Le Renard et le Philosophe - article ; n°1 ; vol.8, pg 70-79
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Description

L'Homme - Année 1968 - Volume 8 - Numéro 1 - Pages 70-79
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1968
Nombre de lectures 15
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Luc De Heusch
Le Renard et le Philosophe
In: L'Homme, 1968, tome 8 n°1. pp. 70-79.
Citer ce document / Cite this document :
Heusch Luc De. Le Renard et le Philosophe. In: L'Homme, 1968, tome 8 n°1. pp. 70-79.
doi : 10.3406/hom.1968.366942
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1968_num_8_1_366942NOTES ET COMMENTAIRES
LE RENARD ET LE PHILOSOPHE
par
LUC DE HEUSCH
Mme Dieterlen a poursuivi passionnément pendant de nombreuses années
les enquêtes systématiques sur la religion dogon que Marcel Griaule a conduites
avec une persévérance exemplaire depuis 1935 jusqu'à sa mort prématurée (1956).
Le livre magistral1 qu'elle vient de publier sous leur double signature résume
plus d'un quart de siècle de recherches intensives, d'une ampleur exceptionnelle
dans l'histoire de l'africanisme. C'est la première fois qu'un système mytholo
gique africain nous est décrit avec tant de précision, dans son infinie complexité.
Cette somme impressionnante déroule sous nos yeux une gigantesque cosmogonie
épique où les héros de l'ordre divin tentent de réparer les dégâts provoqués par
l'impatience, la ruse et la fièvre incestueuse du solitaire Ogo, qui poursuivra sa
fascinante destinée sous les traits du Renard pâle. Les Entretiens avec Ogotemméli
(Dieu d'eau), que Griaule publia en 1947, nous avaient révélé le prodigieux
génie fabulateur des « docteurs » dogon. Ces aperçus fragmentaires, chaotiques
et fulgurants, avaient le charme de la narration africaine décousue. Mme Dieterlen,
maîtrisant des matériaux beaucoup plus complexes, réussit une quinzaine d'années
plus tard un tour de force : elle reconstitue à travers des informations innomb
rables, patiemment inventoriées et ordonnées (alors que leur formulation
stéréotypée apparaît souvent étrangement elliptique), l'essentiel d'une tradition
religieuse exceptionnellement riche, dont il faudrait chercher la source dans
l'ancien empire du Mandé.
Cette affirmation historique soulève un problème préalable. Si les ancêtres
des Dogon ont quitté le Mandé entre le xe et le xiue siècle parce qu'ils refusaient
d'embrasser l'islam {cf. ibid., p. 17), il faut comprendre que le mythe cosmogo-
nique commun à un grand nombre de populations d'Afrique occidentale, s'est
élaboré avant l'expansion de cet empire sous l'égide de la dynastie keita, convertie
1. Marcel Griaule et Germaine Dieterlen, Le renard pâle, Paris, Institut d'Ethnologie,
1965, 544 p., 24 pi., 191 fig., 2 cartes (Travaux et Mémoires de l'Institut 72). LE RENARD ET LE PHILOSOPHE 71
à la religion du Prophète depuis le XIe siècle. On voit mal comment l'organisation
« internationale » des Dogon, Bambara, Malinké, etc., aurait pu être « codifiée »
à l'époque de Soundiata (xme siècle) si les premiers fuient précisément le Mandé
(au plus tard à cette époque) pour échapper à la nouvelle religion que ses maîtres
tentent d'imposer. Par ailleurs, les travaux de Mme Dieterlen ne permettent
plus de douter que de nombreuses sociétés du groupe mandé, dont les Bambara
et les Dogon, conservent un très vieil héritage religieux pré-islamique. Celui-ci
a-t-il coexisté pacifiquement avec la tradition maraboutique à la Cour même
du Mandé ? L'on est tenté de le croire puisqu'en 1954 les griots officiels des
Keita participèrent à l'importante cérémonie religieuse qui se déroula à Kaba
(sur le Niger) à l'occasion de la réfection d'un sanctuaire dit « vestibule du Mandé »
{ibid., p. 15). Un trait fondamental du système religieux autochtone aurait pu
faciliter cette coexistence hypothétique : la création est l'œuvre du « verbe »
d'un Dieu unique chez les Dogon.
Dieu (Amma) se trouve au cœur même des spéculations métaphysiques.
