Le normal et le pathologique : dépressivité et usages de drogue à l'adolescence - article ; n°3 ; vol.21, pg 85-114

Patrick Peretti-Watel

Description

Sciences sociales et santé - Année 2003 - Volume 21 - Numéro 3 - Pages 85-114
Résumé. Cet article vise à préciser la relation entre humeur dépressive et usages d'alcool, de tabac et de cannabis à l'adolescence, en questionnant le caractère normal ou pathologique de cette humeur. Parmi les adolescents ayant participé à l'enquête auto-administrée ESPAD 1999, 23 % présentent de nombreux signes dépressifs mais, pour la plupart, ces signes ne sont pas accompagnés de manifestations plus graves (tentatives de suicide, fugue...), ni d'usages de drogue plus fréquents que dans le reste de l'échantillon. En discussion, cet article s'interroge sur l'opportunité d'interpréter les usages de drogue à l'adolescence comme l'expression de problèmes psychologiques.
The normal and the pathological: depressive mood and drug use in adolescents
This paper aims at increasing understanding of the relationship between depressive symptoms and alcohol, cigarette and cannabis use among adolescents, by asking whether such symptoms are normal or pathological. The data presented were abstracted from a national school survey (âges 14-19 years) conducted in France in 1999. In this survey, 23% of the adolescents presented strong depressive symptoms, but few of them reported suicide attempts or running away. For those who presented strong depressive symptoms but neither suicide attempt nor running away, the link between such symptoms and drug use was statistically non significant. At last, we questioned the relevance of interpreting adolescents' drug use as the consequence of psychological disorders.
Lo normal y lo patológico : estados depresivos y utilizacion de droga en la adolescencia
Este art 0237culo trata de precisar la relación entre humor depresivo y utilización de alcohol, de tabaco y de cannabis en la adolescencia, cuestionando el carácter normal o patológico de este estado de ánimo. Entre los adolescentes que participaron en la encuesta auto-administrada ESPAD 1999, 23 % presentan numerosos signos depresivos, pero la mayoría de estos signos no se acompañan de manifestaciones más graves (tentativas de suicidio, fugas...), ni de una utilizacion de droga más importante que en del resto de la muestra. El artículo se pregunta si es oportuno interpretar la utilización de drogas en la adolescencia como la expresión de problemas psicológicos.
30 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: SCIENCES_SOCIALES_ET_SANTE4
• Publié le: 01 janvier 2003
• Nombre de lectures: 75
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Patrick Peretti-Watel
Le normal et le pathologique : dépressivité et usages de drogue
à l'adolescence
In: Sciences sociales et santé. Volume 21, n°3, 2003. pp. 85-114.
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Peretti-Watel Patrick. Le normal et le pathologique : dépressivité et usages de drogue à l'adolescence. In: Sciences sociales et
santé. Volume 21, n°3, 2003. pp. 85-114.
doi : 10.3406/sosan.2003.1595
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/sosan_0294-0337_2003_num_21_3_1595Résumé
Résumé. Cet article vise à préciser la relation entre humeur dépressive et usages d'alcool, de tabac et
de cannabis à l'adolescence, en questionnant le caractère normal ou pathologique de cette humeur.
Parmi les adolescents ayant participé à l'enquête auto-administrée ESPAD 1999, 23 % présentent de
nombreux signes dépressifs mais, pour la plupart, ces signes ne sont pas accompagnés de
manifestations plus graves (tentatives de suicide, fugue...), ni d'usages de drogue plus fréquents que
dans le reste de l'échantillon. En discussion, cet article s'interroge sur l'opportunité d'interpréter les
usages de drogue à l'adolescence comme l'expression de problèmes psychologiques.
Abstract
The normal and the pathological: depressive mood and drug use in adolescents
This paper aims at increasing understanding of the relationship between depressive symptoms and
alcohol, cigarette and cannabis use among adolescents, by asking whether such symptoms are normal
or pathological. The data presented were abstracted from a national school survey (âges 14-19 years)
conducted in France in 1999. In this survey, 23% of the adolescents presented strong depressive
symptoms, but few of them reported suicide attempts or running away. For those who presented strong
depressive symptoms but neither suicide attempt nor away, the link between such symptoms
and drug use was statistically non significant. At last, we questioned the relevance of interpreting
adolescents' drug use as the consequence of psychological disorders.
Resumen
Lo normal y lo patológico : estados depresivos y utilizacion de droga en la adolescencia
Este art 0237culo trata de precisar la relación entre humor depresivo y utilización de alcohol, de tabaco
y de cannabis en la adolescencia, cuestionando el carácter normal o patológico de este estado de
ánimo. Entre los adolescentes que participaron en la encuesta auto-administrada ESPAD 1999, 23 %
presentan numerosos signos depresivos, pero la mayoría de estos signos no se acompañan de
manifestaciones más graves (tentativas de suicidio, fugas...), ni de una utilizacion de droga más
importante que en del resto de la muestra. El artículo se pregunta si es oportuno interpretar la
utilización de drogas en la adolescencia como la expresión de problemas psicológicos.Sciences Sociales et Santé, Vol. 21, n° 3, septembre 2003
Le normal et le pathologique :
dépressivité et usages de drogue
à l'adolescence*
Patrick Peretti-Watel**
Résumé. Cet article vise à préciser la relation entre humeur dépressive et
usages d'alcool, de tabac et de cannabis à l'adolescence, en questionnant
le caractère normal ou pathologique de cette humeur. Parmi les adoles
cents ayant participé à l'enquête auto-administrée ESPAD 1999, 23 %
présentent de nombreux signes dépressifs mais, pour la plupart, ces
signes ne sont pas accompagnés de manifestations plus graves (tentatives
de suicide, fugue...), ni d'usages de drogue plus fréquents que dans le
reste de l'échantillon. En discussion, cet article s'interroge sur l'opportu-
* Cet article présente une analyse du volet français de l'enquête ESPAD 1999, réalisé
sous la responsabilité scientifique de M. Choquet et S. Ledoux (INSERM Unité 472,
équipe « Santé de l'adolescent »), en partenariat avec l'OFDT (pôle et commission
Enquêtes en population générale) et le MENRT (Ministère de l'Éducation nationale,
de la recherche et de la technologie). La conception et la réalisation de cette enquête
ont ainsi mobilisé de nombreux chercheurs, que je tiens à remercier. Toutefois l'ex
ploitation proposée ici n'engage que son auteur. Je remercie également P. Heupéget,
H. Lagrange, J.-P. Moatti, le Comité de rédaction de la Revue et deux relecteurs ano
nymes pour leurs commentaires.
Y* Patrick Peretti-Watel, sociologue, Observatoire français des drogues et des toxico
manies (Paris), Observatoire régional de la santé Provence- Alpes-Côte d'A/ur,
INSERM unité 379, Marseille. France ; e-mail : [e-mail] PATRICK PERETTI-WATEL 86
nité d'interpréter les usages de drogue à l'adolescence comme l'expres
sion de problèmes psychologiques.
Mots-clés : adolescence, symptômes dépressifs, usages de drogue.
Conduites à risque adolescentes et malaise psychologique
Dans La gestion des risques, Castel (1981) décrit l'apparition en
France, au cours des années soixante/soixante-dix, de nouvelles stratégies
préventives reposant sur un dépistage systématique et précoce de populat
ions dites « à risques ». Légitimées par un savoir médico-psychologique,
ces stratégies visaient à différencier les « anomaliques » des normaux,
rjour prévoir l'orientation des premiers vers des structures spécialisées (1).
A la même époque, cette volonté de prévenir les problèmes sanitaires et
sociaux en cernant des populations à risques à partir de critères psycholo
giques est encore illustrée par l'ouvrage Les jeunes et la drogue.
Définissant l'usage de drogue comme une « sociopathie », les auteurs
dressent un profil psychologique des adolescents « drogués » (expansivité,
non-conformisme, mésestime de soi...) et cherchent à identifier les jeunes
à « haut risque », baptisés les « droguables », qui ont un profil proche de
celui des « drogués » sans avoir encore consommé, cela afin de faciliter
un dépistage et une prise en charge précoces (Fréjaville et ai, 1977).
Si le terme « droguable » n'a pas survécu aux années soixante-dix,
les préoccupations et les interprétations qui inspiraient ces démarches de
repérage des sujets « à risques » occupent encore aujourd'hui une place
importante en santé publique. Cette importance est illustrée par le succès
contemporain des notions de « risque » et de « conduite à risque » dans la
littérature savante, en particulier dans les revues médicales et épidémiolo-
giques (Hayes, 1992 ; Peretti-Watel, 2002 ; Skolbekken, 1995). Les
« conduites à risque », surtout celles attribuées aux jeunes, suscitent l'i
nquiétude des pouvoirs publics ; elles font l'objet d'enquêtes, de rapports,
de colloques et d'actions de prévention. Outre-Atlantique, le gouverne-
Ci) Dès 1976, le système de Gestion automatisée en médecine infantile (GAMIN)
enregistre les nouveau-nés dans un fichier informatisé pour repérer les sujets à risques.
Les critères retenus incluaient le fait que la mère soit célibataire, mineure, de national
ité étrangère, etc. Ce système a été rapidement démantelé. LE NORMAL ET LE PATHOLOGIQUE 87
ment fédéral a mis en place depuis 1991 le Youth Risk Behavior
Surveillance System (YRBSS), qui combine actions de prévention et
enquêtes épidémiologiques (CDC, 2002). En France, deux rapports offi
ciels publiés au printemps 2002 sont consacrés aux conduites à risque des
adolescents. Les jeunes Français y sont présentés comme les « champions
d'Europe » des conduites à risque, interprétées le symptôme d'une
souffrance psychique (Pommereau, 2002 ; Tubiana et Legrain, 2002).
Cette interprétation est commune à de nombreuses études menées ces der
nières années, épidémiologiques (Choquet et al., 1993 ; Embersin et
Grémy, 2000 ; Marcelli et Mezange, 1999 ; Tursz, 1993) mais aussi socio
logiques (Le Breton, 2002) ou cliniques (Hachet, 2001) (2). Elle donne sa
cohérence à une liste de conduites à risque très longue et fort hétérogène
(Peretti-Watel, 2001a) : usages de drogues ou rapports sexuels non proté
gés, violence ou désinvestissement scolaire, morosité ou troubles aliment
aires, tous ces phénomènes exprimeraient, chacun à leur façon, un même
mal-être, et renver