Lumières et utopie. Problèmes de recherches - article ; n°2 ; vol.26, pg 355-386
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1971 - Volume 26 - Numéro 2 - Pages 355-386
32 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1971
Nombre de lectures 35
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Bronislaw Baczko
Lumières et utopie. Problèmes de recherches
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 26e année, N. 2, 1971. pp. 355-386.
Citer ce document / Cite this document :
Baczko Bronislaw. Lumières et utopie. Problèmes de recherches. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 26e année,
N. 2, 1971. pp. 355-386.
doi : 10.3406/ahess.1971.422361
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1971_num_26_2_422361et Utopie Lumières
Problèmes de recherches
Les concepts et les sens de "l'utopie"
« Les utopies ne sont souvent que des vérités prématurées » : ces paroles de
Lamartine sont devenues presque un dicton. Elles résument une certaine optique,
une certaine manière d'envisager les utopies : le problème essentiel, c'est leur rapport
avec l'avenir. La valeur et l'importance d'une utopie dans le présent dépendent de
sa « vérité », c'est-à-dire de sa capacité de prévoir V avenir. Les paroles de Lamartine
témoignaient d'une certaine réhabilitation de l'utopie, elles manifestaient à la fois
les inquiétudes et les espoirs de son temps. Elles témoignaient de la perplexité de
cette époque où fourmillaient les mi-utopistes et les mi-prophètes, les saint-simo-
niens et les fouriéristes, les sectes mi-sociales et mi-religieuses. Que sont-elles, les
utopies? Malgré leurs bizarreries, annoncent-elles l'avenir? Tiennent-elles la place
que lés prophéties occupaient jadis? Pour juger des utopies, il faudrait se demander
d'abord dans quelle mesure les utopies relevaient des rêves utopiques, correspon
daient à la « marche de l'histoire », aux réponses que l'avenir finit par apporter aux
dilemmes et aux inquiétudes du moment.
On peut mesurer le laps de temps — historique et sociologique — qui sépare ce
milieu du XIXe siècle de l'époque qui est la nôtre en comparant la formule de
Lamartine avec le texte de Berdiaieff, qu'Aldous Huxley a mis en épigraphe à
New Brave World. « Les utopies sont beaucoup plus réalisables qu'on ne le croyait.
Aujourd'hui nous sommes confrontés à une question nouvelle qui est devenue
urgente : comment peut-on éviter la réalisation définitive des utopies? Les utopies
sont réalisables. La vie marche vers les utopies. » Mais, si les inquiétudes et les
espoirs (et aussi les désillusions) ont changé, on retrouve dans les deux textes cités
une approche analogue. Les préoccupations majeures sont les mêmes : jusqu'à quel
point telle ou telle utopie est-elle réalisable ? Quel est le rapport entre l'avenir prédit
ou préfiguré par l'utopie et le présent ? Le jugement que portent nos deux auteurs
sur l'avenir annoncé par les « vérités utopiques » est pourtant bien différent. Lamart
ine s'inquiétait surtout du peu de maturité de ses contemporains, inaptes à saisir
355 HISTOIRE ET UTOPIE
les espérances annoncées par les utopies. Chez Huxley dominent la méfiance et le
sentiment de danger; les utopies demandent de la vigilance, et le présent est déjà
trop mûr pour les rendre réalisables.
L'approche qui se manifeste dans la question : « les utopies sont-elles réalisables? »
est imposée en quelque sorte par les textes utopiques eux-mêmes. Les projets, les
descriptions détaillées des sociétés idéales (l'utopiste est souvent un visionnaire
dans le sens étymologique du mot — il voit sa cité nouvelle) sont porteurs d'une
intention manifeste ou à peine dissimulée qui vise justement à susciter chez le lecteur
une certaine attitude. Cette intention provocante est un élément constitutif de la
démarche utopique et de la structure du texte; l'utopiste demande que le lecteur
cherche des correspondances et des contrastes entre la « cité nouvelle » et la société
actuelle, qu'il les envisage comme deux réalités. L'historien des utopies se voit obligé
à mesurer les chances de réalisation des utopies. L'histoire semble lui offrir l'occasion
unique de « vérifier », d'étudier la « validité » des « vérités prématurées », d'apprécier
dans quelle mesure une utopie a vraiment préfiguré l'avenir. D'autant plus que l'his
torien est souvent frappé par la perspicacité de tel ou tel texte, par la « force pro
phétique » de tel ou tel utopiste.
Cette approche suggérée par les textes utopiques, et qui domine dans les études
sur les utopies au xixe siècle, ne nous paraît pas porteuse de promesses. Elle fausse
la perspective historique. On y présuppose au moins deux choses. Premièrement,
que l'utopiste se trouve, pour ainsi dire, devant un avenir tout fait et achevé; il ne
s'agit donc que de constater s'il a réussi à le « deviner ». On envisage donc l'époque
où l'utopiste crée son œuvre comme ne comportant qu'une seule possibilité d'évo
lution, justement celle que réalisera « l'avenir ». Mais chaque époque offre toujours
un ensemble de possibilités et le cours des événements résulte du choix de certaines
possibilités et du rejet, de l'élimination des autres. (Comme le disait Max Scheler,
le passé est toujours notre débiteur, il contient des possibilités non réalisées dans le
réel). La réalité présente ne nous dit pas quelles étaient les autres possibilités de
l'histoire, les autres « avenirs possibles » qui sont restés pour toujours au niveau
de la pure possibilité. Mais une autre réserve s'impose encore. En se centrant sur la
« vérification » des utopies, on réduit souvent la fonction et l'action des utopies
à leur « force prophétique ». On arrive même à supposer que l'influence et l'action
effective d'une utopie relèverait de son « réalisme », de la mesure selon laquelle elle
s'est montrée réalisable. Or, en supposant même que l'utopie soit au plus haut degré
perspicace, il est évident que sa « force prophétique » n'a pu être remarquée et
appréciée qu'après coup. Les utopies n'influencent pas directement le cours des
événements par le « réalisme » de leurs prévisions. Bien sûr, certaines utopies se sont
trouvées plus solidaires du cours réel des événements; d'autres ont — de ce point de
vue — moins bien « réussi », Mais il est également évident aussi qu'aucune utopie
ne s'est réalisée totalement et complètement dans l'histoire; il est évident, aussi, que
la majorité écrasante des utopies ne se sont réalisées en aucune de leurs « prévisions ».
Pourtant cela ne préjuge en rien de leur influence et de leur fonction historique
réelles. Elles ne se réduisent pas à prévoir « l'avenir possible ».
Comme l'a dit Renan, l'utopiste est « l'ami de l'impossible ». L'intérêt pr
imordial que présente pour l'historien l'étude des utopies consiste précisément dans
le fait que l'utopiste se place dans la dimension de « », que la démarche
utopique ne se résigne pas à regarder la réalité sociale actuelle et ses tendances comme
les seules possibles. Ce n'est pas le rapport entre l'utopie, comme prévision, et
l'avenir à prévoir qui est au centre des préoccupations de l'historien. Il se demande
plutôt comment, de quelle manière spécifique, la réalité sociale d'un certain présent
356 ET UTOPIE B. BACZKO LUMIÈRES
se traduit et se manifeste dans les utopies et par les utopies, comment les utopies
participent au présent en s 'efforçant de le dépasser. Une seule utopie, même la plus
perspicace, présente comme phénomène social moins d'intérêt pour l'historien
que la présence, à telle époque, d'une série d'utopies même si leur force de projec
tion dans l'imaginaire est médiocre et bornée. Les utopies se manifestent et expriment
de façon spécifique, une certaine époque, ses inquiétudes et ses révoltes, ses espoirs
et son imagination sociale, sa manière d'envisager le possible et l'impossible, le
présent et l'avenir. L'effort pour dépasser la réalité sociale et s'en éva

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