Les entretiens informels - article ; n°1 ; vol.30, pg 157-180
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Description

Sociétés contemporaines - Année 1998 - Volume 30 - Numéro 1 - Pages 157-180
Informal interviews
The formal interview used with people from the underclass often leads to the confrontation of two worlds: the ordinary world embodied by the sociologist, and the world of survival emergency experienced by the person being interviewed. Sometimes this gap between interviewer and respondent can get so large that the interaction produces onirism, stereotyped stories, reactions of violence, and a resistance to being questioned. To overcome these problems with interviewing in these circumstances, we propose an approach inspired by the sociologists of the Chicago School: using informal interviews. Using a method of oriented conversation, the sociologist adjusts the interview topics so the interaction more closely resembles a conversation. This approach has a better chance of establishing a relationship based on common humanity.
L’entretien formel utilisé auprès des sous-prolétaires se résume souvent à un affrontement entre deux mondes: celui du monde ordinaire que représente le sociologue, et celui de l’urgence de survie que subit la personne interrogée. Décalage dans la communication au point que se mélangent, au coeur de l’échange, onirisme et histoires stéréotypées, réactions de violence et sentiment de subir un interrogatoire. Afin de tenter de pallier ces inconvénients de l’entretien semi-directif, nous proposons, dans la lignée des travaux inaugurés par les sociologues de l’École de Chicago, un outil supplétif se définissant comme un entretien informel. Par une méthode de conversation orientée, le sociologue s’éloigne du guide d’entretien pour se rapprocher de l’interaction ordinaire des «classes populaires» et établir une relation de commune humanité.
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Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 1998
Nombre de lectures 41
Langue Français

Extrait

     P R U N E T E A U X B A T R I C K     C O R I N N E L A N Z A R I N I 
LES ENTRETIENS INFORMELS
RESUME :L’entretien formel utilisé auprès des sous-prolétaires se résume souvent à un affron-tement entre deux mondes : celui du monde ordinaire que représente le sociologue, et celui de l’urgence de survie que subit la personne interrogée. Décalage dans la communication au point que se mélangent, au cœur de l’échange, onirisme et histoires stéréotypées, réactions de violence et sentiment de subir un interrogatoire. Afin de tenter de pallier ces inconvénients de l’entretien semi-directif, nous proposons, dans la lignée des travaux inaugurés par les socio-logues de l’École de Chicago, un outil supplétif se définissant comme un entretien informel. Par une méthode de conversation orientée, le sociologue s’éloigne du guide d’entretien pour se rapprocher de l’interaction ordinaire des«classes populaireset établir une relation de commune humanité.  Lors de nos recherches menées auprès des jeunes sous-prolétaires des cités1 et des sous-prolétaires à la rue2, nous nous sommes rendu compte que les entretiens semi-directifs, avec demande formelle préalable, début d’échange et séparation au bout de deux heures de questionnements intensifs, étaient rarement exploitables. Comme W. F. Whyte (1996) l’a précisé dans la célèbre post-face méthodologique à son enquête dans un quartier populaire italo-américain, «la vie sociale à Cornerville (auprès de la bande des Nortons)n’obéissait pas à la logique des rendez-vous for-mels (...). Je recueillais peu d’entretiens au sens formel du terme. J’ai appris à prendre part aux discussions sur le base-ball et sur le sexe. Relation de face à face, création d’une « niche de communication  au moyen d’une « transparence relationnelle  : autant de conventions définissant une situation à part qui n’est pas acceptée en tant que telle par la population des sous-prolétaires. Le locuteur est averti de l’entrée en discussion par des signes tangibles que livre ex-plicitement l’enquêteur : celui-ci a fixé un rendez-vous, il a choisi le lieu de l’entre- 1.Pour les jeunes des cités, nous avons utilisé une démarche ethnographique dans plusieurs grandes cités de la banlieue parisienne, et nous avons travaillé pendant un semestre environ dans une cité de banlieue d’une grande ville de province. 2.Pour les personnes à la rue, nous avons étudié une « structure d’accueil de jour pour sans-abri  pendant 18 mois en province, et effectué pendant 4 mois un travail de terrain auprès d’un groupe de sous-prolétaires à la rue à Paris. Depuis deux ans, nous travaillons dans les structures d’une associa-tion caritative parisienne et avons rencontré individuellement et collectivement des dizaines de per-sonnes. Enfin, depuis cinq années environ, nous rencontrons, en fonction des situations, des agents qui font la manche sur les trottoirs, dans les gares ou les transports publics. Sociétés Contemporaines (1998) n° 30 (p. 157-180)   157 
