Ce mémoire réalisé en 2011 dans le cadre d'un master 2 Sciences Po Lyon, vise à présenter le déroulement des événements protestataires portés par le "Mouvement du 20 février" au Maroc, à travers une analyse des courants militants, des manières d'occuper l'espace public et de créer de la décision collective.
UNIVERSITE DE LYON
UNIVERSITE LUMIERE LYON 2
INSTITUT D'ÉTUDES POLITIQUES DE LYON
Le « mouvement du 20 février » au Maroc
Une étude de cas de la coordination locale de Rabat
Chapouly Romain
Mémoire de Master 2
CODEMMO
2010 - 2011
Jury :
Karine Bennafla et Montserrat Emperador
Contact : romain.chapouly@hotmail.fr
Remerciements
Ce mémoire est dédié aux militants du 20 février, et particulièrement à ceux qui, à Rabat
et ailleurs, ont consacré régulièrement de leur temps pour répondre à mes questions et
éclairer ma compréhension des événements.
Je tiens à remercier toute l’équipe du CESEM de Rabat, pour m’avoir accueilli en stage
durant la période de Mars à Juillet 2011, et particulièrement son directeur Driss Ksikes
et la rédactrice en chef de la revue Economia, Laetitia Grotti.
Un remerciement particulier revient à Mohamed Laalami pour son aide précieuse à la
traduction. Sans oublier tous ceux qui, de près ou de loin, m’ont témoigné de leurs
encouragements et contribué à alimenter ma réflexion : Mouhcine et Houria Ayyouche,
Houda Ait Idder, Marwa El-Chab, Mohamed Yazami, Mohamed El-Boukili, Michel
Péraldi, Abdelahad Sebti, Elabadila Chbihna Maaelaynine, Moustapha El-Guemri,
Fouad Abdelmoumni, Abdeslam Adib… et bien d’autres.
Merci enfin à Brice et Nathalie, spécialistes ès orthographe, pour leur relecture
salvatrice.
2Introduction
Au début de l’année 2011, au moment où la Tunisie et l’Egypte s’engageaient dans un
processus révolutionnaire historique, le Maroc est lui aussi rentré en ébullition sociale.
Avec ses formes propres et tout son héritage politique, le Maroc a bel et bien suivi la
séquence de propagation qui a touché la plupart des pays arabes avec des nuances
d’intensité. Le Maroc, dans son contexte singulier, est une de ces nuances.
Depuis l’ouverture politique à la fin du règne d’Hassan II et la transition avec son
héritier Mohamed VI, le Maroc se situe dans les limbes de la typologie des régimes
1politiques qui exaspèrent les tenants de la politologie . Ni purement autoritaire, dans le
sens où le concept de « transition démocratique », s’il s’est aventuré à postuler une
temporalité linéaire plus que douteuse sur l’évolution d’un régime autocratique vers la
démocratie, n’en a pas moins montré quelques signes effectifs d’évolutions, disons vers
plus de « souplesse ». Ni pleinement démocratique pour autant, car le régime marocain
reste fermement ancré sur des dispositifs contrariant en permanence les principes de
base d’un système démocratique, au premier rang desquels la « souveraineté populaire »
qui demeure exclue du débat, puisque c’est en effet le roi et sa cour (et non le droit) qui
détiennent la « compétence de la compétence », c’est-à-dire qui prennent l’initiative des
grandes politiques et décident en dernier recours. Dans ce contexte singulier, que
d’aucuns présentent comme une « exception marocaine » sur fond de paysage politique
arabe, un mouvement de contestation généralisée porté par la jeunesse marocaine s’est
attelé à reconfigurer le champ de la contestation et à exposer tous les griefs redevables
au régime marocain, dans le domaine social et politique. Entamé le 20 février 2011, ce
mouvement de contestation entend depuis lors construire un projet alternatif (en dehors
et dedans le politique) ainsi que reconquérir les espaces de diffusion d’une parole
contestataire, censée balayer les discours d’opposition en trompe-l’œil et proposer une
alternative à l’ « unanimisme transitologique » qui imbibe le corps social marocain ainsi
que la quasi intégralité du corps politique.
1 Dabène O, Geisser V, Massardier G (dir.), Autoritarismes démocratiques et démocraties autoritaires au
21e siècle. Convergences Nord-Sud, Paris, La Découverte, Recherches, 2008, 334 p
3Nul doute que le « printemps arabe » a provoqué une sorte d’événement générateur à
l’origine d’un renouveau dans les cycles de protestation et d’une reconfiguration du
politique sur la scène marocaine. Pourtant au Maroc, il s’agit moins d’un événement
initiateur qu’un événement permettant la réactivation d’un potentiel de contestation en
2veille (« abeyance structure » concept utilisé par Verta Taylor ) qui a trouvé les motifs
de son renouveau dans une dynamique de cristallisation des contentieux dont les
événements tunisiens et égyptiens, bien que configurés différemment, en sont les
modèles d’inspiration (diffusant une sorte de « vérité de l’action »). Ce qui a démarré le
20 février 2011 au Maroc est certes à plus d’une titre une modalité nouvelle de
protestation, une action collective inédite entreprise sur un terrain hybride entre le social
et le politique, mais ne constitue pas outre mesure un phénomène révolutionnaire, étant
donné la temporalité longue dans laquelle les mobilisations et les événements
s’inscrivent ainsi que la proportion encore minoritaire de la population dont le
mouvement a réussi à susciter l’adhésion. A bien des égards la contestation marocaine
actuelle est le prolongement sous une autre forme d’une activité de protestation déjà
3présente : la nouveauté réside en ce que cette force de contestation plurielle est
désormais conglomérée et inscrite dans une temporalité et un espace synchronisés.
