Les Matsiguenga - article ; n°1 ; vol.61, pg 215-253
43 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
43 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Journal de la Société des Américanistes - Année 1972 - Volume 61 - Numéro 1 - Pages 215-253
39 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1972
Nombre de lectures 27
Langue Français
Poids de l'ouvrage 5 Mo

Extrait

France-Marie Casevitz-Renard
Les Matsiguenga
In: Journal de la Société des Américanistes. Tome 61, 1972. pp. 215-253.
Citer ce document / Cite this document :
Casevitz-Renard France-Marie. Les Matsiguenga. In: Journal de la Société des Américanistes. Tome 61, 1972. pp. 215-253.
doi : 10.3406/jsa.1972.2118
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jsa_0037-9174_1972_num_61_1_2118MATSIGUENGA LES
par F.-M. CASEVITZ-RENARD
Les Matsiguenga sont dans la forêt amazonienne les représentants les plus
méridionaux et les plus occidentaux de la grande famille linguistique arawafc ;
avec les Campa-ashaninca, les Amuesha, ethnie aujourd'hui disparue, les Piro
et les Mashco, ils forment le groupe proto-arawak constitué par les descendants
d'un rameau archaïque de cette famille et séparé très tôt des groupes dont les
scissions ultérieures devaient donner naissance aux parlers arawak des côtes
atlantiques et de l'Amazone. En dehors de cette certitude d'ordre linguistique,
leur origine est controversée : pour certains anthropologues, parmi lesquels on
retient les noms de Steward et Métraux, ce vaste groupe est issu du premier
grand mouvement migratoire parti du berceau vénézuélien d'où auraient peu
à peu essaimé tous les Arawak, pour d'autres, comme B. Meggers, ce sont les
descendants du noyau originel situé non plus au Venezuela mais près du Mara-
ňon (Amazone péruvien), c'est-à-dire presqu'aux confins septentrionaux de
leurs territoires actuels.
Tout le groupe proto-arawak se situe dans le piémont et la forêt amazonienne
du centre et du sud du Pérou ; il est établi le long des provinces centrales de
l'ancien empire inca et ses territoires se succèdent de façon continue dans les
départements du Loreto, du Cuzco et du Madré de Dios ; mais le domaine propre
à chacune des quatre tribus survivantes x n'est pas équivalent : ses limites
dépendent des diversités culturelles, des réactions aux pressions et immixtions
des Pano qui enserraient toute la région arawak. Ainsi les Matsiguenga, beau
coup moins nombreux que les Campa, beaucoup plus pusillanimes que les
Piro, ont été maintenus, à l'ouest, dans le goulet du Haut Urubamba ; purs
piémontais, ils peuplent donc un pays de relief tourmenté avec des cours d'eau
souvent impraticables et un sol soumis à un appauvrissement rapide du fait
des pentes excessives ; de même à l'est, dans le Madré de Dios, la pression
mashco les a confinés sur le Haut Manu et les formateurs du Rio Madré de Dios.
Avec le xixe siècle commence au sud l'empiétement des colons venus de Cuzco,
empiétement qui peu à peu expulse les Matsiguenga de la vallée de la Convent
ion qu'Us peuplaient, à peu de choses près, jusqu'à Machu Picchu ; Quilla-
1. On trouvera des informations plus complètes sur le groupe proto-arawak dans une thèse
à paraître, portant sur les Arawak de l'Ucayali. 216 SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES
bamba, Echarate — qui a gardé son nom matsiguenga — hier, Chirumbia
aujourd'hui, sont autant de centres où ils ne représentent plus numérique
ment et économiquement, qu'une minorité culturelle condamnée à brève
échéance.
Bien avant l'agression contemporaine qui déstructure progressivement les
sociétés arawak après avoir anéanti la plupart des groupes pano, les piémontais
avaient été soumis à d'autres influences, avaient recherché d'autres contacts ;
des relations suivies avec l'empire inca sont attestées, relations commerciales
débouchant parfois sur la guerre avec ses alternances de victoires et de défaites
mais sans conséquences durables, sauf pour les Amuesha aux armes grossières,
de surcroît mauvais guerriers n'aimant rien tant que la paix et de ce fait assu
jettis comme fournisseurs en coca des princes cuzquéniens dont c'était le pri
vilège de la mâcher. Ni les montagnards ni les selvaticoles n'étaient de dange
reux voisins les uns des autres : chacun voyait s'abréger ses incursions chez
l'autre car il était tôt ou tard vaincu par l'inadaptation physique aux condi
tions naturelles. Aujourd'hui encore la tradition garde le souvenir de ces con
tacts et j'ai recueilli auprès de Justa, Matsiguenga malmenée par la vie mais
pleine d'exubérance et de gaieté, quelques chants humoristiques qui font écho
à un mythe amuesha г sur la confusion et la transformation progressive en
arbre torve d'un Inca, époux de Pala, fille de dieu et mère des Amuesha ; là
les gens de Pala passent une nuit à s'enivrer, chanter, parler : « ... ils chantent,
parlent, chantent... Dans leurs chants, ils se moquent de Г Inca. » Prince ridi
cule, ce Yabirire dont « la couronne de plumes vire-, vire-, virevolte, d'un côté,
de l'autre, de bas en haut... », répondent les refrains d'ici2.
Ces relations avec les gens d'en haut ont conduit au renforcement des allian
ces politiques entre les groupes de la forêt, à l'intensification des échanges
intertribaux, déjà importants en raison des spécialisations tribales, qui dans
la poterie, qui dans le tissage, qui dans les armes, qui dans les pirogues. A chaque
époque critique ou à chaque sursaut d'indépendance, le même resserrement
des liens jouera après la Conquête et l'histoire, du xvne siècle jusqu'au seuil
du xxe, montre à maintes reprises les Pano de l'Ucayali (Conibo, Setebo, et
Shipibo) qui s'unissent aux Proto-Arawak (Piro, Campa, Matsiguenga) pour
barrer la route aux tentatives de pénétration ou de colonisation. Évoquons
seulement, à cause de sa notoriété, le soulèvement que Juan Santos Atahualpa
mena de 1742 à 1752, date de la prise d'Andamarca, à la tête de nombreux
groupes arawak et pano. A la suite de cette ultime victoire que suivit une rapide
retraite dans les terres chaudes de la forêt, les territoires de l'Urubamba, du
Haut Ucayali, de l'Ene, du Pereně et du Tambo restèrent fermés à tout élé-
1. Mythe donné comme support à une analyse syntaxique par Marta Duff in Intern. Journ.
of Amer. Linguistics, Indiana University. Bloomington. Vol. 23, 1957, pp. 171-178.
2. Apichi-pichi, apichi opoguenti-poguenti
apichintitanaka opoguenti, apichintitanakari...
gamatzaitanaka inamatzaire *Yaribire
Justa. Moyen Koribeni, 5/2/70.
Elles vire-vire-, elles vire-voltent, voltent virevoltent d'un côté de l'autre, de bas en haut
Elles se plument, les plumes de Yabirire (*Plumes ou couronne de plumes). MATSIGUENGA 217 LES
ment étranger — missionnaires, militaires, voyageurs, colons — pendant toute
la seconde moitié du xvine siècle.
Enfin il y eut peut-être une autre source d'influence, à défaut d'un héritage
entre les cultures des Piémontais et les précédents occupants de leurs territoires ;
sans doute est-ce vers l'archéologie qu'il faut se tourner pour l'inciter à élucider,
si faire se peut, le problème posé par les pétroglyphes disséminés dans la région
du Haut Urubamba et du Haut Madré de Dios et, semble-t-il, originaux quant
à leurs dessins, comparés à ceux qu'offre la forêt colombienne. Quant aux
Matsiguenga, ils y perçoivent le symbole même de leur expropriation culturelle :
œuvres de leur héros et demi-dieu Chaingabane, les pétroglyphes ont perdu sens
depuis que celui-ci, poursuivi par les chants de l'oiseau du malheur, s'est exilé
chez les Blancs qui, non contents de disposer de son génie inventif, le dupent
pour tirer profit de ses créations auprès des siens, les Matsiguenga, dont, ment
eurs éhontés, ils lui vantent la situation présente. En tout cas ce groupe n'en
fait pas un usage actuel comme leurs voisins piro qui les graveraient sur bois
pour comptabiliser les objets troqués 1.
Les territoires matsiguenga, tels qu'on peut les voir sur la carte (p. 226) cou
vrent une superficie égale à environ cinq départements français — rappelons
à ce propos qu'au Pérou, sur une superficie totale de 1 285 215 km2, la forêt
en représente à elle seule 700 000 soit une fois un quart la France — ; toutefois
leur occupation est inégale : la région de séparation des eaux entre le Madré
de Dios d'une part et l'Urubamba-Ucayali d'autre part est désertique alors
que le long de l'Urubamba, de Koribeni à Timpia, se succèdent des îlots de
peuplement matsiguenga à forte densité. C'est pourquoi au co

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents