Le discours sur la femme : constantes et  ruptures - article ; n°13 ; vol.6, pg 41-55
16 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Le discours sur la femme : constantes et ruptures - article ; n°13 ; vol.6, pg 41-55

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
16 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Romantisme - Année 1976 - Volume 6 - Numéro 13 - Pages 41-55
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1976
Nombre de lectures 37
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Mme Yvonne Knibiehler
Le discours sur la femme : constantes et ruptures
In: Romantisme, 1976, n°13-14. pp. 41-55.
Citer ce document / Cite this document :
Knibiehler Yvonne. Le discours sur la femme : constantes et ruptures. In: Romantisme, 1976, n°13-14. pp. 41-55.
doi : 10.3406/roman.1976.5051
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1976_num_6_13_5051Yvonne KNIBIEHLER
Le Discours médical sur la femme
Constantes et ruptures
Ce n'est pas la pensée scientifique et philosophique des médecins qui
est analysée ici, c'est sa vulgarisation dans la mesure où elle peut influencer
les mentalités et les conduites.
Par là, le texte qu'on va lire se distingue de ceux de Stéphane Michaud
et de Gérard Wajeman, et en un certain sens, il les complète. Les sources
consultées sont en premier lieu les encyclopédies et les dictionnaires x ;
en second lieu les traités de médecine légale et les traités d'hygiène publique 2
qui, par l'intermédiaire des tribunaux et des administrations, imposent
des décisions et des mesures à toute une population ; en troisième lieu,
les ouvrages écrits par des médecins dans une intention didactique 3,
pour les profanes, non pour leurs étudiants.
L'objectif est de suivre à travers le discours médical du xixe siècle les
avatars du stéréotype qui prétend fixer en traits immuables une « nature
féminine » entièrement déterminée par le sexe, et caractérisée au « phy
sique » par la « faiblesse » au « moral » par la « sensibilité ». Ce stéréotype,
ébauché par Roussel au temps des lumières, se trouve renforcé au lende
main de la Révolution, toutes les découvertes médicales étant interprétées
de manière à le confirmer ; il se maintient sans grandes modifications jusque
vers la fin du Second Empire ; il résiste aux progrès de l'anthropologie
comme aux doctrines de l'évolution. Il ne s'estompe, au seuil du xxe siècle,
que pour laisser place au discours sur la dépopulation.
* # #
« La femme n'est pas femme seulement par un endroit, mais par toutes
les faces par lesquelles elle peut être envisagée » écrivait Roussel dans son
Système physique et moral de la femme (1775, ire édition) 4. Cette tendance
à enfermer la femme dans son sexe se renforce au lendemain de la Révol
ution : tous les textes insistent sur les différences spécifiques de l'anatomie :
thorax étroit, bassin large et courbe, fémurs obliques, tissus « spongieux »,
muscles mous, peau fragile, etc.. Mais le sexe féminin est défini surtout
comme une aptitude à la maternité, car la sexualité féminine est redoutée,
et le plus grand souci des médecins semble être de la dominer. Yvonne Knibiehler 42
On sait que l'Histoire naturelle de Buffon-Daubenton, dans un texte
célèbre, et l'Encyclopédie à sa suite, déclarent que l'hymen n'est qu'une
superstition masculine ; Roussel a la même position. Mais sous le régime
du Code Civil, la chose a repris de l'importance et on y a regardé de près :
l'obstétricien Baudelocque affirme que l'absence d'hymen est exception
nelle 5 et le médecin légiste Fodéré, ridiculisant l'empirisme des matrones,
décrit en langage scientifique tous les signes de la défloration. Mais il ne
confond pas défloration et viol : méfiant, il déclare que beaucoup de femmes
et de filles se plaignent abusivement de viol pour expliquer une grossesse
ou exercer une vengeance ; on ne peut établir un viol qu'en constatant sur
tout le corps de la fille les traces de la contrainte qu'elle a subie ; encore
peut-elle s'être fait des bleus elle-même.
La matrice fait l'objet d'un véritable fétichisme parce qu'on la consi
dère comme la spécificité féminine par excellence. Pourtant les ovaires sont
de mieux en mieux connus : la découverte des follicules de Graaf date du
xvne siècle ; l'Encyclopédie fait état de grossesses extra-utérines obtenues
chez une chienne par Nuck ; on observe que l'ablation des ovaires altère
profondément la personnalité d'une femelle qui perd non seulement la
faculté de concevoir, mais encore sa vitalité, voire sa santé. Bichat a fait
progresser l'étude de ces glandes dans son Anatomie générale (1801), et il
semble qu'en 1803 on soit au seuil de la vérité puisque Cabanis à son tour
insiste sur l'importance des ovaires. Mais le pas n'est pas franchi et le Panc-
koucke restaure le culte de la matrice. « Ce viscère agit sur tout le système
féminin d'une manière bien évidente, et semble soumettre à son empire
la somme presqu'entière des actions et des affections de la femme » e. Virey
en conclut que la femme est bien plus soumise à son sexe que l'homme,
parce que son sexe est à l'intérieur, intégré à son être et commande à tous
ses organes ; alors que le sexe masculin reste extérieur et comme marginal
(art. Femme dans le Panckoucke).
A la fin du xvine siècle, les menstrues paraissent encore inexplicables.
« Un des plus curieux et des plus embarrassants phénomènes du corps
humain » dit Y Encyclopédie. On admet, traditionnellement, qu'il s'agit
d'une « pléthore » locale, due au défaut d'exercice, à la station droite, à
une nourriture trop riche. Roussel nie que les règles aient un rapport avec
la génération, puisque les « Brésiliennes » n'en ont pas, ni les femelles des
grands mammifères, et que des femmes ont été mères sans avoir jamais
été réglées ; il voit plutôt là un bon régulateur de la santé, l'équivalent
d'une saignée qui assure aux femmes un meilleur équilibre physiologique
qu'aux hommes. Mais dans le Panckoucke, on s'approche de la vérité :
on sait que les « Brésiliennes » ne font pas exception (l'erreur des voyageurs
est due au fait qu'elles dissimulent leur « impureté »), que les femelles des
mammifères ont un écoulement au moment du rut, et que si des femmes
ont eu des enfants sans avoir été menstruées, c'est qu'elles ont été fécondées
au moment de leurs premières règles. Bref, on commence à comprendre
que les règles conditionnent la génération. Et donc, au lieu d'être une supér
iorité de la santé féminine, elles deviennent une servitude de plus que la
nature impose à la femme, en vue de la maternité.
Dans l'union sexuelle, le rôle de l'homme est progressivement valorisé.
Tous les médecins du début du xixe siècle déclarent que l'amour est
« l'essence de la femme » (Moreau), la « destinée de la femme » (Virey) ;
mais alors que ni Y Encyclopédie y ni Roussel ne distinguent les partenaires,
Virey, dans le Panckoucke, proclame la spermocratie : la femme reste proche Le discours médical sur la femme 43
de l'enfant tant qu'elle est privée de sperme, dit-il ; « la femme mariée
a quelque chose de plus viril, de plus masculin, de plus assuré, de plus
hardi que la vierge timide et délicate, et les filles publiques deviennent
ou moins nommasses par leur fréquente cohabitation avec les hommes...
On voit communément des filles fort grasses perdre leur embonpoint
par le mariage comme si l'énergie du sperme imprimait plus de roideur
et de sécheresse à leurs fibres... ». « II est certain que le sperme masculin
imprègne l'organisme de la femme, qu'il avive toutes ses fonctions et les
réchauffe, qu'elle s'en porte mieux » {De la femme, p. 85). Même l'odeur
de sa transpiration s'en trouve changée au point que Démocrite pouvait
déceler une défloration par le simple odorat... C'est imposer l'idée que la
femme est réellement créée par l'homme, comme le démontrera si complai-
samment Michelet. Virey ajoute que la femme est donc ainsi constituée
en moins, et l'homme en trop, que l'amour résulte chez la femme de défaut
et chez de surabondance. On pense invinciblement à Freud qui,
lui aussi, définit la femme par un manque (non de sperme mais de pénis)
et on entrevoit la continuité à travers tout le xixe siècle d'un discours médical
naïvement phallocratique.
Le mot Frigidité réserve aussi

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents