Lettres d amour, récits d amour. Figures de l énonciation amoureuse chez Nerval - article ; n°63 ; vol.19, pg 51-65
16 pages
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Lettres d'amour, récits d'amour. Figures de l'énonciation amoureuse chez Nerval - article ; n°63 ; vol.19, pg 51-65

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Description

Romantisme - Année 1989 - Volume 19 - Numéro 63 - Pages 51-65
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1989
Nombre de lectures 121
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Bruno Tritsmans
Lettres d'amour, récits d'amour. Figures de l'énonciation
amoureuse chez Nerval
In: Romantisme, 1989, n°63. pp. 51-65.
Citer ce document / Cite this document :
Tritsmans Bruno. Lettres d'amour, récits d'amour. Figures de l'énonciation amoureuse chez Nerval. In: Romantisme, 1989,
n°63. pp. 51-65.
doi : 10.3406/roman.1989.5566
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1989_num_19_63_5566Bruno TRITSMANS
Lettres d'amour, récits d'amour
Figures de renonciation amoureuse chez Nerval
« Toutes les histoires, nous rappelle J. Kristeva, reviennent à parler
d'amour » \ Cette réflexion vaut certainement pour l'œuvre nervalienne qui se
cristallise, la critique l'a dit et redit, autour du topos de Yamour pour l'actrice.
Mais ce topos romantique, dont Nerval s'est à l'occasion fait l'écho, comme dans
les Petits Châteaux de Bohême, se creuse chez lui pour devenir une expérience
existentielle aux dimensions mythiques. Celle-ci détermine le parcours thématique
de l'œuvre, dominée par une mythologie personnelle où « l'image transcendée de
l'être aimée » répond à « l'image transcendée du poète » 2.
Cette présentation de l'œuvre est toutefois partielle dans la mesure où elle
considère la démarche nervalienne comme une quête individuelle, voire comme un
psychodrame. Or, l'expérience amoureuse se traduit chez Nerval en une
multiplicité de récits, et il la donne constamment à lire ainsi à autrui. Chaque
texte inscrit le « vécu » dans un espace d'interlocution, où le je se positionne
chaque fois face à l'autre de la communication. Cest dans ce sens qu'on a pu dire
que l'écriture nervalienne est une « écriture de l'interlocution, ouverte à l'autre
avec qui la vérité duje est variable » 3. Dans chacun des ses récits, Nerval donne à
lire la même aventure selon d'autres modalités.
De façon très générale, c'est précisément la communication qui est au cœur de
la problématique nervalienne : sa « maladie » est en effet ressentie par lui
comme une culpabilisation, comme une exclusion sociale, et c'est dans et par ses
récits qu'il s'oppose à cette voix sociale qui le stigmatise. D'où le besoin constant
de se justifier, de convaincre l'interlocuteur de sa raison 4. On peut dès lors poser
que c'est dans l'écriture nervalienne que se compense une communication
problématique, dans la mesure où elle cherche à surimposer une
sociale (/e-public) à une communication individuelle (je-tu) brouillée. Cela vaut a
fortiori pour l'écriture amoureuses de Nerval : à l'échec de l'expérience et de la
communication amoureuse se superpose un espace d'interlocution différent au sein
duquel se rétablit la rompue. Le public auquel il s'adresse est
appelé à se substituer au tu qui reste en défaut, à se montrer compréhensif alors
que le tu affiche une attitude de refus.
Je propose, dans cette étude, d'explorer les espaces d'interlocution dans
lesquels se traduit l'expérience amoureuse nervalienne. De quelle nature sont les
espaces de parole dans lesquels Nerval (nous) donne à lire son récit d'amour ?
L'œuvre autobiographique nervalienne relève, comme le veut le genre, d'un
régime de l'aveu : face à l'autre, Nerval (ou du moins le narrateur des récits) se
dévoile, se révèle. Mais ce moment de révélation de soi s'accompagne d'une
ROMANTISME n° 63 (1989 - 1) 52 Bruno Tritsmans
tentative de dissimulation : tout en divulguant sa vie (amoureuse) — ou du
moins tout en prétendant le faire — Nerval exclut le destinataire et se dérobe au
regard d'autrui. Son œuvre autobiographique répond donc à la fois à un goût de la
révélation et à un désir de dissimulation : comme la carte postale de Derrida, c'est
une « lettre ouverte » qui se veut en même temps « illisible » 5. Mais en même
temps, le secret qu'il crée ainsi, l'information qu'il dérobe sont transformés en
principe positif, en promesse de récit : tout en se dérobant, Nerval donne à
entrevoir des histoires d'amour possibles. Il crée ainsi comme un espace discursif
où son lecteur puisse projeter des histoires.
Tels sont les processus qui dynamisent renonciation des textes nervaliens, et
ce n'est pas un hasard si on a souvent eu l'impression que le « vécu » s'y
dérobe : « Tout se défait ». « On s'égare à force d'hypothèses » 6.
L'espace épistolaire
La première manifestation écrite du « vécu » amoureux nervalien est
épistolaire : ce sont les « Lettres d'amour », qui datent vraisemblablement de
1837-1838. Nerval ne les a jamais publiées telles quelles, mais il a à deux
reprises opéré une sélection parmi elles.
Il existe en effet deux ensembles de « Lettres d'amour », celui de la
collection Spœlberch de Lovenjoul et celui de la collection Sardou (Marsan).
Alors que le premier comporte des autographes hâtifs, des brouillons, la collection
Sardou donne une impression de soin, de netteté. Les lettres y sont numérotées, et
Nerval a manifestement essayé de les organiser, selon l'expression de J. Marsan,
« en petit roman ou, si l'on veut [en] journal intime » 7. Nerval est donc
soucieux de donner une continuité aux lettres éparses, de transformer « les éclairs
de son âme » en une suite organisée.
Ce fait est révélateur. La lettre d'amour est, du moins en principe, adressée à
un interlocuteur particulier, auquel elle s'efforce d'imposer un rapport d'im-
médiateté. Elle est donc fondamentalement une « entreprise tactique » 8 destinée à
manipuler l'autre, à lui assigner une place particulière dans le discours. Ce projet
de maîtrise est cependant problématisé tout au long des « Lettres d'amour ». On
y constate une instabilité tonale particulière aussi bien d'une lettre à l'autre qu'au
sein même d'une seule lettre. Ainsi, dans la lettre VI, la femme est initialement
qualifiée de « cruelle », pour devenir à la fin « ma belle amie » (p. 760-761) 9 ;
inversement, la lettre XX commence par l'apostrophe « Madame » et se termine
par « cruelle femme » (p. 772-773). D'une lettre à l'autre, la femme est tantôt
accusée de cruauté (lettres VI, XV et XX), tantôt apostrophée de façon
respectueuse (lettres I, II, VII, VIII et XIX) ou même familièrement (lettres IX,
XnetXVin).
Au statut fluctuant de l'interlocutrice, qui « demeure insaisissable dans ces
pages » 10, correspond celui du locuteur même. Parfois, il se place en position
d'accusateur, de juge par rapport à l'interlocutrice (lettre VI), mais le plus souvent
il s'humilie face à elle : c'est lui, alors, qui se dit « injuste et exigeant » (lettre
I), qui a commis une faute en se prévalant de la faveur que lui a accordée la femme
aimée (lettres I, II bis, XIV) ".
Tout au long des « Lettres d'amour », le je thématise le rôle joué par les
lettres, par l'écriture épistolaire même dans sa relation avec l'interlocutrice. L'énonciation amoureuse chez Nerval 53
A chaque fois, la lettre, qui est une preuve d'amour ou du moins d'attention —
« Me voilà encore à vous écrire puisque je ne puis faire autre chose que de penser
à vous » (p. 758) — est dévalorisée comme moyen de communication : elle
s'avère en particulier inappropriée à l'expression de l'amour. Ainsi, dès la
première, les lettres ne sont jugées « bonnes que pour les amants froids ou pour
les amants heureux ; on admet le trouble et l'incohérence dans la conversation,
mais les phrases écrites deviennent des témoins éternels » (p. 751). Les exigences
de perfection formelle propres à la lettre sont donc jugées incompatibles avec la
parole amoureuse authentique, qui s'exprime dans « le trouble et l'incohérence ».
Dans la lettre XIII, de même, le je affirme avoir « tant de choses à [...] dire
encore » pour ne pas vouloir les perdre dans « une froide lettre » :
« Quoi de plus triste qu'une lettre ? Quoi de plus facile pour une pensée

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