Paris, province pédagogique - article ; n°83 ; vol.24, pg 107-118
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Description

Romantisme - Année 1994 - Volume 24 - Numéro 83 - Pages 107-118
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 21
Langue Français

Extrait

M. Denis Pernot
Paris, province pédagogique
In: Romantisme, 1994, n°83. pp. 107-118.
Citer ce document / Cite this document :
Pernot Denis. Paris, province pédagogique. In: Romantisme, 1994, n°83. pp. 107-118.
doi : 10.3406/roman.1994.5939
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1994_num_24_83_5939PERNOT Denis
Paris, province pédagogique
Au tournant du siècle, discours social et romanesque imposent une
représentation de Paris qui relève d'une double inscription. Nouvelle Babylone où
se concentrent dangers et menaces qui font peser un fort risque de défédération sur
l'organisation de la cité, Paris est aussi présenté comme un lieu de civilisation,
promoteur de valeurs nouvelles, symbole d'un progrès pouvant mener à
l'établissement d'une société plus solidaire '. Parce que l'imaginaire urbain du
tournant du siècle s'appuie sur des données complexes et contradictoires, les
écritures romanesques de la capitale prennent souvent un tour didactique pour
montrer les menaces que le pouvoir d'attraction et d'illusion de la métropole fait
peser sur la stabilité des institutions avant de s'efforcer de les détourner en
réaffirmant la légitimité des valeurs les plus traditionnelles. Dans le secteur moyen
de la production, dans la filiation des écritures naturalistes et dans la proximité
des littératures honnêtes (ohnêtes), le roman prend volontiers la forme d'un roman
d'apprentissage de la sociabilité parisienne 2 : il réécrit les itinéraires d'Eugène de
Rastignac ou de Julien Sorel afin de proposer des modèles de socialisation \
offrant à ses jeunes lecteurs un emploi et une place dans la ville comme dans la
cité. Cependant, si tout trajet d'enfance à maturité passe par Paris, province
pédagogique et archétype socialisant, toute formation est orientée et encadrée par
le jeu de discours conformants — discours de la renaissance catholique et
nationale ou officiel de l'ouverture des carrières au mérite — qui
transforment l'espace urbain en bazar de la charité ou en collège de France. Lieu
où la jeunesse risque de se perdre, Paris devient le lieu d'une instruction
domestique et civique, plus rarement l'espace d'une formation éthique capable de
dépasser et d'effacer les antagonismes de classe ou de "race".
Rue des Martyrs
Dans la mesure où toute représentation romanesque de Paris se situe à la
croisée d'une réalité difficilement saisissable dans sa complexité et d'intertextes
familiers qui renvoient à des mythologies contradictoires, écrire la capitale, c'est
d'abord travailler sur les frontières du discours de la fiction narrative et du
discours social.
ROMANTISME nTO (1994-1) 108 Denis Pernot
Dans une réflexion consacrée aux "victimes du Livre", Vallès dresse le
portrait du "bon jeune homme" attiré à Paris et dévoyé par ses lectures
romanesques. H s'en prend en particulier à l'influence modélisatrice de l'oeuvre de
Balzac : "Combien se sont perdus, ont coulé, qui agitaient au dessus du bourbier
où ils allaient mourir une page arrachée à quelque volume de la Comédie
Humaine. Ceux-ci, avec Rastignac, [...] ont montré le poing à la vie et crié au
monde : A nous deux ! jurant sur Le Père Goriot ou le volume à côté, de faire leur
trou à coup d'épée — ou de couteau, prêts à jouer de tout [...]" 4. De manière
similaire, avant que Gabriel Tarde mette en évidence l'importance des "lois
d'imitation" et que Jules de Gaultier définisse le bovarysme, Bourget consacre un
des Essais de psychologie contemporaine (1883) à l'oeuvre de Stendhal et prend
soin de montrer que Le Rouge et le Noir a produit "sur certains cerveaux de
jeunes gens l'effet d'une intoxication inguérissable". Parce que Julien Sorel
"représente un grand nombre d'êtres semblables à lui", il est le modèle qu'imite
trop souvent "le jeune de talent et pauvre" qui vient à Paris "voir triompher qui ne
le vaut pas" et condamner un "état social qui semble ne l'avoir élevé que pour
mieux l'opprimer" ; dans l'ombre du héros de Stendhal se profilent les "incendies
de la Commune" \ A la figure dangereuse du novice ambitieux viennent ainsi
s'adjoindre celles, tout aussi menaçantes, de l'arriviste et du criminel, conçues sur
des modèles véhiculés par une presse qui rapporte longuement des faits divers
comme le crime "darwinien" des jeunes Lebiez et Barré (1878) et dénonce la
corruption des moeurs financières, politiques et mondaines. Tandis qu'Alcanter de
Brahm invente le terme d'arriviste dont Félicien Champsaur s'empare pour mener
un assassin au faîte de l'Etat 6, de nombreux romans, à l'image de Penses-tu
réussir ? (1897) de Jean de Tinan, mettent en scène de nouveaux fruits secs,
dilettantes ou enfants de volupté, martyrs ridicules d'une vie parisienne trop rêvée
ou trop lue, tentés par l'anarchisme ou l'amoralisme autant que par un improbable
avenir d'enfants de lettres en quête de "petites secousses" sentimentales ou
esthétiques. Entrer dans Paris, c'est toujours entrer en littérature, désirer suivre un
itinéraire semblable à ceux de Rastignac et de Sorel, désirer vivre de sa plume
comme Rubempré. C'est courir le risque de se rendre "impropre aux travaux de la
vie commune" 7 et d'inscrire son nom au martyrologue de la bohème. . .
Le roman des apprentissages parisiens du tournant du siècle met alors l'accent
sur la superficialité du métissage culturel et social de la ville et peint, du
cosmopolitisme des boulevards aux quartiers interlopes de la périphérie, des lieux
où "le clinquant tapageur" de la bourgeoisie triomphante et "le luxe plus
discret "de l'aristocratie se côtoient dans "une sorte d'égalité spéciale", des milieux
où se croisent des jeunes gens "tous modelés par la même maquette" scolaire et
où s'entend toujours le même "tissu désespérant d'idées générales à propos des
faits divers ou des premières" 8. Ainsi, sous l'apparente uniformité des costumes et
des discours, se découvre encore un univers socialement fragmenté où la
communauté est plus que jamais menacée d'éclatement et de dislocation. Si La
Crise virile d'Albert Juhellé s'attarde encore à décrire l'encombrement des
équipages au retour du Bois, c'est moins pour mettre l'accent sur la volonté de
conquête d'un nouveau Rastignac que pour montrer la ville entière comme un lieu
de tensions sociales : "La canaillerie du fiacre serrait le luxe patricien du
huit-ressort contre le trottoir. L'amour tarife poussait la tête de ses chevaux dans la
capote rabattue des landaus de famille. Le commerce parisien enviait [...] province pédagogique 109 Paris,
l'élégance sobre du buggy. D'une caste à l'autre, les regards échangeaient des
mépris et des envies" 9. Espace de rivalités sociales, la ville est un piège où la
jeunesse, formée au dogme kantien de la loi morale dans les écoles de Jules Ferry,
risque de perdre confiance en toute valeur éthique et de se détourner des valeurs
politiques de la République bourgeoise.
Les écritures-relectures de Paris mettent ainsi en évidence les menaces que le
métissage social de la ville fait peser sur la solidarité de la communauté, menaces
de crimes crapuleux comme celui de Racadot et Mouchefrin dans Les Déracinés
(1897) de Barrés, menaces d'un désintéressement esthète semblable à celui qui
pousse au crime le héros de Monsieur de Phocas (1901) de Lorrain, menaces d'une
mêlée sociale pareille à celle que Le Soleil des Morts (1898) de Mauclair fait
éclater au Père Lachaise, lieu qui réunit le souvenir du "A nous deux ! " balzacien
et celui de la Commune.
Ponts-neujs
Envisagé comme un univers menacé de défédération, Paris fait alors l'objet
d'approches qui tentent d'inculquer aux jeunes lecteurs de Balzac ou de Stendhal
les codes d'une sociabilité sans histoire. Province pédagogique transformée en
jardin d'acclimatation, la capitale est repliée sur l'espace de deux ou trois quartiers
où les grands homme

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