Le Machisme piégé. Maladie, malheur et rapports de sexe dans les Andes méridionales de l Equateur - article ; n°3 ; vol.19, pg 189-203
16 pages
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Le Machisme piégé. Maladie, malheur et rapports de sexe dans les Andes méridionales de l'Equateur - article ; n°3 ; vol.19, pg 189-203

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Description

L'Homme - Année 1979 - Volume 19 - Numéro 3 - Pages 189-203
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1979
Nombre de lectures 21
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Carmen Bernand
Le Machisme piégé. Maladie, malheur et rapports de sexe dans
les Andes méridionales de l'Equateur
In: L'Homme, 1979, tome 19 n°3-4. pp. 189-203.
Citer ce document / Cite this document :
Bernand Carmen. Le Machisme piégé. Maladie, malheur et rapports de sexe dans les Andes méridionales de l'Equateur. In:
L'Homme, 1979, tome 19 n°3-4. pp. 189-203.
doi : 10.3406/hom.1979.368004
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1979_num_19_3_368004LE MACHISME PIÉGÉ
Maladie, malheur et rapports de sexe
dans les Andes méridionales de l'Equateur
par
CARMEN BERNAND
Les catégories de sexe n'ont guère, jusqu'à une époque récente, retenu l'atten
tion des spécialistes des sociétés de l'Amérique andine. Sans doute cette indif
férence est-elle le reflet d'une attitude générale à l'égard de ces questions. Dans
le cadre particulier des études andines, seuls les travaux concernant la parenté
ont fourni des éléments nouveaux1. Dans la plupart des cas, cependant, la question
des sexes se réduit à une ethnographie du comportement centrée sur la violence
masculine à l'égard de la femme et inspirée par la nature des conflits sexistes
dans les sociétés industrielles. Néanmoins, la perspective qui s'est affirmée durant
ces dernières années a conduit à souligner l'importance du sexe de l'ethnographe
pour la collecte et l'interprétation des documents. Ce point de vue ayant été
largement débattu, je me bornerai à rappeler la remarque de Nicole-Claude
Mathieu2, selon laquelle attribuer une vision du monde différente à l'un et l'autre
sexe revient à réifier les catégories d'homme et de femme, sans pour autant
expliquer la nature de la dichotomie sexuelle dans les rapports sociaux. C'est
dans cet esprit que je tenterai d'analyser les catégories de sexe à travers les repré
sentations indigènes de l'étiologie des maladies et de leur nosographie3.
1. Ces études de parenté portent notamment sur la descendance parallèle incaïque
{cf. T. Zuidema, The Ceque System of Cuzco. The Social Organization of the Capital of the Inca,
Leiden, E. J. Brill, 1964, pour ne citer que l'ouvrage le plus important dans ce domaine)
et sur les rapports de réciprocité entre les familles tels qu'ils se manifestent des circons
tances particulières (travaux collectifs et rites de passage, par exemple). D'autre part, les
différentes étapes qui précèdent le mariage légal, et qui sont connues dans la littérature
andine sous le terme servinakuy (ou watanakuy) , ont aussi intéressé les chercheurs.
2. N.-Cl. Mathieu, « Homme-culture et femme-nature ? », L'Homme, 1973, XIII (3) :
101-113.
3. Les documents que je présente ici ont été recueillis au cours de deux enquêtes ethno
graphiques dans la région de Pindilig, province de Cafiar, Equateur, auprès d'une population
L'Homme, juil.-déc. 1979, XIX (3-4), pp. 189-203. IÇO CARMEN BERNAND
Le choix d'un tel thème appelle quelques explications. Cette enquête de terrain,
commencée en 1973 et achevée en 1978, se proposait au départ d'étudier des
aspects spécifiques de la structure sociale andine, parmi lesquels l'organisation
dualiste et les échanges, la topographie des huacas et leur symbolisme. Or, après
quelques semaines de travail, la nature du matériel recueilli infléchit l'orientation
de ma recherche. Je fus amenée à m'interroger sur le choix des informateurs et
sur le message qu'ils me livraient.
Bien que mon projet ait été de rassembler le maximum d'éléments concernant
la structure sociale, le choix des informateurs avait été involontairement influencé
par l'image des sexes propre à notre culture. D'une part, je m'étais adressée aux
femmes en général, comme si de par leur sexe elles formaient une catégorie homo
gène ; d'autre part, j'avais cherché des informateurs masculins susceptibles, en
raison de leur statut, de formuler un modèle social. Démarche vaine, somme toute,
car à l'exception du guérisseur indigène, unique de son espèce, et de trois proprié
taires fonciers blancs, les femmes aussi bien que les hommes contournaient toute
abstraction et ramenaient mes questions à un même récit, dont les inévitables
volets étaient la stérilité des terres, la destruction de la réciprocité et des liens
de parenté, la multiplication des maladies. Cette même façon de verbaliser une
réalité sociale correspondait à ce que les indigènes des deux sexes appelaient le
« langage de la pauvreté »4. Ce ne semblait pas être, au départ, un bon matériel
d'ethnographie classique. Cependant, l'insistance obsédante avec laquelle les
indigènes, réputés laconiques, expliquaient leur situation, et la violence de leur
discours, que voilaient d'élégantes formules de politesse et de soumission, s'impo
sèrent très vite comme fait ethnographique principal et comme la seule voie
d'accès à la connaissance des rapports sociaux dans cette société. Ces récits
racontaient l'apparition de la misère, liée à la croissance démographique et à la
parcellisation excessive des terres de même qu'à l'ouverture, quinze ans plus tôt,
de la route entre le village et la vallée d'Azogues. Sur ce discours unique, qui
reflétait l'histoire récente de la région, se greffaient des histoires particulières
presque toujours relatives aux enfants, au patrimoine et aux maladies, et dans
lesquelles se traduisaient nécessairement les rapports entre les sexes. Dans une
telle société, être femme, mais aussi être homme, était déterminé par les multiples
aspects de la pauvreté.
L'absence de modèle social dans les témoignages recueillis est probablement
indigène qui appartient à la catégorie générale des serranos (habitants des Hauts Plateaux
et des vallées).
4. Bien que les indigènes s'expriment aujourd'hui en espagnol, leur syntaxe est fortement
influencée par le quechua. C'est sans doute pour cette raison qu'ils dissocient la catégorie
de sexe de celle de genre. Ainsi, par exemple, la banale affirmation : estoy enferwo est pro
noncée indistinctement par un homme ou par une femme. LE MACHISME PIÉGÉ 191
la conséquence du vide politique dans la vie indigène. Il est significatif en effet
que toutes les références au mode de vie ancien — celui des grands-parents notam
ment, car au delà du dernier tiers du xixe siècle l'histoire de la région se confond
avec les mythes — fassent allusion aux caciques locaux, en l'occurrence fonction
naires plus que représentants de la communauté. Lorsque j'entrepris l'étude de
la région de Pindilig, les paysans n'avaient pas la possibilité institutionnelle de
prendre des décisions, d'où leur dépendance totale à l'égard de la volonté divine
ou de l'arbitraire profane. Les remarques d'Ardener6 concernant les différents
modes d'expression selon le sexe ne peuvent donc être généralisées.
Si nous abordons maintenant le thème de la maladie comme révélateur des
catégories de sexe, il est nécessaire de préciser que, dans les représentations
indigènes, deux systèmes d'interprétation des phénomènes pathologiques s'affron
tent : celui de la médecine officielle, incarné par le médecin rural, qui reçoit une
fois par semaine tous ceux qui se rendent à son cabinet de consultation (ouvert
les jours de marché), et celui de la médecine traditionnelle (dite del campo « de la
campagne »), nourri de traditions diverses6. Pour le médecin de la ville, la maladie
est une réalité objective que révèle le symptôme. Pour les indigènes, elle est
avant tout une expérience dont seul le malade peut témoigner7. D'où l'importance
du récit personnel des circonstances qui ont été à l'origine du mal, récit dans
lequel il s'interroge sur son comportement, que déterminent à la fois son sexe et
certaines valeurs culturelles.
La catégorie de « maladie » recouvre des affections différentes qui s'ordonnent
selon un axe temporel : « accidents », maladies des Anciens et maladies des
Renaissants8. Les premiers sont inhérents à la conditio

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