Mallarmé, poète et histrion - article ; n°55 ; vol.17, pg 91-102
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Description

Romantisme - Année 1987 - Volume 17 - Numéro 55 - Pages 91-102
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1987
Nombre de lectures 36
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Serge Meitinger
Mallarmé, poète et histrion
In: Romantisme, 1987, n°55. pp. 91-102.
Citer ce document / Cite this document :
Meitinger Serge. Mallarmé, poète et histrion. In: Romantisme, 1987, n°55. pp. 91-102.
doi : 10.3406/roman.1987.4864
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1987_num_17_55_4864Serge MEITINGER
Mallarmé, poète et histrion
« Histrion véridique, je le fus de moi-même ! de celui que nul n'atteint
en soi, excepté à des moments de foudre et alors on l'expie de sa durée,
comme déjà... »
«L'écrivain de ses maux, dragons qu'il a choyés, ou d'une allégresse,
doit s'instituer, au texte, le spirituel histrion. » (1)
C'est sans doute un paradoxe que d'aborder Mallarmé à travers cete
double revendication d'histrionnisme, lui que l'on placerait plus volontiers
du côté de Leconte de Lisle quand ce dernier fustige « les Montreurs ». Mais
si paradoxe il y a, il nous appartient de démontrer qu'il fut assumé comme
tel, clairement et rigoureusement, par le chantre de « la disparition élocu-
toire du poète » (p. 366). Sur ce point, qui est celui du rôle et de la place de
l'artiste — du poète, essentiellement, pour Mallarmé — dans « le rapport
social » qui lui est contemporain, Mallarmé n'a certes pas toujours tenu le
même discours. Nous pouvons distinguer chez lui une évolution sensible
entre la position de jeunesse — à la fois baudelairienne et romantique —
et la position de l'âge mûr, complexe, reflexive et tenant toutes les influences
à égale distance par sa dialectique subtile. Le plus remarquable dans ce
domaine est que l'évolution de la pensée mallarméenne se traduise par une
reprise, une méditation plusieurs fois nuancée des mêmes figures constitutiv
es, celle du pitre, celle à* Hamlet et celle du « camarade » (ou « compa
gnon ») d'élection — non du « confrère » — , à la fois ami et modèle capable
d'extérioriser existentiellement une prise de position commune et en dernier
ressort métaphysique: il s'agit ici surtout de Villiers de PIsle-Adam(2)
comme exemple incarné de la situation ambiguë faite à l'artiste moderne,
en même temps héritier — ici comme « fin de race » — et seul penseur qui
soit au niveau de l'époque sans lui être contemporain.
Premières versions
Les tout premiers écrits de Mallarmé à propos de la condition du poète,
de l'artiste, énoncent un refus sans équivoque de toute forme d'histrion-
nisme. Le grand poème en terza rima intitulé Le Guignon, dont la première
version date de 1862 (et dont la version définitive ouvre le recueil de 1887),
oppose clairement une fin de non-recevoir à la proposition de bouffonner
pour survivre. Les poètes installés — les « confrères » qui ont réussi (malgré
parfois la teneur de leurs chants) — s'adressent ainsi, sans vergogne et avec
mépris, à leurs frères maudits, accablés du « guignon » baudelairien :
« "Nous soûlerons d'encens les Forts qui tiennent tête
Aux fauves séraphins du mal ! — ces baladins
N'ont pas mis d'habit rouge et veulent qu'on s'arrête !" 92 Serge Meitinger
Quand chacun a sur eux craché tous ses dédains,
Nus, assoiffés de grand, et priant le tonnerre,
Ces Hamlet abreuvés de malaises badins
Vont ridiculement se pendre au réverbère. » (p. 1411)
Ce refus de l'histrionnisme appelle d'ailleurs la figure ď Hamlet et
nous voyons ainsi pour la première fois le nom ď Hamlet lié à celui du pitre
ou de l'histrion mais ici comme à son antagoniste, rapport qui ne manquera
pas d'évoluer rapidement dans l'œuvre de Mallarmé. En effet pour l'heure,
le refus du rôle désigné au poète, celui de bouffon, conduit, face à l'impuis
sance à réaliser quoi que ce soit en dehors du système établi, au suicide pur
et simple ; la même « juvénile intransigeance » (E. Noulet) se lit, sur un autre
plan, dans l'essai « Hérésies artistiques, l'Art pour tous » (L 'Artiste, 15 sept.
1862) qui se termine sur cette injonction provocante : « О poètes, vous avez
toujours été orgueilleux ; soyez plus, devenez dédaigneux. » (p. 260)
Le rapport du poète à l'histrion commence à se modifier avec la pre
mière version (écrite en mars 1864, publiée en 1929 par le gendre du poète,
le docteur Bonniot) du sonnet intitulé « le Pitre châtié » (p. 1416) :
« Pour ses yeux, — pour nager dans ces lacs, dont les quais
Sont plantés de beaux cils qu'un matin bleu pénètre,
J'ai, Muse, — moi, ton pitre, — enjambé la fenêtre
Et fui notre baraque où fument tes quinquets.
Et d'herbes enivré, j'ai plongé comme un traître
Dans ces lacs défendus, et, quand tu m'appelais,
Baigné mes membres nus dans l'onde aux blancs galets,
Oubliant mon habit de pitre au tronc d'un hêtre.
Le soleil du matin séchait mon corps nouveau
Et je sentais fraîchir loin de ta tyrannie
La neige des glaciers dans ma chair assainie,
Ne sachant pas, hélas ! quand s'en allait sur l'eau
Le suif de mes cheveux et le fard de ma peau,
Muse, que cette crasse était tout le génie ! »
Le commentaire du docteur Bonniot est explicite et souligne bien le
caractère romantique du dilemme ainsi instauré entre l'art et la vie, propre
au poète, pitre et amoureux, — lequel dilemme sera, à notre avis, soigneuse
ment éradiqué de la version ultérieure :
« La version initiale montre d'une manière tout à fait explicite qu'il
s'agit des yeux de la bien-aimée : Pour ses yeux, alors que dans la version défi
nitive le mot yeux, complètement privé de contexte, jaillit tombé du ciel même
et arrête tout de suite l'attention, en l'intriguant. C'est pour les yeux de sa
bien-aimée que le Poète dépouille sa gangue de fard : le châtiment de son infi
délité à la Muse lui est de s'apercevoir alors comme Pitre. » (3)
Ici le châtiment du poète est d'être révélé comme pitre et réduit à cet
état parce qu'il a trahi la Muse pour un amour seulement terrestre — comme
si l'Art supposait la rupture avec le monde, l'impossibilité voire l'interdiction
de vivre comme les autres hommes : vision encore romantique de l 'élection-
malédiction du poète. poète et histrion 93 Mallarmé,
C'est certes là un thème d'époque (4) que Jean Starobinski a raison de
mettre en évidence en rapprochant sur ce point Mallarmé de Banville et de
Gautier ; mais il nous semble que l'interprétation donnée par celui-ci du
Pitre châtié dans sa version définitive se rapporterait avec plus de justesse
à la première version (citée ci-dessus) à cause surtout de l'opposition encore
introduite entre l'art et la vie :
« Trouer dans le mur de toile une fenêtre : c'est ce qu'accomplit le pitre
de Mallarmé, à l'exemple du clown de Banville. Son idéal, il le poursuit non
dans l'altitude stellaire, mais dans l'eau limpide d'un regard aimé. Plus dange
reusement, il meurt à soi pour tenter de renaître dans l'absolu d'un amour
transfigurant. Mais contrairement au vol dans les étoiles, la nage heureuse
dans le lac vivant n'est pas un triomphe de l'art. C'en est au contraire la néga
tion coupable. Le pitre mallarméen découvre qu'il a trahi la « Muse » — la
poésie — en cherchant à vivre, une résurrection extatique ; le génie est insépa
rable du fard. La conscience qu'en prend le pitre est sa punition. [...] Selon
ce poème hautement allégorique, l'artiste, à la fois exclu de la vie et séparé
de l'idéal, doit rester le prisonnier d'un espace clos : histrion ou mauvais Hamle
t, il ne doit pas quitter les tréteaux, l'univers factice où la suie des quinquets
sert à représenter la plume ornant la joue de l'acteur. Le sacrilège est de vouloir
abandonner le lieu de la figuration métaphorique (à la fois parodique dans
ses moyens et grave dans ses effets) pour conquérir les satisfactions de la
vie » (5).
L'histrionnisme, dénié par la tentative soudaine — « négation coupab
le » selon Starobinski — que fait

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