Mais que se sont donc dit Mao et Malraux ? - article ; n°1 ; vol.37, pg 50-63
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Description

Perspectives chinoises - Année 1996 - Volume 37 - Numéro 1 - Pages 50-63
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 91
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Jacques Andrieu
Mais que se sont donc dit Mao et Malraux ?
In: Perspectives chinoises. N°37, 1996. pp. 50-63.
Citer ce document / Cite this document :
Andrieu Jacques. Mais que se sont donc dit Mao et Malraux ?. In: Perspectives chinoises. N°37, 1996. pp. 50-63.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/perch_1021-9013_1996_num_37_1_2050MAO / MALRAUX
Aux sources du maoïsme occidental
Mais
que se sont
donc dit
Mao et Malraux ?
JACQUES ANDRIEU
"Ce n'est pas la passion qui détruit l'oeuvre d'art,
c'est la volonté de prouver"
(A. Malraux, Le temps du mépris)
LE maoïsme occidental qui connut ses belles tions diplomatiques entre Paris et Pékin, Malraux, qui
heures à la fin des années 1960 et pendant tout le était alors ministre des Affaires culturelles, accompliss
courant des années 1970 était une auberge espa ait une mission d'exploration pour le compte du génér
gnole où, pour ne parler que de la France, logeaient pêle- al de Gaulle. Une fois à Pékin, il avait d'abord rencont
mêle des gens de droite et des gens de gauche, des stal ré le ministre des Affaires étrangères chinois, Chen Yi,
iniens extrêmement sectaires, des libertaires et des pseu puis Zhou Enlai et c'est à la dernière minute, à l'issue
d'un savant suspense, qu'une entrevue avec Mao lui dolibertaires, des féministes (J. Kristeva...) convaincues
que la moitié manquante du ciel se trouvait en Chine et avait été finalement ménagée.
des homosexuels en quête de reconnaissance sociale,
mais aussi, grâce à L. Althusser, plusieurs générations de A ma connaissance, il existe trois comptes rendus de
cet entretien: celui issu de la sténographie chinoise, qui normaliens de la rue d'Ulm, de futurs banquiers, S. July,
le très versatile BHL, A. Gliicksman, J.-P. Sartre, qui se trouve dans le Maozeclong sixiang wansui! (Vive la
essayait peut-être de racheter par son engagement cer Pensée Mao-zedong!) des Gardes rouges de la
taines de ses ambiguïtés pendant l'occupation allemand Révolution culturelle (2); celui provenant de la sténo
graphie française, qui a été rédigé par E. Manac'h, le e, le cinéaste avant-gardiste J.-L. Godard, le dandy
intellectuel Ph. Sollers, les héritiers de J. Lacan futur ambassadeur de France à Pékin, et qui peut être
(J.-A. Miller...), sinon J. Lacan lui-même, R. Barthes, consulté aux archives du Quai d'Orsay (3); enfin, le récit
qui situait en Chine son "empire des signes", l'architect commenté de cet entretien qu'a livré Malraux lui-même
e R. Castro et même un égaré, M. Foucault. en 1967 et qu'il a un tout petit peu augmenté en 1972.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les sténo
L'histoire de cet engouement hétéroclite reste à faire. graphies française et chinoise sont étonnamment concord
Mais l'un de ses ressorts intellectuels a sans nul doute antes. Bien sûr, dans le passage d'une langue à une
été l'entretien que, le 3 août 1965, Mao Zedong a accor autre, il s'est produit des glissements sémantiques qui ne
sont pas tout à fait innocents. Par exemple, le "maquis" dé à Malraux ( 1 ) et dont celui-ci a rendu compte dans ses
Antimémoires, un livre paru en 1967, qui a été réédité en dans le centre de la France que, dans la version français
1972, sous une forme légèrement remaniée et avec un e, Malraux dit avoir dirigé durant la Seconde guerre
nouveau titre, Le miroir des limbes. En se rendant en mondiale, devient, dans la version chinoise, une "guér
Chine, un an et demi après le rétablissement des illa" paysanne contre l'Allemagne, tandis que, pour la
50 PERSPECTIVES CHINOISES V17 SEPTEMBRE /OCTOBRE 19% MAO / MALRAUX
première, Mao a pris le "maquis". Ou bien, pour le Quai nonce l'oraison funèbre de Jean Moulin, à l'occasion du
d'Orsay, Mao déclare qu'en 1789, en France, "le peuple transfert de ses cendres au Panthéon et moyennant un
a renversé la royauté", alors que, pour le sténographe ultime détour, par les grottes de Lascaux en 1944 (5).
chinois, c'est le "régime féodal" qui a alors été emporté. Cette position subjective de Malraux est également
Mais ces petites divergences "de forme" mises à part, les révélée par les multiples commentaires dont il émaille
versions chinoise et française de l'entretien apparaissent son récit de cet entretien et qui font de celui-ci un ren
globalement d'accord tant sur les thèmes abordés et leur dez-vous avec l'Histoire, une Histoire que, selon une
ordre de succession que sur le contenu de la discussion. thématique qui lui est particulière, il place du côté du
Mieux, la version chinoise est indéniablement plus comp destin, de l'épique (la Longue Marche, à laquelle il
lète que la française : la première, une fois traduite en consacre de nombreuses lignes...), de l'héroïque, du
français, est plus longue d'un tiers que la seconde et la mythique, du transculturel et de l'éternel humain. De
collation ligne à ligne des deux textes montre que le st Mao, il écrit (p. 452) (6) : "Aucun homme n'aura si pro
fondément secoué l'histoire depuis Lénine" (7). Ou bien énographe chinois s'est attaché à respecter l'enchaîne
ment des propos échangés, alors que son homologue (ibid): Mao "est hanté (...) par une pensée géante". Plus
français les a plus d'une fois condensés (4). loin (p. 453), dans un passage qui est une très hypocrite
vitupération contre les excès du culte de Mao, il va jus
En même temps, les deux versions se complètent l'une qu'à écrire: "On dirait qu'aucun de ses admirateurs ne
l'autre, en ce sens que, a priori, on doit davantage faire comprend que son génie vient de ce qu'il est la
Chine" confiance au texte chinois pour ce qui est des interven (8), pas moins. L'idée lui tient visiblement beau
tions de Mao, dont on a l'impression qu'elles sont rel coup à coeur, car, dans l'avion qui le ramènera en
igieusement recueillies, car elles sont dans la droite ligne France, il notera (p. 479): "Cette nuit, la France, c'est de
Gaulle, et la Chine, c'est Mao" (9). maoïste de l'époque, alors que, pour celles de Malraux,
c'est plutôt au texte français qu'il convient de se référer Par ailleurs, Malraux fait de nombreuses analogies
en premier lieu, mais avec quelques réserves cependant. transhistoriques et interpersonnelles, qui sont, il faut
bien l'avouer, assez ampoulées. A propos de la Longue Ainsi, au tout début de l'entrevue, pour les Chinois,
Malraux aurait-il déclaré à Mao : "Je suis très ému de Marche, il écrit (p. 434) :
pouvoir être assis, aujourd'hui, à côté du plus grand "Je me souviens de Napoléon pendant la retraite de
révolutionnaire de notre époque après Lénine"; ce à quoi Russie :
Mao aurait répliqué : "Vous me flattez". Mais, dans la — 'Sire, nos hommes sont massacrés par deux batteries
version française, il n'y a pas trace de cet échange. russes.
— Qu'on ordonne à un escadron de les prendre!' " S'agit-il d'un ajout hagiographique des Chinois? Ou
bien Malraux a-t-il effectivement fait une telle flatterie, Quand, dans la conversation, il est question de la rup
que Manac'h aurait jugée indécente dans la bouche d'un ture entre la Chine et l'Union soviétique (10), Malraux
ministre français et qu'il aurait décidé en conséquence fait une comparaison, qui est une façon quelque peu
de supprimer de son compte rendu? La question est indé- cavalière de régler son compte à la question (p. 445) :
cidable, même si la suite de l'entretien (voir infra) fait "Rome trahit dès qu'elle écarte Sparte. Car on ne peut
apparaître la seconde hypothèse comme la plus probable. aisément maintenir une Sparte chinoise à côté d'une
Rome qu'elle prend d'ailleurs pour Capoue".
Ou bien, sur la solitude qu'il prête à Mao, Malraux
note (p. 439): "Je pense à une image puérile de mon pre
Des espoirs de Malraux... mier livre d'histoire : Charlemagne regardant au loin les
premiers Normands remonter le Rhin", un parallèle qu'il
L'entretien lui-même est éminemment marqué par la réemploiera après son entretien (p. 457). Le dénuement
position subjective que Ma

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