Le Mythe : une machine à traiter l histoire Un exemple amazonien - article ; n°100 ; vol.26, pg 65-89
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Description

L'Homme - Année 1986 - Volume 26 - Numéro 100 - Pages 65-89
25 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1986
Nombre de lectures 14
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Patrice Bidou
Le Mythe : une machine à traiter l'histoire Un exemple
amazonien
In: L'Homme, 1986, tome 26 n°100. pp. 65-89.
Citer ce document / Cite this document :
Bidou Patrice. Le Mythe : une machine à traiter l'histoire Un exemple amazonien. In: L'Homme, 1986, tome 26 n°100. pp. 65-89.
doi : 10.3406/hom.1986.368659
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1986_num_26_100_368659Patrice Bidou
Le mythe : une machine à traiter l'histoire
Un exemple amazonien*
Patrice Bedou, Le Mythe : une machine à traiter l'histoire. Un exemple
amazonien. — Le but de cet article est de mettre au jour certains des mécanismes
qui permettent à la mythologie d'un groupe donné de réagir et de s'adapter aux
événements de l'histoire, tout en perdurant dans ses formes et ses fonctions
essentielles, qui sont de rendre compte, selon une rhétorique propre, de tous les
aspects d'une réalité en perpétuelle mobilité.
«... mais croire que le génie et la sagesse
humaine se renferment dans un cercle
d'inventions mécaniques, c'est prodi
gieusement errer ».
chateaubriand, Génie du
christianisme
Les mythes se sont sans doute modifiés dès lors qu'ils ont existé. Néan
moins il est très difficile, sinon impossible, d'en faire une analyse strati-
graphique, en raison de l'ignorance de l'ethnologue quant à la vie passée
de ces populations amazoniennes où les mythes sont produits et vécus.
A partir du jour où le monde blanc entra dans les territoires indigènes, il
ne tarda pas à entrer également dans leurs mythes, de la même manière
qu'en face, le « nouveau monde » s'inscrivait dans la mythologie et
l'histoire du monde blanc. Aussitôt, de part et d'autre des frontières de
l'altérité s'engageait une sorte de combat intellectuel, où la capacité de
chacun à toujours constituer l'explication totale de l'univers — dans
lequel l'autre se trouve inclus comme un objet particulier et pér
iphérique — déterminait sa survie, sinon immédiatement physique, du
moins spirituelle et culturelle. A partir du moment, donc, où l'on voit
apparaître dans les mythes des objets, des attitudes, des représentations,
dont nous savons avec certitude qu'ils sont des éléments allogènes à la
L'Homme 100, oct.-déc. 1986, XXVI (4), pp. 65-89. 66 PATRICE BIDOU
culture native, il devient possible d'étudier le contexte général où
ces éléments figurent, et d'analyser à partir de quelques cas exemp
laires les mécanismes en œuvre dans le processus d'incorporat
ion, lesquels ne sont autres en fin de compte que les mécanismes
mêmes de la création mythique.
Dans les mythologies tucano et arawak du nord-ouest de l'Amazonie,
et plus particulièrement dans celle des Tatuyo du Pirâ-Paranâ qui sert de
référence principale à cette étude, on constate en premier lieu que la quasi-
totalité des éléments en provenance du monde blanc se rencontrent dans
un seul mythe, à l'exclusion des autres. D'emblée, il semble donc qu'il
existe au sein de l'immense machine mythique une pièce en quelque sorte
spécialisée dans le traitement de l'histoire, c'est-à-dire dans le traitement
de la temporalité et des objets nouveaux dont celle-ci est naturellement
porteuse. Il s'agit de l'histoire d'Amer, appelée également histoire de
Warimi ; je dirai plus loin la signification de ces noms. Le mythe
commence par la généalogie d'Amer : petit-fils de Soleil, fils de Lune et de
la sœur de Lune, Dame-Pacaye ; il relate sa naissance, son enfance, sa
croissance prodigieusement rapide, ses talents d'artisan ; il raconte ensuite
comment Amer fit naître les gens et les protégea dans les premiers temps
de leur existence sur terre ; le mythe dit enfin le départ d'Amer. C'est
donc dans cette vaste geste mythique, avec pour maître d' œuvre ce même
personnage, qu'apparaissent les Blancs et les objets des Blancs.
L'argument de cet article est basé sur l'analyse de deux variantes du
mythe, Vj et V2, auxquelles seront adjointes pour Vj des pièces emprunt
ées aux nombreuses autres versions publiées dans la littérature ethnogra
phique1. Vj servant ici de variante de référence, on ne mentionnera l'or
igine des citations que lorsqu'elles n'en seront pas tirées.
La lecture du texte ne sera pas linéaire, elle partira d'un épisode situé
au milieu du mythe et qui raconte la création du moteur hors-bord. La
recherche se développera ensuite en évoquant des événements survenus
alternativement en amont et en aval de cette création ; d'un côté on
remontera ainsi, par une sorte de démarche régressive, le cours du mythe
comme on remonte un fleuve à sa source ; de l'autre, on suivra d'action
en action le devenir de la création mythique, jusqu'à son débouché dans le
temps présent où le mythe se tait2.
L'épisode en question montre une pirogue descendant la rivière avec à
son bord Amer et son grand-père Meni, chacun assis à une extrémité de
l'embarcation, selon le schéma classique qui préside aux déplacements de machine à traiter l'histoire 67 Une
la pirogue mythique dans les mythologies amérindiennes3. Mais dans ce
cas particulier l'image est doublement insolite ; en effet, à la proue, là où
s'exerce la plus grande force de propulsion, est assis le grand-père, qui
pagaie d'une manière si mesurée, si à contre-cœur, que la pirogue paraît
freinée, tandis qu'à la poupe, là où l'important est de bien gouverner, se
tient le petit-fils qui bout d'impatience. Autrement dit, la bonne marche
de l'esquif est compromise par un problème de nature mécanique, auquel
se trouve comme surajoutée une dysharmonie d'ordre moral.
L'arrêt sur l'image donne à ce déséquilibre une durée qu'il n'a pas
dans une narration continue du mythe, car en réalité celle-ci enchaîne aus
sitôt sur Amer qui interpelle son grand-père en ces termes : « Grand-père,
ne te retourne pas, regarde droit devant toi. » Puis le garçon prit la pagaie
et la fit rouler entre les paumes de ses mains à l'arrière de la pirogue,
tandis qu'avec sa bouche il faisait un bruit hummmmmm...
mmmmmmmm..., pareil à un bruit de moteur ; et la pirogue propulsée
par une force nouvelle fila sur la rivière.
De tous les aspects de la création mythique, un surtout est
remarquable : c'est l'écart immense, en un instant aboli, entre le peu de
poids des moyens utilisés — un geste, quelques sonorités modulées par la
bouche d'un homme4 — et la densité et la complexité de l'objet créé. Dans
la mythologie tucano recueillie en espagnol par Marcos Fulop, le conteur
indigène va puiser dans la lexicographie religieuse des Blancs le vocable
miracle (milagro) pour traduire ce caractère merveilleux de la création
mythique. Yepâ-Huâke, le créateur, dit ainsi à Yûpuri Baûro, le chef des
Tucano :
« Je vais faire un miracle. » Et quand Yepâ-Huâke dit la parole miracle,
qui en tucano se dit bajûrese, le soleil apparut pour la première fois ;
avant il n'y avait jamais eu de soleil5.
On a l'impression que plus grande est la création, plus la parole
devient élémentaire : un seul mot suffit alors pour le tout. A l'inverse,
quand l'invention est particulière, le verbe tombe dans le détail. Pour ce
qui est du moteur hors-bord, le mythe retient essentiellement deux choses,
comme deux traits pertinents en linguistique : d'une part le bruit, qui
tranche, après coup, sur le bruit insensible accompagnant le déplacement
de l'antique pirogue indigène ; d'autre part l'hélice, qui apparaît comme
une transformation du mouvement latéral rythmé de la pagaie en un mou
vement apical rotatif continu. Ainsi, le moteur, tel un phonème dans un
système phonologique, n'est pas donné en substance mais à partir d'un jeu
de transformations et d'oppositions, en relation avec d'autres éléments
antérieurs ou contemporains du système. De fait, si l'on essaie de voir la
scène, on ne voit pas de moteur, le mythe ne fait que l'indiquer en creux. 68 PATRICE BIDOU
Et ce jusqu'au moment où l'on s'aperçoit qu'entre les deux pôles que sont
le

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