Les rapports des ouvriers russes au travail : une multiplicité aux dimensions à la fois émancipatrices et assujetissantes - article ; n°2 ; vol.29, pg 177-222
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Revue d’études comparatives Est-Ouest - Année 1998 - Volume 29 - Numéro 2 - Pages 177-222
Rather than becoming actors in the changes involving their working conditions and environment, Russian workers, in general, tend to experience work as something to be put up with. A combination of three processes accounts for this passivity : workers' fear of social exclusion, intensive exploitation, and a confusion as to their subjective sense of identity. But these processes do not deprive workers of all autonomy in defining their relation to work. For one thing, workers, at least partly, abet these processes. For another, the overlapping between these processes creates zones of autonomy that workers can occupy. This accounts for the existence of the six types of relations defined herein that workers have with their jobs, without overestimating the degree to which they are emancipated from work.
Plutôt que de se faire acteurs des changements qui touchent le milieu et les conditions de leur travail, les ouvriers russes, de façon générale et tendancielle, vivent ce travail sur le mode du subir. Leur passivité s'explique par le jeu croisé de trois processus : leur crainte de l'exclusion sociale, une exploitation intensive de leur travail et un brouillage de leur identité subjective. Mais ces mécanismes ne pèsent pas sur eux au point de leur enlever toute autonomie dans la définition de leur rapport au travail. D'un côté, les ouvriers entretiennent ces processus au moins pour partie. De l'autre, la multiplicité de ceux-ci et le jeu de leur imbrication créent des espaces d'autonomie susceptibles d'être investis par les ouvriers. Un tel raisonnement rend compte de l'existence de plusieurs types de rapports des ouvriers à leur travail (nous en distinguons six), sans toutefois surestimer leur degré d'émancipation à l'égard d'un travail dont les modalités continuent à leur être largement imposées.
46 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1998
Nombre de lectures 27
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Karine Clément
Les rapports des ouvriers russes au travail : une multiplicité aux
dimensions à la fois émancipatrices et assujetissantes
In: Revue d’études comparatives Est-Ouest. Volume 29, 1998, N°2. Les transformations du travail et de l'emploi en
Europe de l'Est depuis 1990. pp. 177-222.
Abstract
Rather than becoming actors in the changes involving their working conditions and environment, Russian workers, in general,
tend to experience work as something to be "put up with". A combination of three processes accounts for this passivity : workers'
fear of social exclusion, intensive exploitation, and a confusion as to their subjective sense of identity. But these processes do not
deprive workers of all autonomy in defining their relation to work. For one thing, workers, at least partly, abet these processes.
For another, the overlapping between these processes creates zones of autonomy that workers can occupy. This accounts for
the existence of the six types of relations defined herein that workers have with their jobs, without overestimating the degree to
which they are emancipated from work.
Résumé
Plutôt que de se faire acteurs des changements qui touchent le milieu et les conditions de leur travail, les ouvriers russes, de
façon générale et tendancielle, vivent ce travail sur le mode du subir. Leur passivité s'explique par le jeu croisé de trois
processus : leur crainte de l'exclusion sociale, une exploitation intensive de leur travail et un brouillage de leur identité subjective.
Mais ces mécanismes ne pèsent pas sur eux au point de leur enlever toute autonomie dans la définition de leur rapport au
travail. D'un côté, les ouvriers entretiennent ces processus au moins pour partie. De l'autre, la multiplicité de ceux-ci et le jeu de
leur imbrication créent des espaces d'autonomie susceptibles d'être investis par les ouvriers. Un tel raisonnement rend compte
de l'existence de plusieurs types de rapports des ouvriers à leur travail (nous en distinguons six), sans toutefois surestimer leur
degré d'émancipation à l'égard d'un travail dont les modalités continuent à leur être largement imposées.
Citer ce document / Cite this document :
Clément Karine. Les rapports des ouvriers russes au travail : une multiplicité aux dimensions à la fois émancipatrices et
assujetissantes. In: Revue d’études comparatives Est-Ouest. Volume 29, 1998, N°2. Les transformations du travail et de
l'emploi en Europe de l'Est depuis 1990. pp. 177-222.
doi : 10.3406/receo.1998.2915
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/receo_0338-0599_1998_num_29_2_2915Revue d'études comparatives Est-Ouest, 1998, vol. 29, n° 2, pp. 177-222
Les rapports des ouvriers russes au travail :
une multiplicité aux dimensions
à la fois émancipatrices et assujetissantes
Karine CLÉMENT *
résumé : Plutôt que de se faire acteurs des changements qui touchent le milieu et les
conditions de leur travail, les ouvriers russes, de façon générale et tendancielle, vivent
ce travail sur le mode du subir. Leur passivité s'explique par le jeu croisé de trois pro
cessus : leur crainte de l'exclusion sociale, une exploitation intensive de leur travail et
un brouillage de leur identité subjective. Mais ces mécanismes ne pèsent pas sur eux au
point de leur enlever toute autonomie dans la définition de leur rapport au travail. D'un
côté, les ouvriers entretiennent ces processus au moins pour partie. De l'autre, la multip
licité de ceux-ci et le jeu de leur imbrication créent des espaces d'autonomie suscept
ibles d'être investis par les ouvriers. Un tel raisonnement rend compte de l'existence de
plusieurs types de rapports des ouvriers à leur travail (nous en distinguons six), sans tou
tefois surestimer leur degré d'émancipation à l'égard d'un travail dont les modalités
continuent à leur être largement imposées.
abstract : Rather than becoming actors in the changes involving their working
conditions and environment, Russian workers, in general, tend to experience work as
something to be "put up with". A combination of three processes accounts for this passi
vity : workers' fear of social exclusion, intensive exploitation, and a confusion as to
their subjective sense of identity. But these processes do not deprive workers of all aut
onomy in defining their relation to work. For one thing, workers, at least partly, abet
these processes. For another, the overlapping between these processes creates zones of
autonomy that workers can occupy. This accounts for the existence of the six types of
relations defined herein that workers have with their jobs, without overestimating the
degree to which they are emancipated from work.
Plus que tout autre objet touchant les ouvriers russes, leurs rapports au travail
se présentent de façon particulièrement énigmatique et ambivalente. Avant d'en
explorer les divers aspects, nous estimons donc indispensable de présenter les
fondements de notre analyse : une certaine définition des ouvriers et une ques
tion principale qui appelle une approche spécifique.
* Doctorante en sociologie au Centre d'Analyse et d'Intervention Sociologiques - CADIS,
EHESS (54, boulevard Raspail, 75006 Paris). 178 Karine Clément
1. INTRODUCTION
1.1. LES OUVRIERS NE SONT PLUS CE QU'ILS N'ONT JAMAIS ÉTÉ. SONT-ILS
ENCORE QUELQUE CHOSE ?
Que recouvre le terme d' "ouvrier" aujourd'hui en Russie ? Au-delà des clas
sifications officielles et administratives, qui ont vieilli et ne rendent compte ni
des diversités, ni des transformations internes de cette catégorie sociale, nous
nous proposons de partir d'une définition plus sociologique du groupe ouvrier.
On ne peut certes pas parler de classe ouvrière en ce sens où il n'existe ni
conscience de classe, ni conscience d'une commune appartenance. Les ouvriers
ne se prêtent donc pas à une définition subjective en termes de conscience
d'appartenance. La conscience ouvrière n'existe pas, s'est-elle perdue ? Permet
tons-nous de douter de la pertinence d'une telle énonciation. Pourquoi accorder
foi aux discours idéologiques du pouvoir soviétique sur le "rôle dirigeant de la
classe ouvrière" ? D'une part, les sources disponibles tendent à relativiser
l'importance de la "conscience de classe" des ouvriers soviétiques K D'autre
part, les ouvriers, interrogés aujourd'hui sur leur appartenance sociale passée,
mettent le plus souvent l'accent sur l'individualisme et la faiblesse de la solidar
ité réelle entre ouvriers. « La classe ouvrière ? Quelle classe ouvrière ? Avant
ce n'était que des mots, et ça n'a pas changé ! ». La tirade, pourtant proférée par
un ouvrier proche des mouvements communistes, rend compte de la tonalité
générale des jugements esquissés par les ouvriers quant à leur place dans le sys
tème soviétique.
Les ouvriers ne sont donc plus ce qu'ils n'ont jamais été. Est-ce à dire que les
représentations sociales qui les mettent en scène coïncident aujourd'hui avec
leurs situations concrètes ? Force est d'admettre l'impossibilité de tenir un tel
raisonnement. Le découplage perdure entre les expériences vécues des ouvriers,
d'une part, et l'image d'eux-mêmes que leur renvoient les représentations
sociales dominantes, d'autre part. Les ouvriers étaient faussement encensés par
le pouvoir soviétique, ils sont aujourd'hui vilipendés, craints ou ignorés. Les
discours véhiculés par les médias 2, reflet de la rhétorique des dirigeants écono-
1. Cf., entre autres, Sapir, 1984 ; Schapiro & Godson, 1981 ; Shlapentoch, 1995 ; Désert,
1987 et Subin, 1996.
2. En temps ordinaire, les médias font silence sur les problèmes ouvriers. Les ouvriers font
surtout irruption sur la scène médiatique à l'occasion des actions de protestation qu'ils
mènent. Celles-ci sont alors traitées dans la dramatisation, la délégitimation ou le mépris iro
nique. La journée nationale d'action du 27 mars 1997 a ainsi donné lieu aux titres suivants :
« La question principale du jour : les actions de protestation vont-elles dégénérer en
désordres massifs ? » (Nezavisimaja Gazeta, 27 mars 1997) ; « Un troisième malheur s'est
abattu sur la Russie : les imbéciles montrent la voie ! » (légende accompagnant la caricature
d'une manifestation, Segodnja, 28 mars 1997). La journée d'action du 9 avril 1998 a été trai
tée par les Izvestija (10 avril 1998) comme n'ayant pas lieu d

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