Cependant que les forces en présence, les types d’individus participants et surtout les
appareils de militantismes demeurent relativement inchangés. « Relativement » car en
effet si les forces visibles marquent la réalité d’un prolongement dans la manière de
conduire le mouvement de contestation, il demeure des aspects qui soulignent toutefois
des transformations notables : l’apparition de nouveaux types d’alliances, de nouvelles
manière de mobiliser (usage des réseaux sociaux) et cette dichotomie singulière du
mouvement entre un groupe « agissant » (les coordinations locales du « 20 février », qui
sont composées en majorité de jeunes militants) et un groupe « soutenant » (les comités
d’appuis, très expérimentés, qui sont composés de structures associatives et partisanes).
Cette configuration nouvelle offre une place inédite à la « jeunesse » (en tant qu’elle a
constitué un effet de vérité dans les cas tunisien et égyptien) dans l’acte de décider, et
selon des modalités de décisions qui rompent avec les pratiques antérieures : refus de la
2 Taylor Verta, La continuité des mouvements sociaux : la mise en veille du mouvement des femmes, in O.
Fillieule (dir.), Devenirs militants. Approches sociologiques du désengagement, Paris, Belin, 2005
3 Vairel Frédéric, L'ordre disputé du sit-in au Maroc, Genèses, n°59, 2005/2, p 47-70
4bureaucratie et laboratoire d’expérimentation de la « démocratie directe » (cette dernière
se présentant tantôt en vertu, tantôt en nécessité).
En d’autres termes, le « marché » de la contestation au Maroc n’a pas acquis de
nouvelles parts, mais il s’est doté en revanche d’un nouveau type d’organisation qui,
dans son plus notable aspect, tend à concentrer les forces d’une manière unanime. D’un
marché émietté, nous sommes donc passé à un marché beaucoup plus unifié ou en tout
cas manifestement à tendance oligopolistique (pour filer la métaphore). Cette innovation
peut être porteuse, par la reconfiguration générale qu’elle permet, d’un accroissement
des effectifs participants ou bien, sans aller jusque là, de transformations dans les
référentiels idéologiques (ce qu’il est entendu de considérer dans le champ des
possibles). L’un serait le résultat rapide d’un changement du rapport de forces par le
nombre, l’autre d’une endurance, une transformation du rapport de forces par le temps.
Pour résumer cette alternative en des termes politiques, il s’agit soit de la révolution
(renversement du régime), soit d’une « guerre de positions » de type gramscien où
hégémonie et contre-hégémonie se font face et opèrent des déplacements dans l’ordre
culturel.
Dans sa substance syncrétique, le mouvement du 20 février réactive la rhétorique
révolutionnaire en la déclinant sur un mode démocratique, plaçant l’engagement de
l’individu « citoyennisé » au cœur d’un processus collectif de changement dont le
combat pour les « valeurs » constitue le principal leitmotiv. Et pourtant le mouvement
semble davantage se mouvoir sur la ligne gramscienne de reconquête des légitimités
idéologiques sur le registre des libertés et de la démocratie (qui subsume au passage la
question du partage des richesses, la lutte contre la corruption, la transparence etc..), que
sur la thématique (désuète) de la conquête du pourvoir et du « grand soir » rédempteur.
Cette « guerre de position » inaugurée par le mouvement du 20 février se veut la
construction d’un projet alternatif renouvelé capable de d’opposer un « contre modèle »
à celui que dispense le régime makhzénien, qui comme le démontre Mohamed Tozy, est
spécialisé dans la production d’un lexique et d’une praxis de la domination.
Car en effet l’histoire contemporaine de l’opposition démocratique au Maroc est celle
d’une élite progressiste qui ne parvient jamais complètement à se constituer en « volonté
générale » et déterminer une majorité à exercer une force de défection à l’encontre de
5l’appareil monarchique, tout comme les éléments de contre-hégémonie qu’elle met en
place ne parviennent jamais à ériger des barrières assez hautes pour se prémunir de son
absorption par la force hégémonique, incarnée par le système monarchique et plus
4largement par ce qu’il est convenu d’appeler le Makhzen (prolongement du système
monarchique dans l’Etat marocain moderne) . Le « mouvement du 20 février » est la
dernière tentative en date pour ériger ces hautes barrières imperméables, dans le but de
mûrir une contre-hégémonie à même d’organiser la détermination d’une majorité contre
l’ordre établi