Le fou et le migrant  - article ; n°1 ; vol.94, pg 41-58
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Description

Actes de la recherche en sciences sociales - Année 1992 - Volume 94 - Numéro 1 - Pages 41-58
The madman and the migrant This essay explores the nature of historical consciousness, and its relation to culture, among the Tshidi-Barolong, a South African Tswana people. On the basis of the imagery of two informats -a madman and a former migrant laborer- it examines not merely the content of Tshidi consciousness, but also its expressive forms. These differ from the narrative modes of representation associated with history in Western contexts, and build on various poetic devices - most strikingly, on the rhetoric of contrast. Thus the opposed concepts of work and labor, one associated with setswana (Tswana ways) and the other with sekgoa (European ways), are major tropes through which Tshidi construct their past and present. Such rhetorical forms appear, on examination, to occur widely in situations of rapid change. As a resuit, this excursion into the poetics of history illuminates very generai questions concerning the connection between consciousness, culture, and representation.
Le fou et le migrant Cet article étudie la nature de la conscience historique, et sa relation à la culture, chez les Tshidi-Barolong, un peuple tswana sud-africain. Sur la base des images fournies par deux informateurs -un fou et un ancien travailleur migrant- il examine non seulement le contenu de la conscience tshidi, mais aussi ses formes d'expression. Celles-ci diffèrent des modes narratifs de représentation associés à l'histoire dans le contexte occidental, et s'appuient sur des moyens poétiques variés - et de la manière la plus remarquable sur la rhétorique du contraste. Ainsi les concepts opposés de travail et de peine, l'un associé au setswana (les manières tswana) et l'autre au sekgoa (les manières européennes), sont les tropes principaux à travers lesquels les Tshidi construisent leur passé et leur présent. De telles formes rhétoriques paraissent, à l'examen, pouvoir se rencontrer fréquemment dans des situations de changement rapide. En conséquence, cette disgression dans la poétique de l'histoire éclaire des questions très générales concernant les liens entre la conscience, la culture et la représentation.
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 44
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

