Le problème de l incroyance au XVIe siècle, d après Lucien Febvre - article ; n°1 ; vol.5, pg 5-26
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Le problème de l'incroyance au XVIe siècle, d'après Lucien Febvre - article ; n°1 ; vol.5, pg 5-26

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Description

Mélanges d'histoire sociale - Année 1944 - Volume 5 - Numéro 1 - Pages 5-26
22 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1944
Nombre de lectures 33
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Marcel Bataillon
Le problème de l'incroyance au XVIe siècle, d'après Lucien
Febvre
In: Mélanges d'histoire sociale, N°5, 1944. pp. 5-26.
Citer ce document / Cite this document :
Bataillon Marcel. Le problème de l'incroyance au XVIe siècle, d'après Lucien Febvre. In: Mélanges d'histoire sociale, N°5, 1944.
pp. 5-26.
doi : 10.3406/ahess.1944.3103
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_1243-2571_1944_num_5_1_3103I
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— — — LE PROBLÈME
DE L'INCROYANCE AU XVIe SIÈCLE
====== D'APRÈS LUCIEN FEBVRE U)
Un ouvrage de Lucien Febvre est toujours une leçon de méthode. Que
ce soit un gros livre ou un article, que le sujet soit Martin Luther, ou
les origines de la Réforme française, où l'incroyance au xvie siècle, il s'agit
d'abord de poser correctement, c'est-à-dire historiquement, les questions
historiques : à chaque fois le titre pourrait être coiffé de ce « chapeau »
batailleur qui annonce le bon combat pour la méthode : « une question
mal posée... ».
En cherchant à mieux poser le problème de l'incroyance au x\ie siècle,
Lucien Febvre dérangera ceux qui sont plus avides de savoir que de com
prendre (p 18). Il était commode de savoir que Rabelais fut libre-penseur
en plein xvr3 siècle. Eien mfeux, savoir qu'il le fût radicalement, avec une
rare audace cachée sous l'onction évangélique ou sous l 'inoffensive irrévé
rence, c'était bénéficier d'une émouvante révélation. Or, voici qu'un histo
rien se demande s'il était possible d'être alors libre-penseur au sens où
nous l'entendons de nos jours. Substituer la question Est-il possible que ?
à la question Est-il vrai que ? voilà une révolution qui pourrait sembler
un abus de l'esprit sociologique appliqué à l'histoire intellectuelle et reli
gieuse. Qu'on se rassure d'ailleurs. Lucien Febvre ne refuse pas de faire
droit au cas singulier, au penseur hors série. Il pose dès le départ le « pro
blème du précurseur » (pp. 6-7). Il lui suffit d'observer avec Rauh que
« comme les autres éléments de son histoire, les croyances morales de
l'humanité ont été, à chaque moment, tout ce qu'elles pouvaient être ».
A supposer qu'un penseur pût devancer les siècles, sa pensée resterait à
bon droit, en son propre siècle, impénétrable et sans portée. Il est certain
qu'un précurseur est, par définition, un anachronisme, un vrai monstre.
A moins que ce ne soit un faux monstre, une illusion d'optique de la
postérité.
Certes, l'illusion d'optique n'est pas un pur caprice des sens. La posté-
îité peut avoir de bonnes raisons pour faire de Rabelais un ancêtre de la
moderne pensée laïque. Certain* reprocheront sans doute à Lucien Febvrô
d'avoir, en replongeant Rabelais dans l'ambiance religieuse de son siècle,
trop abondé dans le sens des erudites recherches de E. Gilson sur Rabelais
franciscain, de l'avoir trop expliqué par ce qui le précède, par ce qui
l'entoure, et, de n'avoir pas assez prêté l'oreille à certain accent de nou-
\eauté triomphante qui transfigure peut-être les \ieilles irrévérences. Pourt
ant, qui aura bien lu ce livre pourra difficilement lui reprocher ď « ins
truire le procès en canonisation du saint homme Rabelais ». Au reste,
que les modernes fassent de Gargantua et de Pantagruel l'usage que bon
1 Bibliothèque de Synthèse historique. L'évolution de l'Humanité n» 53.
Le problème de l'incroyance au \vte siècle. La religion de Rabelais, par L. Febvre,
Park, Albin Michel, igia, xxvii-5',7 p. in-8<> — Cf. L. Febvre, Origène et Des Pé-
riers, ou l'énigme du Cymbalum \Iundi, Paris, E. Droz, 19/12, i45 p. in-8°. 6 ANNALES D'HISTOIRE SOCIALE
leur semble : L. Febvre leur en contestera d'autant moins le droit qu'il
est historien, et qu'il sait, comme tel, combien le présent a toujours aimé
se mirer dans le passé. Mais pour l'historien, la durée est réelle : le temps
ne passe pas en vain, et si l'humanité reste elle-même à travers les âges, il
y a, dans son histoire, des révolutions mentales qui font que les âge®
successifs deviennent radicalement différents.
Tant que nous cherchons aux alentours de 1492 les débuts de l'âge
moderne, nous sommes tentés de situer Rabelais au cœur même de la Révo
lution qui a donné naissance à la pensée moderne. Or, on le voit de
mieux en mieux, c'est entre Rabelais et notre temps que s'est opérée la
révolution mentale d'où le monde moderne est sorti. Les hommes du
xvie siècle « pensaient l'Univers non point, à la façon de leurs fils du
xviie siècle, comme un mécanisme, un système de chiquenaudes et de
déplacements sur un plan connu, mais comme un organisme vivant, gou
verné par des forces secrètes, par de mystérieuses et profondes influences »
(p. 9). L. Brunschvicg avait, dès 1927, mis le doigt sur ce point de rupture
entre le vieux naturalisme et le mécanisme moderne : « La découverte du
principe d'inertie, grâce d quoi le Cogito devient, selon le mot de Pascal,
a le principe ferme et soutenu d'une physique entière », à partir de quoi
so <( prouve la distinction des natures matérielle et spirituelle », était
manifestement la condition nécessaire pour que l'humanité fût en état
d'appeler science cela seulement qui est science véritablement et sans équi
voque, d'appeler âme cela seulement qui est âme et sans
équivoque C'est là ce qui donne sa signification positive à la civilisation
moderne et qui en marque la naissance de la façon la plus précise entre
Campanelld et Bacon d'une part Galilée et Descartes de l'autre1. Le récent
livre de R Lenoble vient de confirmer surabondamment cette vue2.
Dans la mesure où l'irréligion moderne est épaulée par la science, fille
du mécanisme, un abîme la sépare du libertinage du xvr3 siècle.
Inversement, dans la mesure où ce libertinage sympathise avec le natu
ralisme confus contre lequel le mécanisme naissant devra livrer bataille, il
adhère à un passé très ancien, il prolonge une longue suite de siècles au
cours desquels la croyance à l'âme du monde n'était pas incompatible avec
la croyance aux dieux. Rabelais est avant la grande rupture. Il ne suffirait
pas qu'il ait vu dans la nature la source unique de la science et de la
morale, il ne stiffirait pas qu'il ait rejeté le miracle et l'immortalité per
sonnelle en même temps bafouait l'autorité de la scolastique pour
qu'on fût en droit de le considérer comme un père du rationalisme
moderne. Ou, si l'on tient à en faire un « précurseur », il importe d'au
tant plus de comprendre de quelle manière un homme du xvr3 siècle pouv
ait être irréligieux, il est d'autant plus nécessaire d'éviter là-dessus tout
anachronisme. S'il est bien vrai que l'historien pense l'histoire avec les
mêmes concepts qui lui permettent de penser le présent, il n'est pas
moins certain que, pour comprendre l'héritage littéraire d'une certaine
époque, il lui faut reconstituer l'ambiance de cette époque, en bien con
naître les conditions de vie et l'outillage mental. A ce prix seulement
l'irréligion de Rabelais, ou de tout autre de ses contemporains, prendra
son sens historique.
1. Le progrès de la conscience dans la philosophie occidentale, t. I, p. 110-111.
2. Mersenne ou la Naissance du Mécanisme, Paris, ig'i3. Il sera rendu compte
de cet important ouvrage, ainsi que du beau livre de R. Pintard eur le Liberti-
nisme, dans le tome VI des Mélanges. LE PROBLÈME DE L'INCROYANCE
Mais est-i! vrai que Rabelais soit irréligieux ? Lucien Febvre, s 'appuyant
sur tout le travail érudit de ces vingt dernières années, et scutant lui-
même les textes en cause avec sa profonde connaissance du xvie siècle,
soumet à une rude critique la thèse de l'irréligion de Rabelais sous la
forme extrême que lui a donnée Abel Lefranc, en 192З, dans sa mémor
a

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