Le triomphe ambigu de l aide humanitaire - article ; n°151 ; vol.38, pg 641-658
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Description

Tiers-Monde - Année 1997 - Volume 38 - Numéro 151 - Pages 641-658
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1997
Nombre de lectures 75
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

François Jean
Le triomphe ambigu de l'aide humanitaire
In: Tiers-Monde. 1997, tome 38 n°151. Coopération internationale : le temps des incertitudes ( sous la direction
d'André Guichaoua ). pp. 641-658.
Citer ce document / Cite this document :
Jean François. Le triomphe ambigu de l'aide humanitaire. In: Tiers-Monde. 1997, tome 38 n°151. Coopération internationale : le
temps des incertitudes ( sous la direction d'André Guichaoua ). pp. 641-658.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_1293-8882_1997_num_38_151_5154- LA PARTICIPATION CROISSANTE ///
DE LA SOCIÉTÉ CIVILE
LE TRIOMPHE AMBIGU
DE L'AIDE HUMANITAIRE
par François Jean*
La montée en puissance de l'humanitaire au cours de la dernière décennie
s'est traduite par de profondes évolutions du dispositif d'assistance et des
modes d'intervention internationale dans les situations de crise. La réorien
tation des flux financiers en faveur de l'aide d'urgence et des ONG s'est
accompagnée d'un élargissement de la distribution des secours, de la péri
phérie vers le centre des conflits. La multiplication des intervenants interna
tionaux dans les situations de violence soulève des questions de fond sur le
rôle de l'aide humanitaire dans la dynamique des conflits et dans le processus
de privatisation des services sociaux à l'œuvre dans les pays en crise.
Depuis une dizaine d'années, l'adjectif humanitaire connaît une for
tune sans précédent et se décline en permanence en «catastrophes
humanitaires», «interventions humanitaires», «politiques humanit
aires ». Ce triomphe de l'humanitarisme est contemporain de la fin de
la guerre froide, fruit de l'illusion - accréditée par la notion de « com
munauté internationale » - d'une humanité enfin réconciliée autour du
refus de l'inacceptable et symptôme du désarroi face à l'impression de
« nouveau désordre international ». Il est de plus encouragé par l'omni
présence de la télévision, qui privilégie un rapport instantané, sentiment
al et amnésique à la réalité. Ce succès ambigu de l'humanitaire a trans
formé un engagement jusqu'alors marginal en composante importante
des relations internationales dans les situations de crises majeures. Le
label humanitaire est désormais si prisé qu'il est devenu un brevet de
légitimité pour toute action, ou simulacre d'action, diplomatico-mili-
* Directeur de recherche à la Fondation Médecins sans frontières.
Revue Tiers Monde, t. XXXVIII, n° 151, juillet-septembre 1997 642 François Jean
taire. Dans le même temps, nombre d'organisations des Nations Unies,
saisies par l'urgence, se sont tournées vers les terrains de conflit. Mais
cet emballement humanitaire, qui a connu son paroxysme lors de l'i
ntervention en Somalie, est aujourd'hui refroidi, comme en témoignent,
trois ans plus tard, les réactions à la crise des Grands Lacs. Il n'en reste
pas moins que les développements de ces dernières années se sont tra
duits par des évolutions sensibles du dispositif d'assistance et des modes
d'intervention internationale dans les situations de crise. Des évolutions
qui soulèvent des questions de fond sur l'action humanitaire, ses rela
tions avec les pouvoirs et son rapport aux sociétés dans lesquelles elle se
déploie1.
LE REDÉPLOIEMENT DU SYSTÈME DE L'AIDE
Le début des années 90 est marqué par un glissement de l'aide au
développement, pour l'essentiel engagée dans le cadre de relations
d'État à État, vers l'aide humanitaire, de plus en plus mise en œuvre par
des organisations non gouvernementales (ong)2.
Toutes les sources indiquent une augmentation sensible de la part de
Г « aide humanitaire » ou de Г « aide d'urgence » dans une aide publique
au développement (apd) en relative stagnation depuis la fin des
années 80. Selon le comité d'aide au développement (cad) de I'ocde, la
part des « secours d'urgence » (qui n'incluent pas l'aide alimentaire d'ur
