LES TRANSFORMATIONS POLITIQUES DE L’ITALIE SOUS
LES EMPEREURS ROMAINS
43 Av. J.-C. - 330 Ap. J.-C.
Par Camille JULLIAN
PARIS - 1884
PRÉFACE.
I. — L’ÉTABLISSEMENT DU RÉGIME IMPÉRIAL EN ITALIE (43-30 av.
J.-C.).
II. — CONDITIONS POLITIQUES DE L’ITALIE PENDANT LE
PREMIER SIÈCLE DE L’EMPIRE (30 av. J.-C.-96 ap. J.-C.).
III. — LES RÉFORMES DU SECOND SIÈCLE (96-211).
IV. — LA TRANFORMATION DE L’ITALIE EN PROVINCE (211-330).
V. — CONCLUSION : LA POLITIQUE IMPÉRIALE.
PRÉFACE.
On s’est proposé, dans ce livre, d’étudier l’histoire de l’administration de l’Italie
pendant l’empire. Mais quand commence l’empire1 ? C’est en l’an 27, où Octave
acheva de réorganiser l’état, et reçut le titre sous lequel il devait régner, que les
anciens plaçaient l’ère impériale, la première année des augustes. Mais ce n’est
là qu’une époque officielle. En fait, l’empire commence quand le pouvoir cesse
d’être aux mains du sénat et des assemblées populaires, c’est-à-dire le jour où
se forme le triumvirat, le 27 novembre 432. Il importait d’ailleurs de rechercher
quelles ont été pour l’Italie les conséquences politiques de cette période de
guerres civiles et de mesures exceptionnelles à la faveur desquelles s’est établi le
régime impérial.
La fin de l’empire est nettement marquée par la fondation d’un premier royaume
barbare en-deçà des Alpes, en 476. Mais il est inutile de continuer l’histoire de
l’administration de l’Italie, dès qu’elle se confond avec celle du reste du monde.
Or, la réduction de l’Italie en province est achevée lors le la fondation de
Constantinople, en 330 : les régions qu’elle forme sont gouvernées comme
toutes les provinces ; ses habitants sont soumis aux mêmes obligations que tous
les citoyens romains ; il lui restait le privilège de renfermer la capitale de
l’empire ; la fondation d’une nouvelle Rome le lui enlève.
Il s’agit donc de montrer surtout par quelle série de mesures les empereurs ont
introduit en Italie les charges et l’administration de la province. En l’an 43, les
Italiens ne payaient point d’impôts : quand s’est établi le système financier qui
pesait sur eux au temps de Constantin ? En l’an 43, l’Italie ne connaissait que
deux classes de magistrats, les magistrats des villes, magistrats inférieurs, et les
magistrats de Rome, magistrats supérieurs du peuple romain : comment s’est
établi ce pouvoir intermédiaire qu’on appelle le gouverneur, et en quoi son
autorité a-t-elle modifié, d’une part, l’administration municipale, de l’autre,
l’organisation centrale de l’Italie, et, par suite, du monde romain ?
Il fallait par conséquent écarter de cette étude un certain nombre de sujets qui,
tout en concernant le gouvernement de l’Italie, s’y rattachaient moins qu’à celui
de tout l’empire. En droit municipal, par exemple, la décadence des curies, à
partir du second siècle, n’est pas un fait propre à l’Italie ; la date où elle
commence indique assez qu’elle n’est pas le résultat des réformes financières de
Dioclétien3. En général, on ne pouvait, sans sortir de l’histoire de l’Italie, aborder
en détail tout ce qui touche aux finances : la perception des taxes sur les
héritages et sur les affranchissements, au second siècle, de l’impôt foncier, de la
capitation ou du chrysargyre, sous le bas empire ; les douanes de la frontière
italienne4 ; et, enfin, les rapports entre les impôts du quatrième siècle et les
anciens tributs, romain ou provincial, problème indiqué par Huschke, Walter, et
1 Voyez, sur cette question, le texte et surtout les notes de Mommsen, Römisches
Staatsrecht, 2e édit., II (1877, Leipzig, in-8°), p. 723 et suiv.
2 Cf. Mommsen, Staatsrecht, II, p. 724, n. 3.
3 Cf. Hegel, Geschichte der Städteverfassung von Italien (1847, Leipzig, 2 in-8°), I, p. 60
et suiv. Voyez le décret de Trieste, C. I. L., V, 532.
4 Sur les douanes et les impôts indirects en général, nous avons d’ailleurs un travail
excessivement complet : Cagnat, Etude historique sur les impôts indirects chez les
Romains, Paris, in-8°, 1882. M. Zachariæ von Lingenthal, et qui est encore à résoudre1. D’autres questions,
particulières à l’Italie, ont été aussi résumées que possible, par exemple celles de
l’institution alimentaire et de la curatelle des routes : d’abord, elles n’ont eu
qu’une influence très restreinte sur les destinées politiques de l’Italie ; puis, elles
ont été trop soigneusement étudiées par Borghesi, et par MM. Desjardins,
Henzen, Hirschfeld et Mommsen2, pour qu’il soit possible de faire autre chose
que de reprendre leur travail mot pour mot.
L’administration de l’Italie sous les empereurs a été souvent traitée, quoique
jamais d’une façon complète. Ce sont surtout les questions relatives aux juges et
aux correcteurs qui ont fourni matière à de nombreuses dissertations. En
première ligne se placent le commentaire de Borghesi à l’inscription de Concordia
(dédiée au premier juridicus, C. Arrius Antoninus), qui est un chef-d’œuvre de netteté
et de finesse3, et l’écrit de M. Mommsen sur les Libri coloniarum, paru dans le
recueil des Arpenteurs romains de Blume, Rudorff et Lachmann4 : ce dernier est
consacré surtout aux divisions géographiques de l’Italie ; c’est là que M.
Mommsen résout, d’une manière à peu près définitive, la question, si
controversée, au dix-septième et au dix-huitième siècle, des régions urbicaires. Il
a repris la question des correcteurs à propos d’une inscription de l’un d’eux,
Suetrius Sabinus5 ; il a enfin, dans son volume sur le principat, tracé un tableau
des vicissitudes politiques de l’Italie, qui, par la vigueur de l’exposition, est une
des parties les plus remarquables de son grand ouvrage6. Marquardt n’a fait que
compléter, en réunissant les textes et en multipliant les citations, le travail de M.
Mommsen7. M. Madvig, dans son traité sur l’Etat romain, ne donne que de très
rapides aperçus8. M. Desjardins, dans des articles de revues, a repris et contrôlé
les résultats de M. Mommsen9. M. Friedlænder a publié dans la Deutche
Rundschcau un article sur la situation des villes de l’Italie sous-les empereurs,
mais il s’est attaché surtout au côté anecdotique10. Enfin, dans la plupart des
manuels de droit romain parus en Allemagne, l’administration de l’Italie est
l’objet d’un chapitre spécial : citons Walter11 et Bethmann-Hollweg12, excellents
comme résumés, Puchta13, moins complet, mais plus original. On doit
1 Huschke, Census in der Kaiserzeit, p. 86 et p. 123 ; Walter, Geschichte des römischen
Rechts, I, 326, n. 54, et 406 ; Zachariæ von Lingenthal, Zur Kenntnisz des römischen
Stewemesens, p. 9.
2 Sur les curatores viarum, Borghesi, IV, pp. 132-135 ; Mommsen, Staatsrecht, II, pp.
1029-1031 ; Hirschfeld, Untersuchungen, pp. 109-114. Sur les alimenta, Desjardins, De
tabulis alimentariis, Paris, 1854, in-4° ; Henzen, Annali, 1844, pp. 5-111 ; 1847, p. 3 et
suiv. ; 1849, p. 220 et suiv. ; Hirschfeld, Untersuchungen, p. 114 et suiv.
3 Borghesi, Iscrizione onoraria di Concordia (1853), Œuvres, V, pp. 383-422.
4 Die Schriften der römischen Feldmesser, Berlin, 1852, in-8°, pp. 172-214.
5 Ephemeris epigraphica, I (1872), pp. 138-141.
6 Römisches Staaterecht, II (2e édit., 1877), pp. 1025-1041.
7 Römische Staatsverwaltung, I, 2e édit., 1881, Leipzig, in-8°, pp. 217-236.
8 Die Verfassung und die Verw. des röm. Staates, t. II (1882, Leipzig, in-8°).
9 Revue archéologique, XXVI (1873), p. 181 et suiv. ; Revue historique, I (1876), p. 189
et suiv.
10 Deutsche Rundschau, V (1879), 8, p. 202 et suiv.
11 Geschichte des römischen Rechts, 3e édit., Bonn, 1861, in-8°, premier volume.
12 Deuxième volume du livre Der römische Civilprozesz, 1865, in-8°.
13 Puchta, Cursus der Institutionen, 9e éd., Leipzig, 1882, in-8°, premier vol. mentionner encore, comme s’étant occupés de l’administration de l’Italie au
second siècle, et, en particulier, des juridici, Dirksen1, Roulez2 et Zumpt3.
Pour ce qui concerne la situation de l’Italie pendant les guerres civiles, le meilleur
guide est M. Lange4 : nul n’a su mieux refaire l’histoire constitutionnelle de
Rome. Certaines questions d’administration proprement dite ont été résolues
avec la plus grande précision par M. Hirschfeld5. Pour le système financier de
l’empire, il faut s’en tenir, à part certains points bien traités par Huschke6, aux
recherches de Savigny7, en les rectifiant çà et là par une excellente brochure de
M. Zachariæ von Lingenthal8. Il n’y a pas encore de livre d’ensemble sur
l’organisation municipale ; les commentaires de A.-W. Zumpt, sont purement
historiques9, les études dé M. Henzen, surtout épigraphiques10 ; Kuhn s’occupe
principalement des charges des populations11 ; M. Mommsen, du droit
proprement dit12. Le traité de M. Houdoy, malgré un certain manque
d’indépendance et pas assez d’habitude des textes, est, peut-être, le livre le plus
utile qui ait paru sur la matière13.
I1 n’est point question, dans les pages que M. Fustel de Coulanges a consacrées
à l’empire romain14, de l’administration de l’Italie. Elles ont cependant plus servi
à ce travail qu’aucun des livres qu’on vient de citer. On a répété bien souvent, en
Allemagne surtout, que la transformation de l’empire romain en monarchie pure
entraîna la perte des libertés municipales comme des libertés politiques. Mais la
tyrannie au centre ne suppose pas toujours la tyrannie aux extrémités :
autocratie n’est pas synonyme de centralisation. M. Fustel de Coulanges l’a
montré. On s’est inspiré de ses idées et de ses leçons pour essayer d’étudier,
après tant d’autres, l’administration de l’Italie ; c’est avant tout un devoir de
reconnaissance que de lui dédier ce livre, quelque imparfait qu’il soit.
1 Die Scriptores Historiæ augustæ, Leipzig, 1842, in-8°, p. 78 et suiv.
2 Bulletin de l’Académie royale de Belgique, XVIII, 2 (1851), p. 521.
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