P A T R I C K B R U N E T E A U X , C O R I N N E L A N Z A R I N I         tien, il a adopté une attitude d’écoute sérieuse (provoquant ainsi généralement l’hila-rité chez les enquêtés – c’est un « bouffon ), enfin il avertit le locuteur que la dis-cussion va commencer, et qu’il va être enregistré, ou qu’on va lui faire passer un questionnaire. C’est alors que le locuteur découvre, à travers la relation de question-nement, qu’il se situe dans un cadre social3 spécifique, étrange (l’abstraction du «speech event), voire menaçant. Au cours des recherches que nous avons menées auprès des publics de sous-prolétaires4, nous avons chaque fois fait le constat d’une extrême difficulté à propo-ser un « contrat de conversation . Lorsque nous organisions des rencontres indivi-duelles ou collectives avec des jeunes des cités, dans des gymnases (vestiaires), de-vant les cages d’escalier ou dans des salles d’animation (en dehors des heures d’ouverture), introduits par des « Grands-frères  ou des animateurs reconnus (qui sont souvent les mêmes personnes), l’entrée formelle paralysait tout le monde et provoquait un silence gêné succédant au brouhaha généralisé, ou bien des rires étouffés et jamais expliqués lorsque nous donnions la parole. La seule présence du microphone (A -M Waser, 1993) suffisait à polariser toute l’attention des jeunes . . (par peur d’être reconnu, par méfiance à l’égard de tout « enquêteur , par honte à s’exprimer officiellement en « français  légitime...). Beaucoup ne venaient pas aux rendez-vous fixés et dans l’ensemble, quand un « enquêté  poussé par un animateur se retrouvait en face du chercheur, ce dernier ressemblait alors à un comédien en ré-pétition qui alternativement formulait ses questions et proposait les réponses. Ce « protocole  d’enquête soulève beaucoup d’agressivité. L’un des deux en-quêteurs passe la majeure partie de l’échange à calmer le jeu et à essayer de convaincre les enquêtés de ses « bonnes  intentions alors que l’autre perd son temps. Les sous-prolétaires à la rue demandent ouvertement de l’argent ou réfléchis-sent au profit qu’ils peuvent dégager matériellement (connaître quelqu’un ou quel-que chose qui puisse « dépanner , rendre des services) ou physiquement de cette relation sociale inutile. Dans l’univers de la survie, toute ressource est bonne à pren-dre et les offres matrimoniales représentent une perche parmi d’autres pour «recommencer une vie normale. Par ailleurs, l’homme « qui parle bien  est perçu comme un concurrent et rencontre souvent, dans les lieux de résidence collective et malgré les propositions féminines, une hostilité générale lorsqu’il s’adresse à une femme, leur rareté venant ajouter à la crispation ambiante. Inversement, le même  3.Cette étiquette de la recherche renvoie à un monde policé qui revendique haut et fort les valeurs de liberté et d’expression individuelles. Dans ce cadre, le locuteur devient un « individu de parole  qui s’exprime : on se présente à lui, on lui demande poliment s’il accepte d’honorer un « contrat de conversation , on lui offre une situation de maîtrise relative des conditions de l’enquête : droit de s’asseoir, de se ménager des pauses, de prendre le temps de réfléchir avant de répondre. Il dispose de la liberté de stopper les réponses ou l’entretien, et de quitter la scène de parole à tout moment. 4.les exclus relatifs du système capitaliste qui, à la fois, les rejette desDéfinis, d’une part, comme positions les plus exploitées (ce que Marx appelle « la surpopulation relative stagnante  et M. Har-rington « les bas-fonds économiques ), et en dispose structuralement comme « armée de réserve  et comme repoussoir autorisant une pression sur les salariés. Et, d’autre part, comme des individus confrontés à des situations inhumaines de survie. L’infra-humanité caractérise un ensemble de pri-vations ou d’atteintes qui affectent une ou plusieurs dimensions de l’existence proprement humaine, notamment l’autonomie relative (travail, congés maladie, retraite…) dans l’obtention des moyens assurant le maintien de soi dans un cadre collectif (logement, nourriture, vêtements, frais de sociali-sation des enfants...).