gence) est passée de 1,35% à 5,75% de I'apd entre 1980 et 1993. Les
dépenses consacrées par les membres du CAD aux opérations de secours
d'urgence sont passées, sur la même période, de 610 millions de dollars
à 3 284 millions de dollars (en dollars constants). La tendance est simi
laire pour l'aide bilatérale dont la part consacrée aux secours d'urgence
est passée de 1,5% à 8,27% entre 1982-1983 et 19933. De même, pour
l'Office humanitaire de la Communauté européenne (echo), le volume
de l'aide d'urgence a été multiplié par 6,6 entre 1990
et 1994, passant de près de 120 à plus de 760 millions d'écus.
Cette redirection des flux financiers en faveur de l'aide humanitaire a
eu pour conséquence inattendue de conduire certaines institutions à
dépasser la dichotomie urgence/développement, fort à la mode dans les
années 80, pour mettre en avant un continuum urgence-réhabilitation-
1 . Le lecteur pourra aussi se reporter aux études de cas présentées par S. Adnan et С. В. Dulce dans
Revue Tiers Monde, n° 150, avril-juin 1997 (N.d.l.R.).
2. John Borton, Recent trends in international relief system, Disasters, 17 (3), 1993.
3. La part de l'aide d'urgence dans I'APD représentait, en 1993, 12,18% pour l'Allemagne, 17% pour
la Hollande, 12,38 % pour la Grande-Bretagne et 9,55 % pour les États-Unis. Le triomphe ambigu de l'aide humanitaire 643
développement. Prenant acte des évolutions du marché de l'aide,
nombre d'organisations internationales se sont repositionnées dans l'u
rgence et se piquent désormais d'intervenir sur les terrains de crise
ouverte. Mais, par-delà ces ajustements institutionnels, la dernière
décennie a été marquée par une profonde recomposition du champ des
acteurs dans le domaine de l'aide d'urgence : malgré l'entrée en scène de
l'humanitaire d'État, les organismes nationaux ne jouent encore - en
dehors des interventions « militaro-humanitaires » - qu'un rôle secon
daire sur des terrains marqués par la présence des organisations multilat
érales et, surtout, par la montée en puissance des acteurs privés.
Le rôle des ong dans la mise en œuvre de l'aide internationale s'est
considérablement développé depuis une dizaine d'années. Au-delà des
fonds privés, souvent considérables, qu'elles mobilisent auprès du grand
public, elles canalisent une part croissante des financements publics four
nis par les pays donateurs. Selon le Programme alimentaire mondial
(рам), la part des ong dans la distribution de l'aide a considé
rablement augmenté depuis une dizaine d'années, passant de 9,76 % à
20,96 % entre 1988 et 1994. Cette évolution est particulièrement marquée
dans les situations de crise : entre 1990 et 1994, echo a attribué aux ong
entre 45% et 67% de ses financements au titre de l'aide d'urgence.
En 1991, les ong canalisaient, en termes nets, plus de ressources que la
Banque mondiale. Cette place se confirme pour les principales crises du
moment. Ainsi, en 1994, les ong ont reçu 1 16 millions de dollars, soit plus
de 40 % de l'aide humanitaire de l'Union européenne pour Гех- Yougoslav
ie et 13 millions de dollars, soit près de 44 % de l'aide humanitaire euro
péenne au Libéria. Selon le Département des affaires humanitaires des
Nations Unies (dha), elles ont canalisé, en 1993, 100 millions de dollars,
soit 47 % de l'aide internationale à la Somalie et la même somme, soit
49% de l'aide d'urgence au Soudan. Des pourcentages souvent plus
importants que ceux des agences des Nations Unies1.
En bref, deux tendances se dégagent : la part de l'aide humanitaire
dans les flux d'aide en faveur des pays du Sud ne cesse d'augmenter et
les acteurs privés jouent un rôle croissant dans la mise en œuvre de l'a
ssistance internationale.
1 . Il ne s'agit bien sûr ici que de données fragmentaires et très largement incomplètes sur des catégories
assez mal définies ou ayant des définitions différentes selon les sources - « aide d'urgence », « aide humanit
aire », « ONG »... De surcroît, ces chiffres ne prennent en compte que les financements publics canalisés par
les ONG et n'intègrent pas les fonds privés, souvent considérables, drainés

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