautions
et, fait toutes les recherches nécessaires pour ne rien avancer qu’en
connaissance de cause. Enfin,
Populus me sibilat, at mihi plaudo
Ipse domi1.
Et pour m’ôter ma confiance dans mes conclusions, il ne suffit pas de constater
que je ne sais pas l’hébreu ou l’allemand ; il faudrait montrer que, par ignorance
de l’un ou de l’autre, j’ai commis telle erreur ou méconnu telle vérité. Je ne crois
pas que cette démonstration ait été faite.
le suis étonné d’ailleurs de l’étonnement qu’on a témoigné à ce sujet ; car la
critique était allée déjà si avant dans cette voie, qu’il n’était pas bien hardi de
faire un pas de plus. Il y a eu un temps où on attribuait les psaumes à David,
c’est-à-dire qu’on les faisait remonter jusqu’à mille ans avant notre ère.
Aujourd’hui, M. Edouard Reuss exprime la pensée de tous les critiques, quand il
écrit : On est involontairement appelé à penser qu’un bon nombre de nos
psaumes datent de l’époque de la domination macédonienne, des guerres des
Ptolémées et des Séleucides, qui se disputaient la possession de la Palestine, des
persécutions d’Antiochus Épiphane et du soulèvement patriotique des
Macchabées. Le commentaire justifiera cette hypothèse là où elle nous semble
indispensable. Nous ne prétendons pas démontrer qu’elle s’applique à tous les
psaumes ;... mais nous pensons qu’il n’y en a pas beaucoup qui la contrediront
directement2.
Il s’accorde également avec la plupart des critiques quand il rapporte à la môme
époque ce livre de Daniel, qu’on plaçait autrefois au temps de Cyrus3.
Eh bien, je pense que la prétendue antiquité des prophètes, qu’on place aux
VIIIe VIIe et VIe siècles, est une pure illusion, comme l’était l’antiquité des
psaumes. Je crois que les livres prophétiques ont été inspirés, non par la
destruction de Samarie ou par celle de Jérusalem, sous les Assyriens ou les
Chaldéens, mais par les luttes des Juifs contre les rois de Syrie au second siècle
avant notre ère, et par leur affranchissement glorieux sous leurs grands prêtres
1 HORACE, Satires, I, I, 66.
2 La Bible, traduction nouvelle..., par Édouard Reuss. Le Psautier, etc. 1875, page 58.
3 La Bible, traduction nouvelle..., par Édouard Reuss. Littérature critique et polémique, Ruth,
Macchabées, Daniel, etc. 1879, page 227. Simon et Hyrcan. Je ne le crois pas seulement ; je me suis appliqué à le prouver.
Les arguments que j’ai tirés, soit du caractère général des temps représentés
dans ces livres, soit de certains détails particuliers, remplissent une trentaine de
pages de mon tome III. On n’a pas daigné les examiner : je d’en suis pas moins
persuadé qu’ils doivent frapper quiconque prendra la peine de les suivre, en se
reportant au contexte des prophètes.
Quand on est entré une fois dans ces idées, on s’aperçoit assez vite que les livres
dont je parlais tout à l’heure, les Psaumes et Daniel, étant postérieurs eux-
mêmes aux livres prophétiques, on les met encore trop haut quand on les place
au temps des grands Asmonées. On est conduit ainsi à les faire descendre
jusqu’à l’époque d’Hérode et des Romains.
On obtient alors une explication facile de ce qui autrement parait extraordinaire,
je veux dire l’accent chrétien des prophètes et des psaumes. Si ces livres sont en
effet moralement si près du christianisme, c’est qu’en réalité ils en étaient aussi
assez près chronologiquement.
Je ne m’arrête donc pas, quant à moi, aux résistances que rencontrent
aujourd’hui ces idées. Je suis persuadé que tôt ou tard elles seront adoptées par
des hébraïsants, qui leur donneront l’autorité qui leur manque. En attendant, ma
conviction là-dessus est si forte, que j’ai pris soin, dans mon tome III, de
revendiquer la priorité de ces vues, et je veux le faire aujourd’hui encore.
ERNEST HAVET, Juin 1883. CHAPITRE PREMIER — CRITIQUE DES RÉCITS SUR LA VIE DE
JÉSUS.
A partir de l’établissement des Juifs en Égypte autour du temple d’Onias, en 150
avant notre ère, il s’est fait dans le monde hellénique une propagande juive qui
est allée se développant de plus en plus, en Égypte d’abord, puis en Syrie, puis
dans l’Asie grecque, et enfin dans Rome même après la prise de Jérusalem par
Pompée. En l’an 22 de notre ère, sous Tibère, cette propagande était devenue
assez entreprenante pour inquiéter les pouvoirs publics et pour déterminer le
sénat et l’empereur à chasser de la ville et à disperser les judaïsants. Mais,
environ vingt ans plus t