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         O U S - P R O L E T A I R E S S N F O R M E L S , I N T R E T I E N S E phénomène de rareté est ce qui « dénature  les entretiens avec une chercheuse du « monde ordinaire  en les convertissant en drague permanente ou en proposition sérieuse de « se ranger . La parenthèse sociale de l’entretien formel peut aussi être porteuse de violences symboliques, lorsque le chercheur fait apparaître des récits de ruptures et de souffrances qui déchirent le voile de l’honneur ; lorsqu’il pousse à concentrer en une heure ou deux un retour sur soi qui aligne les épisodes douloureux de l’existence et fait « craquer  la personne. Dans ces conditions, il n’est pas éton-nant d’avoir le sentiment partagé de « provoquer  les sous-prolétaires. Ce type d’entretien rigide a déjà fait l’objet de tout un ensemble de réflexions et de démarches, centrées à l’origine principalement autour de groupes éloignés des normes « des classes moyennes  dont font partie les chercheurs (Hughes et Benney, 1956 ; Hughes, 1997). Depuis l’École de Chicago et les incitations de R. Park et sur-tout celles de E.C. Hughes et de B. Junker (1960) à adapter les entretiens au public visé, de multiples chercheurs ont aménagé la procédure de «l’entretien standardi- (1996) qui dé- Kaufmann. Une des démarches les plus récentes est celle J.C. nonce le consensus qui transparaît dans de nombreux manuels académiques à propos de la conduite des entretiens formels. C’est ainsi que J. Blanchet écrit que «la per-sonnalisation des entretiens pose problème et A. Gotman que le but visé est une standardisation de l’entretien mené de sorte qu’il soit possible «de conduire tous les autres entretiens de la même manière, afin de réduire au minimum les variations d’un entretien à l’autre (Blanchet et Gotman, 1985). Les critiques s’accordent pour la plupart sur deux propositions : effacer tout contrat de conversation ou agir à l’intérieur de la parenthèse officielle. Dans le pre-mier cas, les recueils souples d’information en situation ethnographique transitent souvent par une démarche invisible. Lorsque l’observateur disparaît en tant qu’acteur officiel, les Anglo-saxons parlent de « covert researcher , de « unknown observer  (observateur caché ou clandestin) ou de « covert role  (rôle masqué ou non déclaré). La notion « d’espion  et « d’observateur en secret  est clairement défendue par E.C. Hughes, B. Junker ou même, avant eux, par V. Palmer (1928). La dilution du rôle officiel a été au fondement de nombreux travaux dans des hôpitaux (E. Goffman, 1972) ; et J. Péneff souligne à propos des entretiens biographiques que : «Les biais de la différence de classe entre interlocuteurs ont été jusqu’ici mal perçus. Pourtant ce type de dialogue est particulièrement exposé aux décalages et incompréhensions de classes (...) Les conditions ordinaires de l’entretien biographi-que manifestent la différence de classe et portent la marque d’un ethnocentrisme: on propose aux ouvriers, aux paysans, un style de conversation proche de l’échange intellectuel mais éloigné de leurs pratiques (assis, au salon, en tête à tête avec un magnétophone). Le contenu de la demande«votre viecontre un peu de considéra-tion symbolique de la part de l’intellectuel rend encore plus sensible l’entretien aux artifices de la relation superficielle entre inconnus. Une solution (…) est de mener l’entretien biographique au plus près des situations naturelles de la conversation, dans le milieu étudié Péneff, (J. 1993). Inversement, l’acteur social (ouvrier, tra-vailleur social...) peut étudier son propre milieu sans s’afficher comme chercheur tout en analysant le milieu à partir de discussions courantes (N. Anderson, 1993). L’adaptation des entretiens formels peut affecter aussi ses modalités internes lorsqu’il s’agit de se rendre aussi acceptable que possible à un enquêté qui est placé officiellement dans un cadre d’échange verbal. «La forme de la conversation est
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P A T R I C K B R U N E T E A U X , C O R I N N E L A N Z A R I N I         alors travaillée de l’intérieur : «La communication est supposée être très proche de la communication entre égaux, de telle sorte que l’information recueillie est consi-dérée comme celle qui viendrait d’un homme parlant librement à un ami (Hughes, 1997). Les interactions elles-mêmes peuvent faire l’objet, dans certaines limites, d’un travail de présentation (G. Mauger, 1991). Les façons de parler les plus proches des normes en vigueur du groupe sont aussi l’objet d’une « profilisation  (J.F. Laé, 1989). Avant de préciser comment nous avons procédé auprès des populations sous-prolétaires, en bricolant les entretiens pour agir sur la parenthèse elle-même et à l’intérieur du flux d’échange, nous allons étudier plus précisément les principales difficultés rencontrées dans l’utilisation du protocole formel de l’entretien semi-directif. 1.ENTRETIENS FORMELS ET SOUS-PROLETAIRES : UN CADRE POUR UN AFFRONTEMENT 1. 1.L’URGENCE S’adresser à des sous-prolétaires pour effectuer des entretiens formels entre en contradiction avec leurs conditions de vie. En effet, la particularité essentielle de « l’autre monde  tient à l’urgence de survie qui est la base même du quotidien. La course journalière pour la reproduction des forces ne prédispose guère à accorder du « temps statique  à un étranger, parenthèse improductive qui interdit largement l’introspection et la reconnaissance d’un quelconque intérêt pour ce type de pratique. Comme le disait l’un d’entre eux, «ça me prend tout mon temps d’être pauvre. Ce « désintérêt  pour la chose scientifique se justifie par une véritable perte matérielle que les personnes ne veulent, ni ne peuvent risquer : perte des clients pendant la manche, subsides indispensables pour payer la nuit d’hôtel à trouver par la suite, re-tard dans le retour au foyer qui peut provoquer une éviction du lieu et la perte du re-pas, refus de subir un événement de parole dans le froid, autour d’une soupe popu-laire où toute l’énergie est polarisée sur la nourriture à recevoir. 1. 2.ONIRISME ET VIOLENCE Outre la honte culturelle de ceux qui ne peuvent s’exprimer dans les normes lin-guistiques légitimes, le refus de communiquer dans ce type de cadre est aggravé par le fait que les sous-prolétaires ne peuvent pas étaler une « trajectoire , une « car-rière , notions qui impliquent un processus d’accumulation. Au contraire, leur vie est remplie d’épisodes de ruptures et aligne défaites, crises et pertes de ressources. Pour se protéger, l’interactant peut simuler facilement une façade et livrer des don-nées invérifiables : il ment ou brode. Le mensonge peut procéder d’une victoire contre l’étranger du dessus : parler est d’abord se faire plaisir, prendre la parole, rê-ver tout haut et se laisser chavirer dans l’onirisme social (bientôt voyager, retrouver un emploi de patron...) (C. Lanzarini, 1997a). Les sous-prolétaires se font souvent plaisir et plutôt que de se « libérer  en paroles en évoquant leurs souffrances, ils li-bèrent leurs espoirs, leurs attentes, s’octroyant une prime existentielle imaginaire. L’onirisme social est ainsi à la fois une donnée du milieu que l’on a pu observer en situation naturelle, et un effet de l’entretien face à un agent du monde ordinaire par
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         N T R E T I E N S E N F O R M E L S , I O U S - P R O L E T A I R E S S rapport auquel il faut dissimuler les déchéances, les illégalismes, les hontes ou, in-versement, en profiter pour « se faire mousser  ou « se la jouer .  l’opposé de cette fuite dans l’imaginaire, les sous-prolétaires peuvent entrer de plein fouet dans le face-à-face pour briser le cadre. L’entretien ouvert génère sou-vent des ripostes face à des situations anxiogènes qui attestent l’incapacité « à se mesurer  dans un échange cognitif et réflexif : violences physiques ou menaces (de « faire une tête , de pousser dans le fleuve situé à proximité), refus ouverts («Il me prend la tête lui ; «C’est tout ce que j’ai à dire, pigé ? ; «Moi, j’ai rien à direl’échange de manière injonctive. Tout se passe), ou réponses rapides clôturant ainsi comme si cette population ne pouvait pas « entrer  dans le cadre de l’entretien formel, s’en éloignant dans l’interaction même (onirisme) ou s’en rapprochant trop en marquant fortement la distance (affrontement). 1. 3.LES HISTOIRES STEREOTYPEES Les entretiens formels soulèvent une autre difficulté majeure, liée à un effet de halo engendré par les histoires stéréotypées issues des rencontres – qui ont aussi toute une histoire5travailleurs sociaux et sous-prolétaires. En effet, le suivi entre  – par les professionnels du social « commande  une mise en récit des malheurs vécus, ce qui légitime l’administration de l’aide sociale. Lorsque le chercheur sollicite un entretien formel, il risque de ne recueillir que ces histoires préfabriquées et « condensées  destinées à légitimer les demandes adressées aux services sociaux. Les sous-prolétaires ont tous eu une enfance « difficile  ponctuée de violences in-tra-familiales, de divorces ou de séparations, de placements en institution, de fugues, d’actes de « petite délinquance  et de séjours en prison, parfois dès l’âge de 16 ans, d’échecs dans leur installation à leur « compte , de dettes auprès de diverses instan-ces publiques ou privées, de chômage et de petits boulots, d’accidents du travail. L’absence de soutien familial, le recours indispensable à l’aide publique pour survi-vre, complètent le tableau des caractéristiques biographiques qui se retrouvent au-près de tous les sous-prolétaires rencontrés. Le premier aspect tient donc au partage de certaines expériences « lourdes , « les traits structurels saillants  (P. Grell et A. Wery, 1993) qui sont pensés par l’acteur en terme de ruptures idiosyncratiques Ça n’arrive qu’à moi, «J’ai pas eu de chance…). Ces histoires renvoient aux réponses que les individus forgent dans leurs rela-tions avec les institutions d’assistance. Il s’agit de construire une histoire acceptable afin que la demande soit entendue. En effet, le travail social procède notamment à partir de demandes d’aide financière impliquant un résumé pertinent de l’histoire du demandeur. Cette synthèse est effectuée auprès des instances supérieures, expose les attentes de la personne et dresse un état de sa situation qui légitime la demande. Ces histoires « déformées  le sont à cause de trois tactiques majeures engagées dans ces épreuves discursives : l’enfermement dans des séquences répétitives, la dramatisa-tion, l’artificialité de la mise en cohérence des histoires de vie.
 5.procède par un système « d’essais/erreurs , testant les effets de certains éléments deLe demandeur son histoire, en éliminant d’autres qui ne « passent  pas. Et c’est ce produit fini qui est ensuite ra-conté sur le mode de la restitution biographique au travailleur social.
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P A T R I C K B R U N E T E A U X , C O R I N N E L A N Z A R I N I         Tout d’abord, dans l’entretien formel, l’interviewé aura tendance à proposer des témoignages enfermés sous forme de séquences répétitives exprimant un nombre limité d’événements de rupture, cristallisés d’ailleurs par les confirmations des assis-tants sociaux lorsqu’ils interprètent « les faits  en présence des demandeurs. Ces histoires sont simplifiées et clarifient la situation auprès de l’intervenant en lui don-nant des repères compréhensibles (date du départ du foyer familial, début de l’alcoolisme, perte de travail). En second lieu, elles cherchent à dramatiser les ruptures et conduisent à l’élabo-ration de «récits du malheur (J.F. Laé et N. Murard, 1995) qui relèvent d’un tra-vail « public  pour les «autres (R. Hoggart, 1970). Cet auto-misérabilisme passe sous silence de nombreuses zones d’existence, en particulier les faits de prédation, les pratiques illégales, les mobilisations personnelles où la personne « fait face . La biographie est donc polie pour les besoins de la cause, et des pans entiers de l’his-toire de vie disparaissent ainsi des dossiers sociaux et parfois même de la mémoire du sous-prolétaire. Enfin, l’histoire de vie racontée doit être cohérente, linéaire, et doit évacuer au-tant que possible la responsabilité personnelle, sans quoi l’aide ne serait pas obtenue. Le récit est livré comme une série d’actes d’infortunes extérieurs et imprévisibles. C’est ainsi que, au bout du compte, des histoires de vie homogénéisées sont li-vrées indifféremment aux travailleurs sociaux, aux pairs ou aux sociologues. D’autant que le sociologue peut se trouver confondu avec un travailleur social, (sur-tout s’il s’agit d’une sociologue), et à ce titre se trouver interpellé(e) soit comme as-sistante sociale, soit comme une sorte d’instance supérieure parce que le travail de recherche sera finalement livré à un ministère, lieu de regroupement des « responsables . Aussi, proposer un échange sous la forme d’un entretien formel interdit de dépasser ces effets non maîtrisés et empêche l’appréhension des pratiques de mobilisation face aux souffrances. Comment, en effet, expliquer de quoi est com-posée « la débrouille  à quelqu’un dont on suppose qu’il attend un exposé détaillé des malheurs de la vie et qui risque d’abandonner à son sort celui qui montre sa ca-pacité à survivre ? 1. 4.L’EFFET INTERROGATOIRE Le cadrage institue une durée car il introduit des ruptures : commencement, consommation, bouclage. La course contre la montre est commencée pour retenir un acteur qui entre dans un espace-temps autre, voire étranger, dans lequel il ne voit pas forcément ce qui le retient. Les dominants ont une grande expérience des cadres in-teractionnels : entretiens d’embauches, interrogatoires, rendez-vous d’affaire, rituels protocolaires. Ils peuvent donner à l’entretien une forme vidée de la substance qu’ils y mettent habituellement parce que le sociologue ne remplit pas, lui non plus, leur cadre ordinaire. L’art de se dérober, de contrôler le flux de paroles, de remplir l’échange sans rien trahir ni se trahir, d’orienter l’intrus sur de fausses pistes, de suggérer plutôt que dire, de questionner le questionneur (M. Pinçon-Charlot et M. Pinçon, 1997), d’imposer les thèmes de discussion, de s’opposer ouvertement à telle question, constituent autant de savoir-faire pratiques qui parasitent l’entretien sociologique.
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         O U S - P R O L E T A I R E S S N F O R M E L S , I N T R E T I E N S E Mais tout compte fait, la relation peut s’établir. La politesse, la recommandation, l’ordre de la hiérarchie (R. Lenoir, 1996), permettent d’aborder ces agents dans l’ordre du cadre formel de l’entretien. Les deux univers communiquent, et pour cause, la structuration de l’entretien obéit aux normes posées par des droits de l’homme régulés par les dominants : contrat de conversation (E. C. Hughes, 1997), rôle de représentation du porte-parole du social, opinion personnelle légitime, no-tamment parce qu’elle se fonde sur un savoir de spécialiste en direction d’un non-spécialiste : « ’ilLe magistrat attend du sociolog rectifie l’image sociale du ue qu juge, me constituant comme une sorte de confident public (R. Lenoir, 1996). Par contre, dans les milieux précarisés à l’extrême, l’entretien formel crée une posture critique liée à la chute hors des définitions sociales légitimes : statut, convention col-lective, droit commun de la santé, droits politiques. L’entretien ressemble alors à ce monde qui a exclu, celui des entretiens d’embauches ou des remises en place du contremaître, des entretiens avec le prospecteur placier, des contrôles d’identité et des interrogatoires de la police. L’entretien renvoie au protocole, aux manières des dominants, par une façon d’aborder homologue à ce que les dominés rencontrent lorsqu’ils se confrontent aux intermédiaires délégués auprès d’eux : travailleurs so-ciaux, policiers, bénévoles des associations de proximité. Provoquer une parole publique exerce deux effets de perturbations. Du côté des questions, l’entretien peut prendre la forme d’un interrogatoire. Du côté des répon-ses, il peut inciter les répondants à se poser en porte-parole et à amplifier la portée des discours tenus. La posture d’interrogation recoupe une situation sociale fortement investie de sens «on veut savoir pour me contrôler et de valeur, en l’occurrence la crainte ou la détestation. Les enquêtes auprès des jeunes sous-prolétaires des cités se réalisent le plus souvent en reconnaissant ouvertement les valeurs du groupe et en les parta-geant : ce qui consiste à effectuer les entretiens informels sur leurs lieux de vie, c’est-à-dire à la fois dans l’enceinte territoriale (le quartier) et sur les lieux pertinents de vie (cave, cage d’escalier, vestiaires de gymnase, maison de quartier, station de métro, banc public) ; « rester à discuter  sans compter (P. Bruneteaux, 1994) ; pou-voir être disponible, discuter et fumer « en bas des barres , tard le soir (Aquatias, 1998) ; reconnaître le bien fondé des vols ou des vengeances, participer à une soirée, à une virée, à un « plan . La parole constitue un risque aux conséquences dangereu-ses : en dire trop, n’est-ce pas risquer de perdre les combines, les petits plans, se faire avoir, se faire «carroter, «se faire baiser une fois de plus ? Se voir sup-primer une aide financière... ? Cacher l’information est l’attitude la plus logique d’un point de vue tactique chez les plus démunis. 1. 5.L’EXPLICITE SUREXPLICITE Alors que, dans les conversations ordinaires, les propos échangés le sont dans une sorte de couplage flou, dans l’entretien, ce qui est dit, explicité, est surexplicité à cause de son formalisme.
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P A T R I C K B R U N E T E A U X , C O R I N N E L A N Z A R I N I         UN RETOUR SUR SOI INHABITUEL Les parenthèses interactionnelles commandent un retour sur soi ; à l’inverse la vie ordinaire est plutôt la mobilisation d’un sens pratique indexicalisé, qui permet d’adhérer aux contextes évolutifs et fuyants des différents champs traversés. Ce re-tour sur soi exerce d’autant plus d’effets qu’il fonctionne sur un registre très concen-tré, lorsqu’il s’agit de récits de vie. Et cette réflexivité existentielle est souvent in-supportable aux sous-prolétaires « sans logement  qui se mettent progressivement et fréquemment à pleurer, le sociologue conduisant l’individu à se remémorer en bloc tous les moments clés d’une vie dont un grand nombre constituent des épisodes douloureux6. Cependant, M. Pollak (1990) a montré à partir de récits sur la vie concentration-naire comment les entretiens biographiques peuvent participer à restructurer l’identité notamment lorsque les personnes ont un désir conscient ou inconscient « à parler  : personnes ayant connu une rupture (camps de la mort, maltraitance dans l’enfance, accident grave) ou personnes se trouvant dans une situation critique qui les porte à être critiques. Dans la mesure où une souffrance existe et favorise l’entrée invisible en entretien thérapeutique, les effets de l’entretien risquent d’être très puis-sants, la personne recherchant une implication de l’enquêteur, un soutien, un « étayage  comme disent les psychologues. Quand l’enquêteur parvient à forcer les barrières, il entre dans une dimension émotionnelle très puissante. Mais la plupart du temps, les refoulements de la vie ont cimenté l’espace indicible et l’enquêteur re-cueillera un entretien avec des blancs importants (sur une maltraitance de l’enfance ou de la vie conjugale, un passage en prison, l’existence de « plans  illégaux ac-tuels). Ce retour sur soi peut faire fuir des acteurs qui préfèrent réserver cette ouverture de leur âme à leurs éventuels confidents et selon des rythmes là encore informels (autour d’un verre, en pleine nuit, après un événement). La mise en forme propre à l’entretien n’est donc pas simple restitution de faits déjà connus mais aussi structura-tion de la mémoire, mise en ordre et mise en forme de son moi, aveux publics d’actes dissimulés. Des personnes qui ont souffert, connu des ruptures, des événe-ments traumatiques – comme les adolescents abusés, les personnes « délinquantes  qui sont « sortant de prison  et celles « désaffiliées  (R. Castel, 1995) qui se re-trouvent à la rue, ne peuvent facilement se mettre en récit, « se raconter . Le vécu antérieur crée un coût émotionnel lié à une justification pénible du passé.
 6.d’un entretien effectué dans le cadre d’une en-Un des exemples les plus frappants a été vécu lors quête de l’INED. Il s’agissait de faire préciser par l’interwievé les éléments de sa biographie so-ciale, familiale, professionnelle, avec autant que possible des dates et des lieux précis. Les condi-tions de vie extrêmement précaires de l’homme rencontré (hébergement finissant en centre d’urgence, ressources réduites au RMI…), la difficulté dans laquelle il était d’ordonner ses répon-ses à mes questions, m’ont conduite à le laisser parler de sa vie comme il l’entendait et à demander de temps à autre « c’était où ?  et « c’était quand ? . Les demandes de précisions sur tel ou tel as-pect de sa vie déclenchaient des angoisses telles qu’il lui devenait impossible de parler durant quel-ques minutes, et les sanglots étouffés limitaient la compréhension de ses dires.
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         N F O R M E L S , S N T R E T I E N S I O U S - P R O L E T A I R E S E L’EFFET DE LA TRACE Cette surexplicitation de soi propre à l’entretien formel est redoublée par l’effet d’objectivation. Les journalistes connaissent ces demandes de parole hors micro, connaissent le poids de la parole enregistrée, par une parole qui s’officialise et peut se pérenniser. L’enquêteur s’enfuit avec ce que l’on vient de lui confier. Il est arrivé que des personnes ayant donné leur témoignage insistent pour qu’on leur rende la cassette. D’autres sous-prolétaires ont cru lire dans la presse des extraits de leur té-moignage7. La parole objectivée suscite de profondes réserves de la part des person-nes enquêtées, parce qu’elles ont été poursuivies par la justice ou qu’elles risquent de l’être, et que la situation présente leur rappelle dans la honte les statuts anciens. Cette extériorisation est sans doute ce qui induit l’idée de perte de sens, d’offrande sans contrepartie d’une parole privée que « l’autre  va s’approprier, conserver. Parce que la personne n’existe pas dans ce type d’échange – elle a déjà perdu beaucoup tout au long de sa vie – elle peut considérer que c’est une partie de son moi qui la quitte avec le discours enregistré. Alors que la relation amicale revi-vifie, la discussion instrumentale dépersonnalise, jusqu’à donner l’impression que la parole prive l’enquêté d’une partie de son être. C’est une parole aliénée, une « prise  de parole. Autrement dit, lorsqu’un sous-prolétaire évoque la série des traumatismes qui l’a conduit à la rue, l’enquêteur doit être pleinement investi dans une écoute active sans manifester son intérêt personnel « rationnel  à prélever de l’information. L’EFFET DE LOGICISATION Enfin, l’entretien formel, à la différence des conversationsin situ, sécrète un biais dû à la logicisation de la communication. Parler pendant deux heures, c’est être mis dans une situation de production intense de sens où l’enquêteur recueille des sa-voirs, des opinions, du cognitif, de l’évaluatif, mais bien peu de ressenti. L’absence de complicité, de confiance, limite l’explicitation à ce qui relève de faits (que le so-ciologue positiviste privilégie abusivement) et de jugements de valeur qui n’enga-gent pas à se confier, à évoquer ce qui est de l’ordre du secret, de l’intime (les hon-tes, les souffrances gardées pour soi, les tabous, les interdits, les secrets de famille, les opinions les plus extrémistes par rapport au sens commun). On explicite ce qui est explicitable. Aussi, les « jeunes des cités  comme les « SDF  n’exposeront ja-mais au premier venu leurs misères sexuelles, informations qui ne pourront être col-lectées qu’en recourant à un autre cadre, plus ouvert, sur une semi-sociabilité orga-nisée (P. Bruneteaux et C. Lanzarini, 1998), telle que celle induite par des repas collectifs organisés avec les équipes de travailleurs sociaux et les résidents volontai-res.
 7.Tel cet ancien toxicomane à la rue hébergé dans une grande association caritative.
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P A T R I C K B R U N E T E A U X , C O R I N N E L A N Z A R I N I         2.OUTIL SUPPLETIF : LES ENTRETIENS INFORMELSUN ADAPTES AU PUBLIC SOUS-PROLETAIRE Les entretiens informels permettent de contribuer à neutraliser un certain nombre de biais évoqués. Ils s’appuient sur des rôles variables destinés à neutraliser autant que possible les effets de position de l’enquêteur issu du monde ordinaire. Confron-tés à des agents sociaux qui ont manifesté de nombreuses réticences à s’inscrire dans un contrat temporaire de conversation formelle (violences, fuite, pleurs, résistances et histoires imaginées), nous avons été amenés à réfléchir à des postures de recher-che plus adaptées. Les entretiens informels s’inscrivent dans une démarche classique d’observation (soit participante avec l’emprunt de rôles précis, soit interstitielle avec observation en marge de l’action étudiée à un moment donné) qui ne récuse aucu-nement l’emploi d’autres outils complémentaires (entretien semi-directif pour l’essentiel ou débat collectif) ou le couplage des deux registres (parenthèse formelle mais gestion informelle des discussions dans le temps) (C. Lanzarini, 1997). Formaliser une démarche qui se veut informelle n’est pas chose facile. Mais le bricolage, dès lors qu’il est pensé en pratique et fait l’objet de tactiques permanentes d’adaptation au terrain, peut néanmoins être explicité. Résultant de contraintes de faisabilité, le sens sociologique d’ajustement pratique à une population spécifique n’est pas issu d’une constructiona priori. C’est dire qu’il ne saurait s’agir d’un « système  méthodologique mais, au contraire, d’une reconstruction rationnelle par-tielle de stratégies de contournements des difficultés pratiques diverses rencontrées en situation. Le bricolage méthodique des conversations orientées peut, dans certains contextes, relayer les entretiens formels : en utilisant le socle social de « la conversa-tion populaire , en acceptant les « agressions  tout en manifestant une certaine présence « face  à l’autre, il est possible de dépasser quelques-uns des biais précé-dents. 2. 1.UNE CONVERSATION ORIENTEE La conversation relève d’un cadre de sens commun qui, quoique modulable en fonction des classes sociales – ici le « franc-parler de café  fonctionne comme repère discursif pour de larges couches de populations « occidentales , ces « vastes ensembles de significations partagées  évoquées par Hughes (1997). Il s’agit juste-ment de s’appuyer sur les formes ordinaires des échanges sociaux pour donner l’apparence d’une conversation à un entretien qui supprime son statut formel (entrée et sortie) et ses modalités de réalisation pendant une durée que les acteurs sociaux se donnent explicitement. LA DISSOLUTION DU CONTRAT FORMEL D’ENTRETIEN Avec les conversations orientées, il n’y a ni parenthèse d’entrée ni parenthèse de sortie. Si tout rendez-vous est proscrit – sauf à la demande de la personne – les ri- tuels d’entrée ne disparaissent pas pour autant avec les personnes avec lesquelles les liens sociaux se nouent peu à peu. Justement, plus la familiarité progresse, et plus l’entrée est formelle ; il en est de même avec les rituels de fermeture.
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         N T R E T I E N S E N F O R M E L S , I O U S - P R O L E T A I R E S S Soit le chercheur adopte la posture de l’entrisme total (ressemblant alors à une sorte d’espion sociologique) : dans l’accueil social de province, nous étions assis aux tables de jeu ou au bar et beaucoup parlaient sans connaître notre identité. L’effet de nombre favorise cette posture d’invisibilité au point qu’il est même possi-ble d’enclencher des discussions dans le mouvement des discussions déjà lancées, puis de capter l’attention d’une personne et de « privatiser  peu à peu l’échange. Soit l’enquêteur privilégie la recherche d’une complicité soutenue par l’adoption de rôles de proximité : dans l’association caritative parisienne, nous avons laissé subsister à de nombreuses reprises le flou autour de notre identité. Travaillant offi-ciellement sur une évaluation sociologique en continu des actions de « prévention santé  assurées par une autre association (parfois en présence de médecins), il était possible de laisser croire que nous étions des «gens qui travaillent aussi sur la san- ou même des «bénévoles de l’association. Sur la Péniche8– lieu d’accueil de jour en province –, notre rôle officiel variait lui aussi du bénévolat dans l’association à la figure de l’intervenant-expert. Des formules du genre «On essaie d’améliorer les choses (registre de l’utilité), «étudie la vie à la rueOn  (importance accordée à la population sans la cibler), «On cherche à savoir ce que les gens qui viennent pensent du lieu (responsabilisation de l’informateur), étaient fréquemment utili-sées, l’imprécision sociale du rôle du sociologue autorisant l’usage de ce flou entre-tenu autour de l’identité et du travail à accomplir. L’essentiel est de ne pas position-ner les sous-prolétaires dans l’axe central du recueil des données. Soit, enfin, le chercheur est connu explicitement mais adopte une posture qui es-saie de le faire oublier. Au moment de la prise de contact, il adopte un « profil bas  qui laisse notamment la possibilité au sous-prolétaire de « croire diriger le jeu  (voir plus loin les ruptures de cadre). Une manière d’entrer en conversation sans po-ser de question est justement de s’arranger pour mettre l’enquêté en position d’infor-mateur involontaire. «Je voulais que tu m’expliques un peu comment ça fonctionne les foyers où tu as été.. Et c’est seulement au fur et à mesure de l’entretien que.  l’on s’arrange pour obtenir des informations sur les expériences personnelles de l’enquêté. Deux attitudes majeures ont guidé les interactions avec la population : la recher-che de rôle interne et l’adaptation au rôle en fonction de la personne rencontrée ou des opportunités choisies. Le dédoublement, où l’on endosse un rôle interne reconnu (expert, complice, bé-névole), semble plus profitable que l’entrisme (déguisement total). Alors que ce der-nier suppose une dissimulation de l’identité, le dédoublement autorise un affichage partiel de l’intérêt manifesté à la population étudiée. Travailler pour une association, dans le domaine social ou sanitaire, permet d’intervenir en conversation orientée sans avoir à gérer un complexe d’intrusion (risque d’être découvert, mono-position-nement dans une place déterminée). Deux avantages en découlent. D’une part l’ancrage souple avec la population. Le dédoublement constitue une porte d’entrée à deux niveaux où, après s’être fait accepter comme tiers auprès de  8.Lieu d’accueil de jour pour les sous-prolétaires sans logement, ouvert tous les après-midi, se situant sur une péniche rénovée.
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