Le déclin du patriarcat. Adultère et divorce dans le roman-feuilleton de 1884 - article ; n°53 ; vol.16, pg 37-48
13 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Le déclin du patriarcat. Adultère et divorce dans le roman-feuilleton de 1884 - article ; n°53 ; vol.16, pg 37-48

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
13 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Romantisme - Année 1986 - Volume 16 - Numéro 53 - Pages 37-48
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1986
Nombre de lectures 48
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Hans Jörg Neuschäfer
Le déclin du patriarcat. Adultère et divorce dans le roman-
feuilleton de 1884
In: Romantisme, 1986, n°53. Littérature populaire. pp. 37-48.
Citer ce document / Cite this document :
Neuschäfer Hans Jörg. Le déclin du patriarcat. Adultère et divorce dans le roman-feuilleton de 1884. In: Romantisme, 1986,
n°53. Littérature populaire. pp. 37-48.
doi : 10.3406/roman.1986.4923
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1986_num_16_53_4923Hans Jôrg NEUSCHÀFER
Le déclin du patriarcat
Adultère et divorce dans le roman-feuilleton de 1884*
Sur l'initiative du député Alfred Naquet1, l'Assemblée Nationale fran
çaise décida le 27 juillet 1884 de rétablir le droit à la rupture légale du mariage
civil. Conquête de la révolution française, celui-ci était déjà entré en vigueur à
partir de septembre 1792 et avait été ancré dans le code civil de Napoléon, non
sans avoir subi de profonds amendements restrictifs. En 1816 il devait être sup
primé à la suite de la Restauration. Il faut attendre la Troisième République pour
qu'il redevienne un enjeu politique. Les premières initiatives pour le rétablir
échouèrent en 1876 (rejet par une grande majorité) et en 1881 (avec un résultat
de vote beaucoup plus serré). Il fut définitivement rétabli en 1884 ; en même
temps était maintenue la possibilité de la « séparation de corps et de bien » qui
avait persisté dans l'intervalle2.
Il est bien évident que le roman-feuilleton, ce sismographe des ébranle
ments sociaux, ne pouvait rester indifférent à cette problématique controversée
du divorce et que l'on trouve, précisément en 1884, une abondance de textes se
rapportant à ce sujet. D'autant plus que la question de la morale conjugale et
sexuelle comptait déjà parmi ses obsessions constantes. Rien d'étonnant donc
à ce que le roman-feuilleton, si orienté sur le public, donne une idée particulièr
ement exacte de l'attitude adoptée par l'opinion publique vis-à-vis de cette nouv
elle situation juridique, éminemment explosive du fait qu'elle semblait offrir
aux femmes une possibilité légale de se libérer de la tutelle des hommes. Et
comme le roman-feuilleton n'était pas moins lu par les femmes que par les homm
es, il devait faire certaines concessions à la position qu'elles adoptaient, con
cessions certes limitées par égard pour les hommes qui étaient à l'origine de la
production et généralement de la consommation des journaux. En outre il con
venait, comme toujours dans le roman-feuilleton, de respecter les limites impos
ées par la morale bourgeoise3.
Il ne faut pas oublier non plus que la loi sur le divorce devait forcément
avoir un effet limité tant que l'égalité des droits pour les femmes restait lettre
morte dans la pratique, surtout dans le vie professionnelle, et qu'elles ne pou
vaient donc acquérir l'indépendance financière vis-à-vis de leur mari, une fois
le divorce prononcé. C'est pourquoi seules les femmes aisées ont pu dans un pre
mier temps bénéficier de ces nouvelles possibilités que leur offrait la loi. Et même
celles-ci devaient obtenir le consentement de leur mari qui pouvait toujours refu
ser ou tout au moins retarder la restitution de leur fortune. Quoi qu'il en soit,
le lien existant entre « l'aptitude à divorcer » et « l'aisance » matérielle explique
sans doute le fait, frappant, que pratiquement tous les romans sur le divorce se
déroulent dans un milieu favorisé et que la grande majorité d'entre eux parais
sent aussi des journaux relativement chers. Dans le cas des romans sur 38 Hans Jôrg Neuschàfer
l'adultère et sur le divorce il est du moins incontestable que les textes s'attaquent
avec d'autant plus de précision et d'insistance à ce problème que le support qui
les imprime est plus cher ; le texte le plus intéressant se trouve dans le Journal
des débats, la seule publication à 20 c. qui existe encore en 1884. La tendance
politique du journal jouait, elle aussi, un rôle sinon déterminant, du moins
important, dans le traitement du sujet. Nous avons pour cette raison retenu dans
l'éventail des romans sur l'adultère et le divorce un échantillonnage orienté essen
tiellement sur le prix et la tendance politique du journal. La date de parution
— avant ou après l'adoption de la loi — n'est pas non plus sans importance pour
l'interprétation donnée dans le roman.
Veuve et vierge d'Alexis Bouvier a d'abord paru dans le Petit National,
journal à 5 с qui est, dans son orientation, républicain de gauche. Le texte a
été publié avant l'adoption de la loi Naquet, il se base donc sur l'ancienne situa
tion juridique. Parmi toutes les productions de feuilletons abordées dans ce chap
itre, c'est la plus rocambolesque, étant bien entendu que la problématique du
divorce s'y trouve presque étouffée par les éléments typiques des romans-
feuilletons d'action : peinture violemment contrastée des caractères dépourvue
de différenciation psychologique; les «méchants» veulent arracher aux
« bons » leur héritage ; un passé obscur se fait jour petit à petit, etc.
Il ne peut être question dans ce cadre de rendre dans le détail le déroule
ment extrêmement embrouillé de l'action. Ce qui importe pour notre propos est
de rappeler que le couple Célestin Berthier et Régine d'Auroy s'est séparé après
que le mari a pris sa femme en flagrant délit d'adultère avec son gérant. Autre
fait d'importance : les torts sont nettement du côté de la femme et le mari ne
se met en ménage avec une autre, une ancienne liaison, qu'après l'inconduite
de sa femme. Cette « autre » s'appelle Céline Cler ; de leur ancienne union était
née une fille nommée Céleste. Il faut noter enfin que lui, il a toujours eu un com
portement irréprochable et généreux alors qu'elle (la femme adultère), se rend
coupable d'à peu près tout ce qui est possible dans un roman-feuilleton. Alors
que lui assiste Régis, le fils de sa femme, même si ce dernier est le fruit de sa
liaison coupable, elle fait tout pour retirer à Céleste Cler l'héritage de son père.
Alors qu'il traite sa maîtresse en épouse, elle se permet encore de tromper son
amant. Alors qu'elle voudrait faire tuer Berthier, lui déguise le meurtre etc. Bref :
c'est elle qui incarne le péché, lui la vertu. A la fin la « famille », certes illégitime
mais intacte, constituée par Célestin Berthier, Céline et Céleste Cler (rien que
des noms d'une pureté céleste !) est tellement poussée à bout par le couple dissolu
Régine d'Auroy et André de Guettev'ûle (dont les noms ne laissent rien présager
de bon) que Céline meurt et que sa fille Céleste ne peut être sauvée de la ruine
que par un coup de théâtre mélodramatique orchestré par son père : il l'épouse
(officiellement elle n'est pas sa fille), lui assurant ainsi la fortune que sa femme
était sur le point de s'approprier par le moyen d'un procès. Le fiancé de Céleste,
indigné, n'a certes pas besoin de se chagriner longtemps : son beau-père, devenu
son rival en apparence seulement, pousse la noblesse d'âme jusqu'à se suicider
tout de suite après les noces, si bien que sa fille, restée « veuve et vierge », intacte
tant au point de vue physique que financier, peut, immaculée, convoler en justes
noces et enfin fonder une « vraie » famille.
Ce roman, qui, au point de vue littéraire aussi, est bon marché, fait certes
de la propagande pour la loi sur le divorce, suivant en cela l'orientation du jour
nal qui l'a fait paraître ; ceci est apparent et explicite notamment dans une longue
conversation entre Célestin Berthier et Céline Cler : si le divorce existait, de telles
situations monstrueuses deviendraient en effet impossibles. Cependant la
morale implicite n'a rien de progressiste et est loin d'aller dans le sens de et divorce dans le roman-feuilleton 39 Adultère
l'émancipation des femmes. Le personnage féminin positif — Céline — est certes
une « illégitime » ; mais elle n'est justement pas une femme adultère, c'est le type
de la bonne mère de famille.

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents