Les politiques de population dans le Tiers Monde huit ans après Bucarest : espoirs et réalités - article ; n°94 ; vol.24, pg 277-304

Jean-Claude Chasteland

Description

Tiers-Monde - Année 1983 - Volume 24 - Numéro 94 - Pages 277-304
28 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: TIERS-MONDE
• Publié le: 01 janvier 1983
• Nombre de lectures: 12
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

Jean-Claude Chasteland
Les politiques de population dans le Tiers Monde huit ans après
Bucarest : espoirs et réalités
In: Tiers-Monde. 1983, tome 24 n°94. pp. 277-304.
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Chasteland Jean-Claude. Les politiques de population dans le Tiers Monde huit ans après Bucarest : espoirs et réalités. In:
Tiers-Monde. 1983, tome 24 n°94. pp. 277-304.
doi : 10.3406/tiers.1983.4289
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1983_num_24_94_4289LES POLITIQUES DE POPULATION
DANS LE TIERS MONDE
HUIT ANS APRÈS BUCAREST :
ESPOIRS ET RÉALITÉS
par Jean-Claude Chasteland*
«... ce qu'on pourrait appeler le seuil de la
modernité biologique d'une société se situe au
moment où l'espèce entre comme enjeu dans
ses propres stratégies politiques. »
Michel Foucault, Histoire de la sexualité.
T. i : La volonté de savoir,
Paris, nrf, 1976.
Ces deux dernières décennies auront été marquées par deux événements
d'une portée considérable pour l'histoire de l'humanité : l'arrêt de la hausse
des taux d'accroissement de population et l'interventionnisme massif des
gouvernements dans le domaine démographique. Noter la simultanéité de
ces deux événements ne doit pas être interprété comme une sorte de reconnais
sance d'une relation causale mais plus simplement, pour le moment, comme
la reconnaissance du fait que la croissance démographique sans précédent
des dernières décennies n'a pas laissé les gouvernements indifférents.
L'objet de cet article étant de décrire la situation des politiques de popul
ation dans les pays du Tiers Monde, il est peut-être utile de commencer par
rappeler qu'en i960 5 pays seulement avaient adopté des visant
explicitement à réduire les taux de croissance de leur population1. Vingt ans
plus tard, le nombre de ces pays est passé à 37, représentant plus des trois
* Division de la population, Nations Unies. L'auteur exprime ici ses opinions per
sonnelles qui ne reflètent pas nécessairement celles des Nations Unies.
1. Rapport concis de l'observation continue des politiques démographiques, 1978, E/cN.9/338,
Nations Unies. En i960 ces pays étaient : la Barbade, la Chine, l'Inde, le Pakistan (qui compren
ait alors le Bangladesh) et Tonga. On utilisera indifféremment, tout au long de cet article, les
termes « politiques de population » et « politiques démographiques ».
Revue Tiers Monde, t. XXIV, n° 94, Avril-Juin 1983 278 JEAN-CLAUDE CHASTELAND
quarts de la population vivant dans le Tiers Monde2. Mais on ne rendrait
pas justice aux efforts des gouvernements en les limitant à la seule description
de ce qu'ils ont tenté de faire pour réduire la croissance de leur population.
Ces dernières années, particulièrement depuis l'adoption à Bucarest du Plan
mondial sur la population en 1974, ont été témoins de la prise de conscience
par un nombre croissant de gouvernements du fait que les problèmes de
population ne devaient plus être abordés sous l'angle étroit de la croissance
rapide de la population, mais au contraire dans une perspective plus large.
C'est ainsi qu'en 1982 la plupart des gouvernements s'efforcent de résoudre
plus au moins simultanément des problèmes démographiques aussi variés que
ceux posés par les niveaux élevés de morbidité et mortalité, par la mauvaise
distribution spatiale de la population, par les flux non contrôlés de migrations
internationales, par les difficultés qu'ont les couples à assumer leur droit à
procréer librement, etc.3.
L'ambition de ce Plan d'Action ne s'est pas limitée à élargir le champ des
interventions gouvernementales à l'intérieur de la sphère démographique
elle-même, elle a été aussi de faire admettre que la croissance de la population,
comme les autres phénomènes démographiques d'ailleurs, ne devait pas être