Les auteurs lui consacrent le premier chapitre de leur livre. Qu'il me soit permis
de suggérer que nous nous trouvons ici en présence d'une véritable théologie
africaine. Ésotérique, elle est enseignée progressivement à un nombre limité
d'initiés par des « docteurs » qui s'efforcent apparemment d'intégrer des éléments
purement spéculatifs au système mythologique proprement dit, étalé sur plusieurs
registres. Dès lors il est difficile de savoir si les « raccords » astucieux que les info
rmateurs savants établissent entre ces divers registres sont une propriété (au
double sens du mot) intellectuelle des « théologiens » dogon ou s'ils appartiennent
au discours mythique en tant que tel. Il ne s'agit évidemment pas de séparer
le bon fonio du mauvais grain. Mythologie et théologie relèvent toutefois de
niveaux créateurs distincts, qu'il n'est pas toujours aisé de repérer. Une telle
incertitude rend évidemment aléatoire la lecture structuraliste que nous aimerions
faire de ce livre passionnant qui fera date dans l'ethnologie religieuse. Je ten
terai seulement d'indiquer, à titre provisoire, quelques lignes de force susceptibles
de contribuer à un tel projet.
La difficulté majeure du déchiffrement tient au fait que les commentaires
philosophiques des « docteurs » sont soudés aux récits mythologiques qui, à
proprement parler, n'en sont pas puisqu'ils se présentent comme la synthèse
d'informations provenant de sources diverses. Les auteurs pouvaient diffic
ilement adopter une autre méthode et une autre présentation. Ils nous avertissent
eux-mêmes qu'il n'existe pas de texte en langue dogon du mythe du Renard
pâle ; « certaines séquences de l'histoire qu'il relate font l'objet d'invocations
en ' langue du Sigui ' sigi so ; d'autres dans certaines prières en langue dogon
' le nom de Dieu ' ; dans les deux cas, il s'agit de versions extrdites amma boy
êmement résumées ou de textes contenant seulement des allusions [...] Il a donc
fallu suivre l'information pour raconter le mythe [...] Aussi, la rédaction telle
qu'elle est présentée témoigne-t-elle de la façon dont les hommes instruits se
souviennent, en relation avec l'ampleur de l'information... » (ibid., pp. 55-56).
Amma lui-même, à n'en pas douter, est une figure mythique dans laquelle
se déchiffre la structure bipartite de l'univers qui procède d'elle. Mais d'entrée 72 LUC DE HEUSCH
de jeu, la philosophie déborde le mythe de toutes parts. Les auteurs développent
en des pages étonnantes le système des signes dessinés par Dieu avant qu'il ne
créât l'univers. Avec une admirable minutie, ils nous livrent le corpus de l'écriture
symbolique dogon. Des signes fixes donnent vie aux signes mobiles (« complets »)',
lesquels font venir les êtres à l'existence. Ce platonisme de base se complique
d'une philosophie du mouvement vibratoire, que l'on voit fleurir notamment
sur le terrain de la mythologie « agraire », centrée sur la graine initiale. D'un point
de vue éthique enfin, la métaphysique dogon établit une corrélation originale
entre l'insatisfaction et l'imperfection humaines et un certain désordre endémique
de l'univers, symbolisé par le Renard pâle, héros perturbateur du système divin.
Le mouvement même de la genèse, de l'histoire du monde, est commandé par
la pulsion incestueuse et l'agitation fiévreuse qui marquent la forte et attachante
personnalité du Renard : « indépendant mais insatisfait de l'être ; actif, inventif
et dans le même temps destructeur ; audacieux mais craintif inquiet, rusé et
pourtant désinvolte, il incarne les contradictions inhérentes à la condition
humaine » (ibid., p. 53). A plus d'un titre, Ogo le Renard mériterait d'être rap
proché d'un autre perturbateur célèbre de la mythologie africaine, l'Edshu des
Yoruba ; on observera que l'un et l'autre président à la divination. Ogo s'est
séparé prématurément, contre la volonté de Dieu, de son jumeau céleste, le
Nommo, que Dieu sacrifiera ultérieurement pour réparer les dégâts ; le résultat
final est une création imparfaite mais satisfaisante pour l'homme, caractérisée
par une série de termes contradictoires et complémentaires. Ceux-ci se man

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