John L. Comaroff
Madame Jean Comaroff
Le fou et le migrant
In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 94, septembre 1992. pp. 41-58.
Citer ce document / Cite this document :
Comaroff John L., Comaroff Jean. Le fou et le migrant . In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 94, septembre
1992. pp. 41-58.
doi : 10.3406/arss.1992.3025
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1992_num_94_1_3025Abstract
The madman and the migrant
This essay explores the nature of historical consciousness, and its relation to culture, among the Tshidi-
Barolong, a South African Tswana people. On the basis of the imagery of two informats -a "madman"
and a former migrant laborer- it examines not merely the content of Tshidi consciousness, but also its
expressive forms. These differ from the narrative modes of representation associated with "history" in
Western contexts, and build on various poetic devices - most strikingly, on the rhetoric of contrast. Thus
the opposed concepts of work and labor, one associated with setswana (Tswana ways) and the other
with sekgoa (European ways), are major tropes through which Tshidi construct their past and present.
Such rhetorical forms appear, on examination, to occur widely in situations of rapid change. As a resuit,
this excursion into the poetics of history illuminates very generai questions concerning the connection
between consciousness, culture, and representation.
Résumé
Le fou et le migrant
Cet article étudie la nature de la conscience historique, et sa relation à la culture, chez les Tshidi-
Barolong, un peuple tswana sud-africain. Sur la base des images fournies par deux informateurs -un
fou et un ancien travailleur migrant- il examine non seulement le contenu de la conscience tshidi, mais
aussi ses formes d'expression. Celles-ci diffèrent des modes narratifs de représentation associés à
l'histoire dans le contexte occidental, et s'appuient sur des moyens poétiques variés - et de la manière
la plus remarquable sur la rhétorique du contraste. Ainsi les concepts opposés de travail et de peine,
l'un associé au setswana (les manières tswana) et l'autre au sekgoa (les manières européennes), sont
les tropes principaux à travers lesquels les Tshidi construisent leur passé et leur présent. De telles
formes rhétoriques paraissent, à l'examen, pouvoir se rencontrer fréquemment dans des situations de
changement rapide. En conséquence, cette disgression dans la poétique de l'histoire éclaire des
questions très générales concernant les liens entre la conscience, la culture et la représentation.41
JOHN L. ET JEAN COMAROFF
Le fou et le migrant
Travail et peine dons la conscience historique
d'un peuple sud-africain
d'internement et aussi au personnel paramédical de
race noire. Car, dans ce monde de prolétaires-paysans,
P sur d'une La hôpital aradoxalement, leçon les rencontre faits psychiatrique. était de d'autant conscience c'est silencieuse, Connu un plus fou dans remarquable pour qui faite l'Afrique nous son en a ingénieux 1973 du le qu'elle plus Sud dans rurale. appris venait cosun le chemin de fer tissait un lien tangible entre la vie
rurale et la vie urbaine, nouant ensemble les mondes
discordants de la campagne et de la ville,
tume qu'il n'enlevait jamais, l'homme était littéralement Nous étions depuis longtemps conscients de
un prophète en habits de polyethylene. Ses vêtements l'importance de la distinction entre ces deux mondes
démentiels parlaient le langage de son obsession. Ses pour les Tshidi Barolong, le peuple tswana parmi les
bottes, d'un modèle courant chez les mineurs, étaient quels nous travaillions. L'une de nos premières convers
surmontées de jambières tricotées de manière compli ations à Mafikeng, leur capitale, avait eu lieu avec un
homme qui était très respecté, bien qu'il ne fût ni riche quée, résultat de l'effilochage patient de nombreux
ni de haute naissance. Ce "monsieur-tout-le-monde" sacs à oranges. Il portait un manteau et une mitre
incarnait la génération plus ancienne de paysans- d'évêque, confectionnés à partir de sacs poubelle en
plastique noir. En travers de sa poitrine était tendue ouvriers, qui avaient passé le début de leur vie adulte
à travailler dans les mines d'or de Johannesburg. une large ceinture de tissu aux brillantes rayures, sur
laquelle étaient cousues trois lettres : SAR. Pour ses Maintenant il s'occupait de son champ desséché de
médecins de race blanche, c'était là le signe le plus céréales, et disait laconiquement : "Ici je me bats, mais
évident de son égarement, même s'ils avaient observé je travaille pour moi-même (itirela, la forme reflexive
qu'il entendait aussi des voix. Les autres patients, de direla, 'travailler (faire) pour'). Le sol est rocailleux,
cependant, le considéraient comme un guérisseur ins et il n'y a pas de pluie. Je me bats, mais je n'appelle
piré, envoyé pour soulager leur détresse. SAR était personne 'patron'. Là-bas, où nous peinons (berekd)
son Eglise, et il en était la seule incarnation. Les lettres pour les Blancs, ils nous payent en argent, mais la
SAR correspondent à South African Railways, les che mine, comme la tombe, n'a besoin que de notre corps.
mins de fer sud-africains dont une voie borde l'hôpital. Quand elle en a fini de vous, elle vous recrache, et
vous êtes fini ! Inutile !". Malgré son caractère poiDe fait, au moment même où nous le rencontrions, le
train de nuit pour Johannesburg passa près de nous gnant, ce commentaire sur l'expérience de l'aliénation
dans un bruit de ferraille, emmenant son chargement n'avait rien de remarquable, des travailleurs opprimés
quotidien de migrants. Plus tard, alors que nous nous en d'autres lieux ayant vu également la mine comme
interrogions pour déchiffrer son message, nous ne ces un prédateur et le lieu du travail industriel comme une
sions de revenir, comme il le faisait, à SAR. C'était un tombe (cf. par exemple, Van Onselin, 1976 ; Gordon,
message qui parlait directement à ses compagnons 1977 ; Nash, 1979 ; Taussig, 1980 ; et aussi
Actes de la recherche en sciences sociales, n ° 94, sept. 1992, 41-58 John L. et Jean Comaroff 42
D. H. Lawrence, 1922 ; Eliade, 1962). Notre tentative éthylène, résidait une clé permettant d'accéder à la
de poursuivre plus avant l'exégèse s'avéra d'ailleurs conscience qu'ont les Tshidi d'eux-mêmes, à l'intel
stérile. Nous étions tout simplement incapables de ligence qu'ils ont de la genèse de leur monde présent.
mettre au jour des énoncés qui lient l'exploitation à
une notion cohérente d'antagonisme entre classes
sociales ou même de conflit racial. Ceci, semblait-il,
avait été un de ces rares moments où une expérience Conscience de l'oppression
muette en toute autre circonstance trouva à s'exprimer et poétique de la conscience
dans un complexe fortuit d'images.
Mais une plus large familiarité avec les Tshidi nous
apprit que ces images n'étaient pas fortuites, et que la C'est presque devenu un lieu commun que de se
signification du message de ce migrant d'âge avancé se demander pourquoi les classes sociales paraissent si
trouvait être largement partagée. La solution résidait rarement agir pour elles-mêmes {für sich) ; pourquoi la
dans la forme même de son propos : par un choix subt conscience de classe, affirmation d'un intérêt et d'une
identité collectifs, apparaît si peu souvent - même sous il des mots, le terme vernaculaire pour le travail (ou,
plus précisément ici, "le travail effectué pour soi- des conditions apparemment favorables (cf. par
même") était minutieusement distingué de celui qui est exemple, Wallerstein, 1979 [1972], p. 173 ; Marks et
utilisé pour désigner la peine prise au service des Rathbone, 1982, pp. 26-27). Cependant cette question
Blancs1. Le premier, itirela, implique "se faire soi- elle-même nous renvoie à une interrogation préalable :
même". Il s'agit de la forme reflexive du setswana go que prenons-nous exactement comme des expressions
"faire" ou "fabriquer". Quant à bereka, il vient de de la conscience collective ? Est-il possible que, depuis dira,
l'afrikaans werk, et connote le travail salarié (apparem fort longtemps, les chercheurs en sciences sociales
ment pour tous les locuteurs Sotho-Tswana ; cf. occidentaux, qu'ils appartiennent à la tradition webe-
Ziervogel et Mokgokong, 1985). Ces termes forment rienne ou marxienne, n'aient pa

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