considérée comme une sorte de phénomène exogène par rapport à la société
où on l'observait, mais plutôt comme la résultante d'un ensemble de facteurs
culturels, économiques et sociaux propres à cette société. Cette problématique
contient, sur le plan politique, un message clair : seules des actions conver
gentes sur ces facteurs économiques et sociaux, aussi bien que sur les facteurs
démographiques eux-mêmes, ont des chances de conduire à des résultats.
Quelles que soient les arrière-pensées qui ont présidé à la rédaction du
Plan d'Action, quelles que soient ses lacunes, il a eu l'immense mérite de
légitimer le débat démographique sur le plan national et international : et c'est
un progrès considérable si on se rappelle ce qu'était la situation dans les
années 60. De nos jours ce débat est non seulement public, mais il est même
« institutionnalisé » sur la scène internationale, selon le mot de Bernard
Berelson4.
Perceptions et politiques relatives à la croissance de la population
La littérature sur les perceptions que les gouvernements ont des questions
de population est quasiment inexistante. Cependant la façon dont les gou-
2. Rapport concis de l'observation continue des politiques démographiques, 1980, e/cn. 9/348,
Nations Unies. La Turquie située en Europe et qui a aussi adopté une politique antinataliste
n'est pas comprise dans ce total.
3. Examen et évaluation du Plan d'Action mondial sur la population, F.79.XI11.7, Nations
Unies. Voir, parmi les objectifs généraux du Plan, celui qui est énoncé de la façon suivante
au paragraphe 1 5 с et qui donne une bonne indication du contenu suggéré des politiques de
population : [II faut] « encourager l'adoption de mesures et de programmes sociaux et écono
miques, destinés à influer notamment sur l'accroissement démographique, la morbidité et la
mortalité, la reproduction et la formation des familles, la répartition de la population et la
migration interne, la migration internationale et, par suite, les structures démographiques ».
4. Bernard Berelson, Parker W. Mauldin, Sheldon Segal, Population : Current Status
and Policy Options, The Population Council, Working Paper N0. 44, New York, 1979. LES POLITIQUES DE POPULATION 279
vernements appréhendent ces questions, l'attitude qu'ils adoptent à leur
égard sont déterminantes pour comprendre quand, comment et pourquoi ils
se décident à intervenir modifier des tendances démographiques spont
anées. L'étude des perceptions devrait être une partie intégrante de l'étude
des politiques de population qui trop souvent se limite à la seule analyse
des mesures et des programmes, aussi détaillée soit-elle.
On peut évidemment s'interroger sur les raisons d'une telle lacune. Une
explication générale, non exclusive d'autres explications, peut être avancée :
une attitude très pragmatique à l'égard des politiques démographiques a été
rendue possible par le calme régnant sur le front idéologique et doctrinal
depuis plusieurs années. Or l'étude des perceptions gouvernementales pourrait
contribuer à raviver un débat idéologique et doctrinal dont on préfère, dans
la communauté démographique internationale, considérer qu'il est provisoi
rement clos, tant il a laissé des souvenirs amers5.
Les Nations Unies, tout en étant parfaitement conscientes des difficultés
d'une étude des perceptions, ont entrepris de combler partiellement les lacunes
existant en ce domaine. Les sources d'information utilisées pour cette étude
consistent essentiellement en déclarations et documents officiels (par exemple,
les plans nationaux de développement) et surtout en enquêtes par ques
tionnaires menées par les Nations Unies auprès des Etats membres. Ces
enquêtes, uniques en leur genre, ont permis de rassembler une moisson d'infor
mations sur l'analyse faite par les gouvernements des problèmes démograp
hiques, sur les processus décisionnels et bien sûr sur les différentes modalités
d'intervention6.
En dépit du rééquilibrage réalisé par le Plan d'Action entre croissance
démographique et autres variables démographiques, l'étude des perceptions
et politiques relatives à l'accroissement de la population reste toujours Fonda
mentale